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153 – Une autre forme d’exil pour William (Willie) : l’internement

(les enfants de Mary-Ann 4) 

On a vu au chapitre 149 qu’Ida et Éva, deux des filles de François-Régis Gosselin et de Mary-Ann O’Neill, avaient fait de beaux mariages, pour le grand bonheur de leur oncle le curé Gosselin, qui avait efficacement tiré les ficelles pour que ces alliances se nouent; même si les deux jeunes femmes étaient sans dot. Dans la famille on ne tarissait pas d’éloges au sujet des deux jeunes femmes et de leur progéniture.

Joseph-Adolphe et Edwin, leurs frères, choisirent la voie de l’exil et s’expatrièrent aux États-Unis, ce qui n’eut pas l’heur de plaire à leur tyran d’oncle. Si bien qu’on ne mentionnait jamais leur nom non plus que leur existence dans la famille.

Qu’advint-il du troisième fils du couple Gosselin-O’Neill, William dit « Willie »? Lui aussi sera complètement rayé des annales familiales, mais pour un motif différent. Une chape de plomb recouvrira la réalité de son existence, qui deviendra un secret de famille bien gardé. Pourquoi en fut-il ainsi? Parce que William dut être interné alors qu’il n’avait pas trente ans à l’asile de Beauport, où il décéda en 1918.

15300William un élève brillant au Petit Séminaire de Chicoutimi. Né le 18 novembre 1867 et donc après son frère Adophe-Joseph et sa sœur Éva, William sera élevé à Chicoutimi au sein de la famille Gosselin-O’Neill. William, que l’on surnommait affectueusement Willie, se révélera le plus brillant des trois garçons au plan académique et se méritera plusieurs distinctions lors des cérémonies solennelles de distribution des prix, qui se déroulaient en juin, à la fin de l’année scolaire (voir chapitre 147 Le bonheur de Mary-Ann). Ainsi, au terme de sa Versification, en juin 1883, qui était la quatrième année du cours classique, il décroche un premier accessit d’excellence, finissant ex-aqueo avec un dénommé H. Beck. Il affiche de plus les résultats suivants, toujours au terme de sa Versification :

  • Instruction religieuse : 2e accessit;
  • Préceptes littéraires : ler accessit;
  • Version latine : 2e accessit;
  • Version grecque : ler accessit;
  • Langue anglaise : 2e prix.

L’année précédente, au terme de ses Humanités, en juin 1882, il s’était également fort bien illustré :

  • Histoire romaine : premier prix;
  • Excellence : 2e accessit;
  • Instruction religieuse : 2e accessit;
  • Version latine : 2e accessit;
  • Version grecque : 2e prix.

Bref, William était un phénix au sein de la famille Gosselin, pour qui les succès scolaires étaient prisés plus que tout!

Inscrit à la Faculté de droit de l’Université Laval. En mars 1886 François-Régis, le père de William et mari de Mary-Ann O’Neill, démissionnait de son poste de protonotaire. La famille se voyait contrainte de quitter Chicoutimi et n’avait d’autre choix que d’accepter d’être hébergée par le curé Gosselin, à Cap-Santé. Qu’advint-il alors de William?

On retrouve William inscrit à la Faculté de droit de l’Université Laval. Son nom figure dans l’Annuaire de l’institution pour les années 1887-1888, 1888-1889 et 1889-1890. Il a comme confrère d’études Hubert Cimon, de la Malbaie, sans doute le frère ou le cousin d’Ernest Cimon, un ancien associé de François-Régis à Chicoutimi. On indique Cap-Santé comme étant son port d’attache, ce qui semble bien indiquer que c’est là que le jeune homme s’est réfugié avec le reste de la famille après leur départ de Chicoutimi. Chez l’oncle David Gosselin! Est-ce ce dernier qui paye les frais de scolarité de William? Ou qui aurait obtenu une bourse d’études pour son neveu? Mystère.

Mais où est passé William? Théoriquement à partir de 1891 ou de 1892, après avoir réussi les examens du Barreau, William aurait dû pratiquer le droit puisqu’il avait obtenu sa licence. Or ce ne fut pas le cas. Nulle mention de lui comme avocat à Québec ou ailleurs dans la province. Nulle indication d’un mariage ou d’un décès prématuré. En fait, il semble avoir complètement disparu des radars professionnels et sociaux. Nulle trace de lui, non plus, dans les données du Recensement de 1891 dans lequel ses frères et sœurs ainsi que ses parents sont mentionnés, à l’exception de Joseph qui a déjà émigré aux États-Unis. François-Régis, Mary-Ann, Éva et Lizzie habitent Cap-Santé. Ida et Edwin quant à eux habitent chez leur oncle Pierre Gosselin, à Québec. Qu’est-il advenu de William?

William interné à l’asile de Beauport… William souffrait certainement d’une maladie mentale grave puisqu’il devra être interné à l’asile de Beauport, dont il ne ressortira d’ailleurs jamais. Les archivistes de l’Institut en santé mentale de Québec m’ont confirmé qu’il fut accueilli comme patient sans pouvoir cependant me fournir la date exacte de son admission. Le registre dans lequel son nom figurerait a été détruit par les flammes il y a de nombreuses années.

William ne fut pas interné suite à un ordre de la Cour car son nom n’apparaît pas dans l’index des Tutelles et Curatelles, pas plus que dans les dossiers de la Cour supérieure du Québec pour la période visée. Ce qui signifie que la famille n’eut pas à s’adresser aux autorités civiles pour obtenir son internement. Était-ce parce que les troubles mentaux dont il souffrait étaient tellement évidents qu’un ordre d’internement ne fut pas nécessaire? Ou parce que la famille préférait ne pas ébruiter la chose?

… jusqu’à son décès, le 28 juin 1918. William demeurera interné pendant plus de vingt-cinq ans, jusqu’à son décès survenu le 28 juin 1918. L’acte d’inhumation indique qu’il est décédé à Beauport à l’âge de quarante-huit ans et qu’il a été inhumé le lendemain à Cap-Santé. Parmi les témoins signataires du registre d’inhumation, on note les noms de mon grand-père paternel, Joseph-Arthur Bédard, le mari de Mathilde, ma grand-mère, ainsi que celui de Pierre Gosselin, l’oncle de Willie qui décédera d’ailleurs quelques mois plus tard. C’est peut-être eux qui veillèrent à faire transporter le corps de Beauport à Cap-Santé.

Le registre des sépultures de la paroisse de Cap-Santé nous indique de plus que Willie était célibataire et que ce furent Hervé de Saint-Georges, fils d’Éva donc cousin de Willie, et un dénommé Georges Rinfret, ami de la famille, qui agirent comme témoins lors de la mise en terre.

Tante Élizabeth avait levé le voile sur ce secret de famille. C’est tante Élizabeth qui m’avait révélé quelques années avant sa mort ce secret de famille bien gardé : il y avait des cas de maladie mentale dans la famille ainsi que d’épilepsie. Je l’avais interrogée sur l’incidence de la schizophrénie chez les Bédard et chez les Gosselin étant donné qu’une de mes demi-sœurs, Michèle, avait dû être internée pour cette raison. Elle avait été diagnostiquée schizophrène, était hautement délirante et souffrait d’épilepsie. Une épreuve dont mon père ne se remit jamais.

Tante Élizabeth ouvrit alors un chapitre sombre de l’histoire familiale. Elle me révéla que deux des enfants d’Éva de Saint-Georges, sœur de ma grand-mère Mathilde, étaient « fous furieux ». Il s’agissait de Quetton fils, que l’on aperçoit d’ailleurs dans les bras de Mary-Ann, sa grand-mère (voir chapitre 143 Une élève consciencieuse et appliquée), et de Violette, dite Tititte, qui finit ses jours à l’asile de Beauport. Celle-ci était la risée du village car elle s’enfuyait de la maison familiale et courait nue dans les rues. Cette information est reprise par Roger LeMoine dans ses mémoires, non publiées, mais que j’ai pu consulter.

Tante Élizabeth me révéla également l’existence de Willie ainsi que son internement en ces termes : « Ma mère, donc ta grand-mère Mathilde, avait un frère. Il a passé sa vie à Saint-Michel-Archange. Il s’appelait Willie. Elle nous parlait de lui. Quand nous étions jeunes, elle allait le visiter et lui apportait de la nourriture. Il y est mort. Mais il est enterré à Cap-Santé, entre son père et sa mère. En 1918. »

15303aUne question me brûlait les lèvres et j’osai la lui poser : « Papa savait-il pour Willie, et pour Quetton et pour Tititte? ». « Bien sûr, répondit-elle. D’ailleurs il avait fait un stage à Saint-Michel-Archange à la fin de ses études de médecine et avait songé à devenir psychiatre. Ton père savait tout ». Je repense alors à l’édition originale des Anciens Canadiens que William avait reçue en prix au Petit Séminaire de Chicoutimi (voir chapitre 147 Le Bonheur de Mary-Ann); elle porte non seulement la signature de William mais le sceau de mon père. Oui, papa savait tout.

Promenades au cimetière de Cap-Santé en compagnie de mon père. Me revinrent alors à l’esprit ces ballades dominicales que nous faisions avec mon père et ma mère à Cap-Santé, quand j’étais enfant. Nous nous stationnions devant l’église. Mon père nous rappelait, alors que nous déambulions autour de l’église, que son oncle, David Gosselin, avait été curé dans cette paroisse avant de devenir curé de Charlesbourg. Puis on gagnait le cimetière, qui est collé à l’église. Nous passions devant les tombes de la famille de Saint-Georges. Puis devant le monument funéraire à la mémoire de François-Régis et de sa femme Mary-Ann, les grands-parents de papa. Un beau monument de granit rose. Willie était là, sous notre nez : impossible de ne pas le voir. Son nom était inscrit sur le même monument funéraire que celui de ses parents!

Pourtant, jamais mon père ne mentionna quoi que ce soit sur Willie. Non plus que sur le destin funeste de François-Régis, son grand-père, et de Mary-Ann. Ces êtres étaient transparents. Ils existaient, mais au titre d’ancêtres éloignés et sans grand relief. Nous glissions devant les tombes, avec détachement. Mais que se passait-il alors dans le cœur de mon père? Les émotions remontaient-elles à la surface? Je ne le saurai jamais.

Ce sont bien des années plus tard que j’ai réalisé, en retournant au cimetière, que William était inhumé avec ses parents. William, un secret de famille bien gardé, mais néanmoins honoré par les siens et rendu pour son ultime repos à ceux qui l’avaient engendré : ses parents. Une chose est sûre : William, ce jeune homme brillant promis à un bel avenir, a bel et bien existé.

154 - Lizzie, ma grand-mère, l'enfant qui avait tout vu
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