Il sera question d’histoires racontées à la veillée et de phrases vaguement entendues et reprises inlassablement.
Une anecdote inlassablement mais tendrement racontée… Quand j’étais jeune tantes Élizabeth et Thérèse profitaient du temps des Fêtes et surtout de la soirée du Jour de l’an, alors que la famille élargie était réunie, pour nous raconter une anecdote sur les ancêtres Dorion ou Dorionne de la Haute-Ville de Québec dont, disaient-elles, descendait la grand-mère maternelle de ma grand-mère Mathilde, Nathalie Dorion. Je ne devrais pas écrire « raconter » puisque tout le monde dans la famille la connaissait, cette anecdote. Disons plutôt qu’elles la rappelaient à la mémoire de tous, pour le plaisir de ma grand-mère, Mathilde, ainsi que de mes oncles et de mon père. L’histoire avait été relayée de génération en génération dans la famille.
… et rapportée par Philippe Aubert de Gaspé. Elle était certainement venue aux oreilles de l’écrivain Philippe Aubert de Gaspé qui en fait la narration dans ses Mémoires. L’incident se passe juste peu après la Conquête de 1760. Québec était alors une ville nouvellement conquise par les Britanniques et fort étroitement gardée à chacune des portes qui donnaient accès à la Haute-Ville. Trois petites, du nom de Dorionne, s’étaient présentées au poste de guet d’une de ces portes alors que l’heure du couvre-feu était déjà dépassée. Et avaient été interpellées assez rudement par un soldat. Leur réponse, à la fois empreinte de crainte et de candeur, est ainsi consignée par Philippe Aubert de Gaspé: « Trois jeunes sœurs canadiennes, âgées de douze à quinze ans, revenaient gaiement du théâtre du sieur Barbeau, vers neuf heures du soir, lorsque la sentinelle postée à la porte Saint-Jean leur cria d’une voix de stentor : Who comes there?( Qui vive?) Soit frayeur, soit ignorance de la réponse qu’elles devaient faire, les jeunes filles continuèrent à avancer, mais à une seconde sommation faite d’une voix encore plus éclatante que la première, l’aînées des jeunes filles répondit en tremblant : « Trois petites Dorionne come from the Marionnettes ». La sentinelle voyant ces jeunes filles leur dit en riant : « Pass trois petites Dorionne come from de Marionnettes! » (Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, Québec, NS Hardy, Libraire-Éditeur, 1885, 523 pages, pp.349 et 350).
D’après les spécialistes, les petites en question auraient été Anne et Geneviève Dorion, filles de Pierre Dorion et de Geneviève Deguise dit Flamand, âgées respectivement de quinze ans et treize ans, et Madeleine, leur cousine, fille de Jean-Marie-Dorion et de Marie-Thérèse LeNormand, âgée de onze ans .
Marionn-ettes rime avec Dorionne! L’anecdote a ceci d’intéressant qu’elle nous renseigne sur la façon dont le nom de la famille était alors orthographié et prononcé : c’était Dorionne, et non Dorion. D’où l’association euphonique avec les marionn-ettes!
Les Dorion, bouchers de père en fils, entrepreneurs et dynamiques. Je descends effectivement, par la branche maternelle de ma grand-mère, Mathilde Gosselin, d’une famille de bouchers établis dans la Haute-Ville de Québec depuis environ 1680 et qui y ont exercé cette profession pendant au moins quatre générations. Leur nom de famille était Dorion. Leur itinéraire est intéressant et caractéristique de cette classe moyenne qui réussit lentement, à force de labeur mais également en investissant dans l’éducation de ses fils, à s’élever dans la petite société de la Nouvelle-France puis, après la Conquête, à frayer, voire s’unir, avec des anglophones. Ce sera une famille d’entrepreneurs urbains dont les murs de Québec ne réussiront pas à contenir toutes les soifs d’aventure! Certains de ses membres iront chercher fortune ailleurs. Mais cela, on le verra ultérieurement.