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97 – David Gosselin, mémorialiste et homme de coeur

9701L’homme de cœur émerge enfin! Dernier volet de la personnalité de David Gosselin : le mémorialiste et homme de famille. C’est la dimension du personnage qui m’aura rejoint le plus, dans ma démarche.

Au crépuscule de sa vie, empruntant les chemins de la mémoire, pour utiliser l’expression consacrée, tout comme il l’avait fait pour le récit de ses années d’études au Petit Séminaire de Québec (voir Chapitre 92, David Gosselin un oncle craint et peu aimé), David Gosselin rédige ce qui tient lieu de mémoires, laissant enfin son cœur s’exprimer, sans notes ni supports méthodologiques. Son but : léguer un témoignage à ses neveux et nièces sur la vie que connurent leurs parents et ses propres parents à lui. Et brosser un portrait affectueux de son village natal et de ses habitants.

Comme sa mémoire est phénoménale et qu’il semble n’avoir rien oublié de ce qui avait imprégné son enfance, le portrait qu’il en dresse est prenant et l’émotion, palpable.

Un monde gravé dans sa mémoire et dont il n’a rien oublié. David Gosselin indique ainsi en introduction du premier tome de Figures d’hier et d’aujourd’hui à travers Saint-Laurent, Île d’Orléans : « … ces pages sont de l’histoire vécue, la photographie d’un monde auquel j’ai été intimement mêlé, qui a longtemps évolué sous mes yeux, avec lequel je suis toujours resté en communion (…). Ces souvenirs ont été rédigés sans fiches, sans notes, sans le moindre bout de papier griffonné d’avance et déposé au fur et à mesure au fonds d’un tiroir » ( David Gosselin, Figures d’hier et d’aujourd’hui à travers Saint-Laurent, île d’Orléans, tome I, Québec, Imprimerie franciscaine missionnaire, 1919, 320 pages, p. XXII de l’introduction).

Il laisse tomber la garde et la faconde, prenant un réel plaisir à dépeindre le village où il est né et où il a grandi, de même que certains de ses habitants, morts ou vivants. Une galerie de portraits. Des plus connus de ses acteurs aux moins connus : Les maîtres d’école qui se sont succédé, Toussaint, Couture, Côté et surtout Lapierre, ont chacun droit à un hommage bien senti, mais nuancé.

Des plus connus aux plus humbles. David Gosselin s’attarde autant sur les êtres humbles, silencieux, comme Pierre Labonté, qu’il décrit en ces termes, dans le tome III : « Il était « chaloupier ». Ce paroissien, sans ascendants ni descendants, à Saint-Laurent où il a passé une partie de sa vie, est sûrement l’un de ceux qui ont fait le moins de bruit. Il portait bien son nom, car il était la bonté en tout :dans sa démarche, dans son parler et dans ses rapports sociaux. Sa femme, dont le prénom était Lumina, était fille de( sic) Antoine Godbout, « chaloupier » lui aussi. Il est mort avant d’être un vieillard, sans laisser d’enfants, et a été inhumé à Saint-Laurent. Je dois n’omettre volontairement aucune figure, importante, secondaire ou même insignifiante. Puisque j’ai l’intention de ressusciter le Saint-Laurent du demi-siècle dernier, il me faut le ressusciter identique à lui-même et, par conséquent, mentionner à leur place, les nébuleuses aussi bien que les étoiles de première grandeur » (Id., tome III, p. 19).

Hommage senti à ses parents, Joseph Gosselin et Soulanges Lapierre. De ses parents, il soulignera la bonté et la simplicité. Il n’essaye pas de les auréoler d’une gloire qui ne leur reviendrait pas. Mais l’hommage est bien senti : « Leur vie matrimoniale peut donc se résumer dans les termes suivants : quarante-deux ans de labeur, de sacrifices, et de bonheur dans le fidèle accomplissement des devoirs d’état, assaisonnés de quelques pincées de bonheur purement humain » (Id. tome II, 324 pages, p. 30).

9702Et sur lui… rien! De lui-même, David Gosselin ne révélera rien, pas plus qu’il ne l’avait fait dans son ouvrage sur ses années d’études au Petit Séminaire de Québec. Il a pourtant inséré dans son ouvrage cinq photos de lui, dont deux où il apparaît, à peine sorti de l’adolescence, et avec une épaisse chevelure. On eût aimé en savoir davantage sur ce jeune homme et sur ce qui l’animait. Peine perdue!

9700aLouis, Pierre, Jean, Henriette et les autres. Chacun de ses frères et sœurs a droit à quelques paragraphes, voire quelques pages. D’eux qui, comme lui, ont grandi dans ce village puis l’ont quitté pour faire leur vie, il brosse un portrait vivant, empreint de la nostalgie la plus authentique : celle qui nous vient quand, contemplant chacun de ces itinéraires, on en dresse ultimement le bilan des succès et des gloires, mais aussi des malheurs et des revers.

Il y a ainsi LOUIS, arpenteur, zouave pontifical posté à Rome de 1868 à 1870 dont il revint considérablement affaibli par une fièvre quelconque, contractée pendant « un cantonnement sur le site de l’ancien camp d’Annibal » ( Id. tome II, p. 144). Marié à une « demi-irlandaise » : l’expression est de David Gosselin lui-même, dans la même section de texte, et qui illustre de façon éloquente quelle était sa disposition d’esprit à l’égard des étrangers.
PIERRE, de santé fragile, devenu arpenteur lui aussi après un détour par l’architecture, marié à Rosalie-Félixine Lefrançois. Le couple n’eut pas d’enfants. Très doué pour l’algèbre et la trigonométrie : « Il eût été un excellent professeur dans les choses de sa sphère. C’est grâce à lui que, dans une leçon de deux heures, j’ai parfaitement compris la trigonométrie, et que je me suis familiarisé avec la résolution des triangles égaux et inégaux. Mon professeur était trop savant pour ses élèves et, aujourd’hui encore, je suis assez impertinent pour douter qu’il comprenait bien ce qu’il nous expliquait » ( Id., tome II, p. 144).

JEAN, diplômé en droit, extrêmement brillant au plan intellectuel, mais qui semble avoir vécu toute sa vie plus ou moins comme un invalide, au grand dam de ses médecins « perplexes et scindés sur le diagnostic » : « Sans une indisposition qui le força d’abréger la dernière séance du baccalauréat ès-lettres, il eût concouru pour le prix du prince de Galles, car il lui manqua seulement quatre points pour les quatre-cinquièmes. (…) Après cette traversée mouvementée, il espérait une accalmie qui lui permettrait de suivre régulièrement le cours des sciences. Loin de là, ce fut la maladie qui suivit son cours (…). Alors pas d’autre alternative pour cet élève infortuné que d’être son professeur de sciences comme de belles-lettres ». ( Id., tome II, p. 149).

FRANÇOIS-XAVIER, le cadet de la famille et de toute évidence le préféré de David Gosselin, dont il énumère les titres : Avocat, associé d’Ernest Cimon à Chicoutimi, protonotaire de la Cour supérieure de Chicoutimi à compter de 1886; l’un des fondateurs-directeurs de la Compagnie de pulpe de Chicoutimi, directeur du chemin de fer Roberval-Saguenay, président de la Caisse populaire de Chicoutimi, etc. Ouf! David Gosselin vante, outre ses succès professionnels, ses qualités intellectuelles, le fait qu’il possède une « bibliothèque bondée d’amis choisis, de tout âge et de tout tempérament, qui savent parfaitement causer de littérature, d’histoire, etc. » (Id., tome II, pp 153 et 154). Il déplore seulement que son frère, dont il dit qu’il a une excellente plume, n’ait pas plus de temps à consacrer à l’écriture d’une Histoire du Saguenay, pour la confection de laquelle il disposerait de toute la documentation pertinente.

FRANÇOIS-RÉGIS, mon arrière-grand-père, marié à Mary-Ann O’Neill, d’origine irlandaise, considérée de ce fait à priori avec méfiance par David Gosselin. Avocat, et qui occupera les fonctions de protonotaire de Chicoutimi avant d’être forcé de démissionner par suite de son alcoolisme et d’être remplacé par son propre frère, le talentueux François-Xavier. Une triste histoire, un secret de famille, dont je dévoilerai davantage d’éléments dans la dernière partie de mon écrit, quand je m’attarderai sur l’enfance de Mary-Ann, cette Irlandaise mal-aimée. David Gosselin s’étend longuement sur les nombreux talents de ce frère doué mais timide, « doué d’une mémoire restée légendaire, juriste plus que plaideur, sans vocation pour les choses de la politique » (Id., tome II, p. 140) et qui, enfant, avait stupéfié ses professeurs du Petit Séminaire par ses nombreux talents : «  M. Adolphe Légaré, plus tard procureur, lui dit un jour, sur un ton dont la sévérité était feinte : « Mon petit bonhomme, gare à vous, si les pancartes vous mentionnent toujours parmi les premiers! ». Intimidé, car il fut un timitde jusqu’à la fin, l’enfant répondit  « qu’il ne faisait pas exprès » ( Id, tome II, p. 139).

David Gosselin mentionne ses trois soeurs, en se remémorant le décès de l’une d’elle, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Son premier contact avec la mort. Il s’étend plus longuement sur ses deux autres sœurs, jamais mariées, et qui le suivront fidèlement pendant vingt-cinq ans : Adeline et Henriette. Non seulement le suivront-elles mais elles lui serviront respectivement de gouvernante et de secrétaire, sans que jamais semble-t-il il ne s’offusqua de la chose : David Gosselin était bel et bien un homme de son époque!

ADELINE, sa gouvernante. Elle décédera au presbytère de Charlesbourg, en 1904, l’année de la naissance de mon père, et sera inhumée à Saint-Laurent-Île -d’Orléans: « Après avoir passé les deux tiers de sa vie à la maison familiale, se dépensant pour ceux qu’elle affectionnait, elle prit la direction de mon presbytère, et me débarrassa -18 ans durant- des ennuis de ce qu’on appelle les affaires de cuisine » (Id., tome II, p. 135).

HENRIETTE, secrétaire particulière de David Gosselin et qu’elle secondera dans ses travaux de recherche. Celle dont me vient l’un de mes prénoms de baptême.

«  Diplômée de l’École normale Laval en 1860, elle enseigna trois ou quatre ans, puis elle renonça, pour raisons de santé, à une carrière qu’elle aimait passionnément. Elle réside avec moi depuis vingt-cinq ans, menant un genre de vie en harmonie avec ses goûts » (Id., tome II, p. 141).

David Gosselin indiquera, dans l’Introduction du premier tome de ses mémoires, la nature de la contribution d’Henriette à ses travaux : celle d’une lectrice consciencieuse et renseignée : «  Quoiqu’il en soit, sauf les millésimes que je n’ai pu tous contrôler « de visu », je garantis l’authenticité et l’exactitude des moindres faits relatés dans ces deux volumes de souvenirs, révisés, précisés et rectifiés parfois par une sœur qui connaît Saint-Laurent aussi bien que moi, et dont la mémoire, malgré ses soixante-dix-sept ans, est encore presque impeccable » ( Id., tome I, p. XIII).

Aurait-il autant écrit et publié, sans l’appui de cette collaboratrice de l’ombre?

Décès et funérailles : priorité au clergé. Ce bourreau de travail, tyran et implacable, écrivain prolifique, généalogiste et chroniqueur des familles Gosselin et Bédard, pour mon plus grand profit, décède, le 2 mars 1926. Ses funérailles sont célébrées le 5 mars, en la Chapelle des Sœurs Franciscaines, en présence de nombreux dignitaires religieux de la région, qui signent le registre. On note également la présence de l’archevêque de Régina, monsieur Olivier Elzéar Mathieu. Mais aucune signature de membres de la famille Bédard, représentée par Germaine, fille de Joseph-François Bédard (voir chapitre 70, Joseph-François Bédard, montréalais d’adoption).

9703Ferdinand Verret ne se déplacera pas pour les funérailles Étonnant de la part de cet homme affable qui ne dédaigne ni les déplacements ni les cérémonies : « Je n’ai pu aller aux funérailles, ne sortant guère en hiver, mon frère à l’hôpital, Luc à la besogne. La famille y était représentée par Germaine » (Ferdinand Verret, Op. cit., 5 mars 1926).

Voyons Ferdinand! Trop craintif de l’hiver? Plutôt suffisamment dégoûté du personnage pour s’abstenir de lui rendre un dernier hommage!

David Gosselin et son arbre. David Gosselin aura été un être éminemment désagréable et complexe qui emporta avec lui les secrets qui le tourmentaient. Rien ne sert de lui en tenir rigueur, nous qui n’avons pas eu à subir ses foudres. Attardons-nous plutôt en signe d’adieu à la dernière page de ses mémoires.

Y est reproduit un dessin, vraisemblablement de sa main, représentant un arbre. Celui-ci comporte trois parties bien distinctes et dont la symbolique est simple à décoder : Dans le sol, une série de racines qui descendent profondément dans la terre, témoignant de l’assise solide de cet imposant végétal. Dans la partie supérieure, des branches multiples et entrelacées qui essaiment dans toutes les directions, manifestation éloquente de sa vitalité. Troisième élément de cette symbolique, le tronc de l’arbre, imposant et solide. Les noms de Gabriel Gosselin et de sa femme, Françoise  Lelièvre, y sont inscrits, pont entre deux univers, celui d’où l’on vient ( Combray et la vieille France), et celui où l’on va (La Nouvelle-France) et qui continuera de se multiplier.

Une dédicace en latin, au bas du croquis, semble donner la parole à l’ancêtre Gabriel Gosselin. Tirée de la première épître de Saint- Paul aux Corinthiens ( chapitre 3, verset 6), elle donne à peu près ceci en français : « Moi, j’ai planté, Dieu a veillé à la croissance ».

David Gosselin avait trouvé son arbre.
98 - Les racines oubliées

 

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