ÉVA (les enfants de Mary-Ann 2)
Éva épouse Henri-Quetton de Saint-Georges. Après le mariage de sa sœur Ida le 24 mai 1892 avec Louis-Joseph Savard (voir chapitre 150), c’est au tour d’Éva Gosselin, fille de François-Régis Gosselin et de Mary-Ann O’Neill, de se marier. Elle épouse à Cap-Santé le 10 octobre 1892 Henri-Quetton de Saint-Georges, notaire de formation et registraire du comté de Portneuf. C’est le curé Gosselin qui bénit les nouveaux époux, comme il l’avait fait pour Ida, quelques mois auparavant.
Henri-Quetton est le petit-fils de George Waters Allsopp, seigneur de la seigneurie de Jacques-Cartier et industriel connu. La famille de Saint-Georges compte plusieurs notables. Alfred de Saint-Georges a été député fédéral de 1872 à 1890 et le nouvel époux, maire de Cap-Santé, de 1872 à 1890. La famille a la réputation d’être peu religieuse, voire anticléricale.
Un nouveau marié beaucoup plus âgé que son épouse… mais tellement généreux! Fait à noter : le nouveau marié a 54 ans et n’a jamais été marié auparavant. Sa nouvelle épouse, elle, n’en a que vingt-six! Le curé Gosselin est sans doute heureux d’avoir concocté une union avec un notable pour sa nièce, Éva, mais le tout est limite! Henri-Quetton de Saint-Georges traîne d’ailleurs une réputation sulfureuse. Il aurait eu plusieurs enfants illégitimes qu’on qualifiait, dans le coin, de « bâtards de Portneuf »! Mes recherches à cet égard n’ont rien donné. Mais les de Saint-Georges ont fait preuve de générosité à l’endroit de la paroisse, offrant une statue de marbre et surtout un orgue pour l’église. Ce que David Gosselin ne manquera pas de souligner dans son histoire de Cap-Santé : « La statue de marbre et de bronze de Saint-Pierre est un don de M. le notaire de Saint-Georges. Cette réplique de celle de Saint-Pierre se trouve en arrière de l’église ». (Félix Gatien, Histoire du Cap-Santé depuis la fondation de cette paroisse jusqu’à 1830 continuée depuis 1830 jusqu’à 1887 par l’abbé David Gosselin, Québec, Imprimerie Franciscaine Missionnaire, 1899, 288 pages, p. 283).
Plus loin, il écrit : « Il est juste de dire ici que si la paroisse de Cap-Santé a l’avantage de posséder un orgue, elle le doit en grande partie à M. le notaire de Saint-Georges, qui a été l’instigateur du mouvement, et n’a reculé devant aucun sacrifice pour le mener à bonne fin. Non content de cela, il s’engagea à remplir gratis (sic) les fonctions d’organiste, et ce service était d’autant plus appréciable qu’il était musicien expert, et qu’il aurait fait un excellent maître de chapelle dans n’importe laquelle église de ville. » (Ibid., p. 275).
Bref, le curé Gosselin ferma probablement les yeux sur ce qu’il savait de la réputation du nouveau mari de sa nièce. Les confidences de ses paroissiens dans le secret du confessionnal l’avaient certainement mis au courant de la situation! Sans compter ses recherches généalogiques sur l’histoire du Cap-Santé!
Le père et la mère d’Henri-Quetton de Saint-Georges : enfants naturels tous les deux. Henri-Quetton de Saint-Georges était né le 10 août 1838 à Cap-Santé. Ce qui fait que son beau-père, François-Régis Gosselin, avait un an de moins que lui! Le nouveau marié était le fils de Laurent-Aurez de Saint-Georges, notaire, et d’Adélaïde Allsopp, qui s’étaient mariés à Cap-Santé le 14 avril 1834. Tant Adélaïde que Laurent-Aurez étaient des enfants naturels, leurs pères respectifs n’ayant jamais épousé leurs mères. Fait pour le moins inhabituel pour l’époque, on se doit de le souligner!
Nous développerons davantage plus loin dans le blogue l’ascendance paternelle et maternelle d’Henri-Quetton, car elle mérite le détour et se résume difficilement en quelques lignes. Aux fins de notre propos, retenons cependant ceci :
LA MÈRE D’HENRI-QUETTON DE SAINT-GEORGES : Adélaïde Allsopp (circa 1806-24 juin 1887)
Un grand-père britannique, protestant, industriel et fortuné : George Allsopp. Le grand-père d’Adélaïde était George Allsopp, né en Angleterre et qui avait émigré à Québec dans les années 1760, dans la foulée de la Conquête. Il avait épousé Anne-Marie Bonfield, fille unique d’un riche marchand protestant de Québec, qui lui donnera six enfants. Il fera fortune dans le commerce des fourrures, du bois, des pêcheries, du blé et de la farine. En 1790, ses revenus le plaçaient au huitième rang des seigneurs les plus importants de la colonie (Voir Dictionnaire biographique du Canada en ligne). Il était de plus le seigneur « primitif de Jacques-Cartier et d’Auteuil » un titre qu’il avait acheté en septembre 1773. Il possédait une résidence secondaire à Cap-Santé, que les gens du coin qualifiaient de « manoir Allsopp ». Rien de bien noble là-dedans…
Georges Allsopp sera nommé successivement Sous-secrétaire de la province, Greffier adjoint du Conseil de Québec et Greffier adjoint du bureau provincial des registres. Pendant le siège de Québec par les Américains, il agira même comme Commissaire général de la garnison de Québec. Il faisait partie de l’élite britannique qui avait la main haute sur les affaires de la colonie. Disons qu’il était bien placé pour réussir!
Un père éduqué qui suit les traces de son père : George Waters Allsopp. Le père d’Adélaïde était George Waters Allsopp, fils de George Allsopp. Né à Québec le 12 octobre 1769 et baptisé selon le rite protestant, il sera éduqué à Eaton, en Angleterre. Rentré à Québec en 1785, il s’impliquera dans les multiples affaires de la famille, tout comme ses cinq frères. On ne lui connaît aucune épouse légitime. Si jamais il contracta une union, ce ne fut pas à Québec.
Une mère dont on ne connaît pas l’identité. George Waters Allsopp aura néanmoins deux enfants qu’il reconnaîtra et à qui il léguera tous ses biens : George-Alfred, né sans doute en 1804, qui deviendra médecin, et Adélaïde, née vers 1806. Mais il ne révèlera jamais qui était leur mère biologique. Comme George-Alfred et Adélaïde furent élevés à Cap-Santé on peut émettre l’hypothèse que leur mère était francophone et même catholique. Les deux enfants furent-ils élevés par elle? Leur père vivait-il avec eux? Autant de questions demeurées sans réponse et que l’examen d’actes notariés n’a pu permettre d’éclaircir.
LE PÈRE D’HENRI-QUETTON DE SAINT-GEORGES : Laurent-Aurez de Saint-Georges (circa 1806-4 juin 1849)
Un grand-père Français, monarchiste et aventurier: Laurent Quet. Laurent Quet, le grand-père d’Henri-Quetton, était né le 4 juin 1771 à Vérarques, près de Montpellier, dans une famille d’humbles commerçants fort attachés à la monarchie et à l’église catholique. C’est pour ces motifs que le jeune homme avait dû se réfugier en Angleterre, sous la gouverne du comte de Puisaye, après un détour par la Rhénanie, l’Alsace et la Hollande pour défendre les valeurs monarchistes. Il y serait arrivé en 1795 ou 1796, le jour de la Saint-Georges, patron de l’Angleterre. Du coup, il décida de rehausser son patronyme : Henri Quetton de Saint-Georges était né!
Le roi d’Angleterre offrait alors aux réfugiés royalistes français des concessions au Haut-Canada, dans ce qui deviendra le territoire de York, en Ontario. Il ne souhaitait surtout pas les installer au Bas-Canada, récemment conquis, où l’attachement à la France était encore très vif.
Laurent Quet fait fortune au Haut-Canada. Laurent Quet, qui se fait dorénavant appeler Laurent-Quetton de Saint-Georges, accepte l’offre et part s’installer au Haut-Canada où il se révèle un commerçant fort avisé et fort doué pour le négoce avec les Amérindiens, les Britanniques et les Américains. Il fait rapidement fortune et devient une figure de proue du développement du Haut-Canada (Voir Dictionnaire biographique du Canada en ligne). Il fait construire une magnifique résidence au coin des rues Frederick et King à York en 1807. La rue Saint-George à Toronto est nommée en sa mémoire.
Deux enfants illégitimes : Marie-Antoinette et Laurent-Aurez. Pendant son séjour à York il mènera une liaison avec une jeune fille originaire de Québec, Marguerite Vallières, née le 29 août 1794, qu’il n’épousera jamais. Il lui fait deux enfants : Marie-Antoinette, née vraisemblablement en 1805, et Laurent-Aurez, né sans doute en 1806. Il ne reconnaîtra jamais les deux enfants mais défrayera les coûts de leurs études et développera un attachement certain à l’égard de Marie-Antoinette, qu’il décrira comme étant sa « nièce ».
Retour définitif en France en 1815. Après la chûte de Napoléon en 1815, il décide de rentrer en France. Il fait l’acquisition d’un domaine et de son château près de Montpellier, le domaine de l’Engaran. Il épouse une veuve de la petite noblesse, Adèle de Barbeyrac dont il aura un fils légitime, Henry, né en 1820. Il décède le 8 juin 1821
Laurent-Aurez de Saint-Georges : fils illégitime et peu estimé de son père biologique. Laurent-Quetton de Saint-Georges n’éprouvera jamais beaucoup d’affection pour son fils illégitime qu’il rayera d’ailleurs carrément de son testament. Dans une correspondance adressée à un dénommé Saulnier de Montréal, il confiera ceci à son sujet : « Il est plein de talent mais je crains qu’il cause beaucoup de désagrément à ceux qui s’intéressent à lui » (Information fournie par le professeur Douglas McCalla, auteur de la fiche sur Laurent-Quetton de Saint-Georges dans le Dictionnaire biographique du Canada).
Le mariage de Laurent-Aurez de Saint-Georges et d’Adélaïde Allsopp. Laurent-Aurez, fils illégitime de Laurent-Quetton et de Marguerite Vallières, étudiera chez les Jésuites de Montréal et au Petit-Séminaire de Québec. Il effectuera ses stages de probation en vue de devenir notaire auprès du notaire Joseph Bernard de 1827 à 1830, puis auprès du notaire Panet, de 1830 à 1832. Il s’installera alors à Cap-Santé. Il y épousera Adélaïde Allsopp, le 14 avril 1834. L’acte de mariage est révélateur du statut d’enfant naturel des deux époux puisque les noms de leurs parents n’y sont jamais mentionnés, contrairement à la tradition qui avait cours ici.
Adélaïde ruinée par son mari. Laurent-Aurez n’aura de cesse, au cours des douze années qui suivront son mariage, de dilapider les biens de sa femme, donnant ainsi raison aux craintes prémonitoires formulées par son père biologique. Il exercera une telle emprise sur sa femme, Adélaïde, que c’est son propre frère à elle, le docteur George Alfred Allsopp, qui rachètera une partie de ses propriétés afin de les soustraire aux appétits de son beau-frère. Celui-ci décédera le 5 janvier 1849, laissant une veuve complètement ruinée avec six enfants à élever. Heureusement George Alfred Allsopp soutiendra financièrement sa sœur et défrayera le coût des études des enfants; les garçons, dont Henri-Quetton, fréquenteront le Petit Séminaire de Québec.
Éva et Quetton s’installent dans une belle demeure. Voici donc la famille à laquelle Éva se joint : une famille non orthodoxe, dotée d’une histoire non conforme par rapport aux mœurs de l’époque. Jusqu’à quel point le nouvel époux d’Éva connaissait-il la petite histoire des origines de ses parents? Nul ne le sait.
Les enfants naissent rapidement : Rachel (1893), Georges-Henri (1895), Jean-Paul (1899), Marcelle (1900), Hervé (1905), Ida-Séverine (1906), Violette (1909). Le couple a aménagé dans une vaste demeure située à quelques centaines de mètres du presbytère.
Éva voit souvent ses parents, qui habitent le presbytère chez le curé Gosselin, ainsi que sa sœur Mathilde, dont elle semble proche. Le couple est à l’aise financièrement. Éva pose pour une photographie en compagnie de deux de ses filles, Marcelle et Rachel, et en offre une copie dédicacées à sa sœur Mathilde. Est-elle heureuse? Sûrement plus que sa sœur Ida, prisonnière de la famille Savard à Chicoutimi. Mais le malheur s’abattra bientôt sur la famille quand il deviendra évident que deux des enfants sont débiles et retardés. Quelle en est la cause probable? La syphilis de leur géniteur : Henri-Quetton, le mari d’Éva.