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L’ultramontanisme

Des droits qui rétrécissent comme une peau de chagrin. Le gouvernement du Manitoba avait voté en 1890 cinq lois qui, à toutes fins pratiques, menaient à l’abolition des écoles confessionnelles. Comme l’article 93 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique garantit le droit à l’instruction sur une base confessionnelle et non linguistique, les francophones du Manitoba n’avaient eu d’autre choix, historiquement, que de s’inscrire dans le réseau des écoles catholiques pour recevoir l’enseignement dans leur langue maternelle. Mais ils étaient largement minoritaires. Tant que le financement public leur était accordé, leur survie était somme toute assurée. L’adoption de ces nouvelles législations signifiait que dorénavant ils devraient payer des taxes scolaires, tout comme les protestants d’ailleurs. Mais comme ils étaient minoritaires, leur capacité à s’autofinancer était réduite presque à néant. De plus, le principe de la neutralité de l’enseignement y était dorénavant affirmé, les écoles ne pouvant témoigner d’aucune conviction religieuse, à moins que les syndics le jugent à propos et que les parents ne s’y opposent pas. L’enseignement religieux n’était permis qu’à la fin de la dernière demi-heure de l’après-midi.

9403L’affirmation du principe de la séparation de l’Église et de l’État se trouvait de ce fait inscrite dans la loi du Manitoba. Toutes les conditions étaient réunies pour créer une onde de choc dans les rangs des ultramontains.

Jules Tardivel. L’ultramontanisme condamnait toute ingérence de l’État dans les affaires de l’Église et considérait que la responsabilité de l’éducation des enfants incombait aux familles et à l’Église. Un des porte-paroles les plus connus de l’ultramontanisme sera Jules-Paul Tardivel   Celui-ci lancera en 1881 un journal à Québec, La Vérité, qui défend la cause du catholicisme et de la nation canadienne-française avec une intransigeance que même le Vatican n’endosse pas nécessairement. La querelle allait durer des années et diviser également l’élite francophone du Québec. Car tous ne partageaient pas la même vision de la place et du rôle de la religion dans l’éducation.

Le débat s’échauffe. L’entrée dans le débat des ultramontains francophones et catholiques du Québec allait faire monter les enchères. C’étaient des radicaux, ultrareligieux, fortement antiprotestants, qui voyaient des francs-maçons partout et qui se réclamaient de la doctrine de l’Église et des encycliques papales pour monter aux barricades.

Les francs-maçons : l’ennemi à abattre. Au Québec et à Québec, la majorité des francs-maçons étaient anglophones et protestants. Mais il s’y trouvait également quelques francophones plus libéraux et plus ouverts à la mixité que la moyenne de leurs compatriotes. On comptait d’ailleurs au Québec des francs-maçons parmi les catholiques, notamment la loge L’Émancipation, affiliée au Grand-Orient de France. La chose a le mérite de démontrer que le Québec francophone n’était pas un bloc monolithique. On trouve dans le Bulletin Paroissial de Charlesbourg de 1910, rédigé et publié par mon grand-oncle, un exposé cinglant contre la loge l’Émancipation.

Les autorités religieuses indisposées par la férocité des attaques. Les attaques des ultramontains visant à démoniser les francs-maçons allaient parfois dégénérer en guerres féroces. Et stériles. Mais se heurter également à de grosses pointures. Ainsi le docteur Jean-Étienne Landry échoua lamentablement dans sa tentative de faire limoger le Dr James Arthur Sewell, un protestant respecté et l’un des fondateurs de la faculté de médecine de Québec. Le Dr Landry multiplia les attaques à un point tel qu’il indisposa même les autorités romaines sans compter le recteur de l’université Laval, l’abbé Thomas-Étienne Hamel, qui ressentit le besoin de déclarer publiquement que les francs-maçons du Canada n’étaient pas aussi dangereux que leur contrepartie européenne!

David Gosselin, porte-étendard de la cause. Un mémoire de maîtrise, déposé en 1988 à l’Université d’Ottawa par Michel C. Boucher, et que nous avons précédemment cité, est consacré à l’ultramontanisme et au rôle de David Gosselin dans le conflit. (De l’ultramontanisme au nationalisme : l’abbé David Gosselin et les écoles du Manitoba (1895-1890, accessible sur le web). Le chercheur y décrit l’engagement de Gosselin et fournit un éclairage intéressant sur son caractère. Au-delà des sources documentaires sur lesquelles il s’est appuyé, l’auteur fait notamment référence à une entrevue que tante Élizabethlui avait accordée en 1988 ainsi qu’aux commentaires recueillis auprès de Roger LeMoine, neveu de Félix-Antoine Savard, qui tenait de la bouche même de celui-ci des anecdotes vraies et souvent croustillantes sur le bouillonnant oncle David Gosselin! Félix-Antoine était en effet le petit-neveu de David-Gosselin. Une vision intimiste du personnage.

La Semaine religieuse, un véhicule tout trouvé. David Gosselin utilisera toutes les tribunes disponibles, notamment la Semaine religieuse, pour véhiculer ses idées. Il y introduira progressivement des propos de nature politique, qui vont dépasser largement l’information religieuse. Il y diffuse des exposés mais également des textes à teneur pédagogique, présentés comme des dialogues entre le narrateur (lui-même) et le fidèle, mais naïf, citoyen et paroissien. Édifiant, sans doute simpliste au goût d’aujourd’hui. Et sans doute efficace pour l’époque! 

9404aTrop indulgent à l’égard de David Gosselin? Pour quiconque trouve que l’ultramontanisme constitue une dérive, même en se replaçant dans le contexte de l’époque, l’analyse de monsieur Boucher pourra paraître, à certains moments, trop indulgente à l’égard de mon grand-oncle : « Il n’est donc pas surprenant, écrit le chercheur, que les catholiques, renseignés par le Saint-Siège des buts de la franc-maçonnerie, prennent à cœur les intérêts de l’Église (…). La franc-maçonnerie n’ayant rien d’un gouvernement légitime, mais tenant plutôt d’une sorte d’anarchisme, selon la vision de l’époque, l’attitude de Gosselin est compréhensible. Il suit à la lettre les principes de l’Église, comme on lui commande de faire, et attaque les ennemis de l’Église. Rien de plus naturel, pour un serviteur engagé » (Michel C. Boucher, Ibid, p. 14): « Les juifs, les francs-maçons, les révolutionnaires, les libres penseurs, les protestants en général et les anticléricaux abhorrent les écoles séparées, tandis que l’Église ne cesse de les recommander. Ce fait devrait suffire à un catholique en cette matière » (David Gosselin, source non précisée, cité par Michel C. Boucher, Ibid p. 11).

Les orangistes s’en mêlent, les enchères montent! Le débat allait rapidement s’envenimer entre les tenants de l’ultramontanisme et les protestants, de tendance orangiste, au sein duquel on ne manquait pas là non plus de radicaux emportés par leur passion. Ceux-ci allaient plaider pour rien de moins que l’assimilation linguistique active : « Let them remain catholic but not French. That is the object (…),to make the people homogeneous », allait plaider un dénommé Mc Carthy devant un comité de la Chambre des Communes, en 1895 ( Sessional Papers, no 20, 1895, cité par Michel C. Boucher, Ibid, p. 18).

La tempête se calme. Le litige se réglera à toutes fins pratiques lorsque le Comité juridique du Conseil Privé de Londres rendra un jugement en faveur des catholiques du Manitoba. Obligation sera alors faite au gouvernement manitobain d’adopter un décret correctif, appelé « The Remedial Act. Manitoba », en 1896. Placés devant l’ultimatum qui leur vient du Conseil privé de Londres, ils n’ont d’autre choix que de s’incliner devant la préséance du gouvernement britannique sur les « Dominiums » qui composent le Commonwealth, incluant le Canada et ses provinces. Mais ce ne sera pas de gaîté de cœur!

Lorsque l’on prend connaissance des discours prononcés alors par le premier ministre du Manitoba et par certains membres du Parlement de cette province lors des débats entourant cette question, force est de constater que le sort des francophones ne préoccupe nullement les parlementaires manitobains. Ils sont plutôt animés par le souci d’affirmer la préséance des droits de la majorité, par définition anglophone, sur ceux de la minorité. Ils réaffirment également haut et fort que la mission d’éducation des enfants relève des gouvernements, pas des églises. (VOIR REMEDIAL ACT. MANITOBA, sixième session du septième parlement du Manitoba, Ottawa, le 5 mars 1896).

On est allé trop loin… L’ultramontanisme demeurera un mouvement minoritaire. Et tant le Vatican que l’Église catholique d’ici n’endosseront jamais les prétentions alarmistes et presque racistes des ultramontains. Pour plusieurs spécialistes du domaine, la querelle agira comme un stimulant de l’ardeur nationaliste des francophones québécois de l’époque. Et pour David Gosselin, loin de tiédir ses convictions, elle les ravivera!
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