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155 – Lizzie et sa famille : de Cap-Santé à Charlesbourg

(les enfants de Mary-Ann 6)

Les archives ne mentent pas… Quand j’étais enfant et que tante Élizabeth nous parlait de Mary-Ann O’Neill, sa grand-mère, je ne pouvais imaginer que la petite orpheline de Natchez, après presque quinze ans passés au presbytère de Cap-Santé chez le curé Gosselin, avait fini ses jours à Charlesbourg; le village où j’ai grandi et le fief de la famille Bédard depuis 1662! Mary-Ann y vivra pourtant dix ans, toujours chez le curé Gosselin, dans le dénuement et l’humiliation! De cela, on ne parlait pas dans la famille. Et pourtant c’est bien ainsi que le triste itinéraire de vie de Mary-Ann prit fin.

C’est en fouillant les actes de décès et les données des recensements que la réalité, vraie et sans fards, a surgi. On est bien loin de Natchez, dont la seule évocation du nom a quelque chose d’exotique, des Ursulines, du mariage à Chicoutimi, de la famille Cimon et d’Ida et d’Éva qui font de beaux mariages… Les archives ne mentent pas… contrairement aux familles.

15501La famille suit le curé Gosselin à Charlesbourg. François-Régis Gosselin, Mary-Ann O’Neill et ma grand-mère paternelle, Mathilde dite Lizzie, suivront le curé Gosselin quand il sera nommé curé de Charlesbourg, en 1899. On quitte la quiétude de Cap-Santé, où la brise du fleuve parvient jusqu’aux fenêtres du presbytère, pour un village plus prospère mais moins bucolique. L’église et le presbytère de Charlesbourg sont situés en plein cœur du village; à l’intersection de la Première Avenue qui grimpe depuis Québec sur plusieurs kilomètres,  et des routes qui mènent à Bourg-Royal, vers l’est, et à la Jeune Lorette, vers l’ouest.

L’expiation se poursuit. On retrouve Mary-Ann, François-Régis et Mathilde inscrits au Recensement fédéral de 1901 comme habitant Charlesbourg. Le fait que leur nom figure immédiatement avant celui du vicaire, Charles-Henri Tessier, nous confirme qu’ils vivent au presbytère.

Les enfants du couple : dispersés. Où sont passés les six enfants du couple? Joseph-Adolphe et Edwin ont émigré aux États-Unis de façon définitive. Écrivent-ils à leurs parents? Mystère. William est interné à l’asile de Beauport, coupé du monde. Ida vit à Chicoutimi, recluse et peu heureuse au sein de la famille Savard. Éva, elle, élève sa famille à Cap-Santé, ce qui n’est pas à la porte. Il ne reste que Lizzie, celle qui a tout vu. Mary-Ann et François-Régis ne peuvent ainsi compter sur aucun de leurs enfants pour leur offrir le gîte et le logis sur une base permanente.

Deux personnes de confiance : Adeline et Henriette. Adeline et Henriette, les deux sœurs jamais mariées de David et de François-Régis, habitent dorénavant sous le même toit que leur frère, le curé Gosselin, à qui elles sont totalement dévouées. On pourrait presque les qualifier d’esclaves.

Adeline, la servante. Adeline veille sur l’intendance et sur l’organisation matérielle du presbytère. Quelle profession déclare-t-elle exercer à l’officier recenseur, à moins que ce soit son frère, David, qui ait répondu à sa place? « Servante » … inutile d’en rajouter, on a compris quelles étaient ses attributions. Combien de convives autour de la table du presbytère sur une base quotidienne? Huit personnes, si on inclut le vicaire et Lizzie!

Henriette, la secrétaire… Henriette, elle, qualifiée de « sœur », agit comme secrétaire de son frère. Il faut reconnaître que celui-ci est fort occupé. C’est un bourreau de travail (voir les chapitres 92 à 97 qui lui sont consacrés). Outre ses fonctions de curé de la paroisse, qu’il exerce avec une autorité que ses ouailles n’oseraient pas remettre en question, il écrit énormément. Il publie depuis 1888 sur une base hebdomadaire La Semaine religieuse, destinée aux curés des paroisses de la province et qui tire à mille exemplaires. Il en est à la fois le propriétaire et le rédacteur en chef. En fait il est l’auteur de la presque totalité des articles. On estime à 10 000 le nombre de pages de textes qu’il produira.

David Gosselin entretient de plus une correspondance sur des sujets à teneur religieuse et politique, avec de nombreux interlocuteurs, en général membres du clergé, qui partagent ses valeurs réactionnaires et de droite. Il s’attire parfois les foudres des autorités religieuses mais n’en a cure. Il invite à se méfier des étrangers, des protestants, des anglophones et à se prémunir contre les invasions de ceux qui sont différents de nous. On imagine sans peine ce qu’il pense de sa belle-sœur, Mary-Ann!

… et Henriette la recherchiste. Le curé Gosselin s’investit également dans la recherche généalogique et publiera au cours des années de nombreux ouvrages, qui requéraient sûrement des milliers d’heures de recherche à une époque où ni les télécopieurs ni les ordinateurs n’existaient. Ces ouvrages servent encore aujourd’hui de référence. David Gosselin reconnaîtra dans ses mémoires qu’Henriette, éduquée et dotée d’une mémoire phénoménale, lui sert de recherchiste et le seconde dans ses travaux, mais sans jamais inclure explicitement sa sœur comme co-auteure de ses publications : « Diplômée de l’École normale Laval (sic) en 1860, elle enseigna trois ou quatre ans, puis elle renonça pour raisons de santé, à une carrière qu’elle aimait passionnément (…) Je garantis l’authenticité et l’exactitude des moindres faits relatés dans ces deux volumes de souvenirs, révisés, précisés et rectifiés parfois par une sœur qui connaît Saint-Laurent aussi bien que moi, et dont la mémoire, malgré ses soixante-dix-sept ans, est encore presque impeccable » (Figures d’hier et d’aujourd’hui, David Gosselin, Deuxième volume, Québec, Librairie Franciscaine Missionnaire, 1919, tome 1, p. XIII).

David Gosselin avait-il fouillé les origines de Mary-Ann O’Neill? Je me suis demandée ce que ce grand féru de généalogie connaissait de l’histoire personnelle de sa belle-sœur. Avait-il consulté dans les archives, les journaux? Que savait-il des turbulences de son enfance? Du sort de ses parents? De l’histoire de la famille Dorion ? De la vraie histoire, celle qui fait mal avec pour finir les tribulations louisianaises et le rapatriement de l’enfant à Québec? Il ne pouvait, à tout le moins, reprocher à sa belle-sœur son manque d’éducation : aucune autre femme, tant chez les Gosselin que chez les Bédard de cette génération et de celles qui suivront, n’aura passé dix ans dans une institution aussi renommée que les Ursulines.

Les inventaires généalogiques poussés qu’il avait menés pour réaliser l’histoire de Cap-Santé et celle de Charlesbourg nous confirment qu’il savait comment remonter aux sources. Il découvrit certainement qu’elle n’était pas apparentée aux Dorion de Charlesbourg, à laquelle il essayera néanmoins de la rattacher.

David Gosselin avait-il mis au jour les épisodes moins glorieux de son histoire familiale? Le curé Gosselin poussa-t-il plus loin ses recherches? Découvrit-il en consultant de vieux journaux que Nathalie Dorion, la mère de Mary-Ann, avait poursuivi son premier mari jusqu’à Washington? Qu’elle avait épousé Hugh O’Neill sans qu’on sache trop comment le premier mariage avait été dissout? Fouilla-t-il dans les registres de la paroisse Notre-Dame-de-Québec pour découvrir que Nathalie Dorion était née avant le mariage de ses parents? Que la moitié des mariages contractés dans cette famille l’étaient avec des protestants? Que la fin de Nathalie Dorion et celle d’Hugh O’Neill comportait des zones d’ombre? Que Peter Dorion, l’oncle généreux, avait fini ruiné, réduit à vivre dans une pension, la Maison Blanchard?

Une dureté de cœur que rien ne pouvait infléchir. Une telle énumération aurait suscité chez un cœur moins dur de la compassion, sinon une certaine forme de tendresse à l’égard de la petite orpheline, devenue sa belle-sœur. Pas chez David Gosselin, qui maintiendra une attitude ferme et intransigeante à son égard au cours des dix années qui allaient suivre le déménagement à Charlesbourg. Car elle représentait tout ce qu’il abhorrait : étrangère, anglophone et protestante.

C’est long, dix ans! Heureusement Lizzie, elle, put rapidement se libérer du joug de l’infernal oncle David. Ouf! Il était temps!

156 - Lizzie se marie!
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