Un curé qui en impose… David Gosselin sera curé de Charlesbourg de 1899 à 1920. L’historienne Reine Malouin le décrit comme « un grand intellectuel, un homme d’une force de caractère imposante », ajoutant qu’il « devait jeter du lustre sur la paroisse où il exerça son ministère pendant vingt ans » (Reine Malouin, Charlesbourg 1660-1949, Les Éditions La Liberté Inc. Québec, 1972, pp. 83 et 85). Le presbytère, construit en 1885, existe toujours. Imposant, carré, érigé juste en haut de la côte d’où monte la Première Avenue. La vieille église, reconnue monument historique, est situé de biais. Le curé Gosselin dominait les lieux, dans tous les sens du terme. S’il lui arrivait de prendre ses aises sur la large véranda qui fait le tour du presbytère, la vue qu’il avait de Québec, vers le sud, était imprenable. Mais s’accordait-il la moindre pause, entre ses fonctions de curé, de rédacteur de La Semaine religieuse et du Bulletin paroissial, sans compter ses écrits à teneur religieuse ou polémique?
… et y laissera un legs précieux : l’histoire des familles de Charlesbourg. Au cours des années, les paroissiens de Charlesbourg, reconnus pour avoir du caractère, reprocheront au curé Gosselin de délaisser l’entretien de leur église, tant l’extérieur que l’intérieur. Ferdinand Verret partagera leur point de vue et consignera à quelques reprises ses frustrations dans son Journal. David Gosselin n’avait cure de ces considérations terre-à-terre. C’était un curé dédié et énergique qui allait léguer aux paroissiens de Charlesbourg un bien inestimable : leur histoire!
Le curé ne chôma pas. De 1899 à 1906, Il entreprit, en plus de son ministère, de dresser l’inventaire des familles du village, comme il l’avait fait pour la famille Gosselin, pour les familles fondatrices de l’Île d’Orléans et pour le village de Cap-Santé. Une fois l’inventaire dressé, il le publia, en 1906, sous le titre : Dictionnaire généalogique des familles de Charlesbourg. Le livre fait 592 pages!
Technique de l’inventaire généalogique pour les nuls. Mon grand-oncle maîtrisait impeccablement la technique de l’inventaire généalogique. Son ouvrage sur Charlesbourg, qu’il qualifie de « dictionnaire », est précédé de ce qui pourrait s’appeler : « Méthode de généalogie à l’usage des débutants! » : « Un arbre généalogique, on le sait, est le tableau des ascendants et des descendants d’une famille, et permet de constater la parenté et les degrés de parenté qui peuvent exister entre les membres de cette famille. En matière de parenté, il faut distinguer la souche, le degré, la lignée. La souche est celui de qui sort une suite de descendants. Le degré est la distance qui existe entre les parents et leur souche commune… » (David Gosselin, Dictionnaire généalogique des familles de Charlesbourg, op. cit., Avant-propos, p. XVIII).
Et ainsi de suite. Il précise ce qu’il faut entendre par lignée, ascendante et descendante, lignée collatérale, etc. L’ouvrage impressionne par son ampleur et par sa rigueur. Combien lui aura-il- fallu d’heures d’incursion dans les registres des baptêmes, mariages et décès de la paroisse, essayant de s’y retrouver dans l’enchevêtrement des mêmes prénoms, repris de génération en génération? Un village où on se mariait entre voisins, cousins, ou à tout le moins entre gens de ce creuset, pourtant si près de la ville et en même temps si loin! Et où on se reproduisait allègrement, suivant en cela les préceptes de l’Église!
L’ascendance Bédard comme exemple de la méthodologie utilisée. David Gosselin utilise l’ascendance de sa nièce Mathilde, et de son mari, Joseph-Arthur, mes grands-parents paternels, pour illustrer comment sont consignées les informations sur chaque famille, ainsi que les normes qu’il utilise. Puis, tout comme il l’a fait pour ses précédents travaux de généalogie, il entreprend de décrire chacune des familles, incluant bien évidemment la famille Bédard, depuis l’arrivée de chacune d’entre elles en Nouvelle-France : « Charlesbourg, en effet, est le berceau d’un groupe notable de familles. Qu’il nous suffise de mentionner, entre autres, la famille Bédard, dont les rameaux, éparpillés ça et là, sont actuellement au nombre de près de six cents. » ( Id., p. VIII).
Une omission involontaire? Ben voyons! David Gosselin, en généalogiste sérieux, remonte-t-il le cours du temps pour retracer les origines réelles des Bédard, avant leur arrivée en colonie? On pourrait penser que oui, étant donné la persévérance qu’il a démontrée précédemment à retracer ses propres origines familiales, celles des Gosselin. Eh bien non! Il se limite à indiquer qu’Isaac, le premier de la lignée du nouveau monde, est originaire de la paroisse catholique de Saint-Sulpice, près de La Rochelle, qu’il se maria en 1645 et fut inhumé à Charlesbourg le 15 janvier 1689. Il fait ainsi d’Isaac et de sa famille des catholiques d’office, ce qui est faux, en ce qui concerne l’appartenance religieuse d’Isaac (voir Chapitre 57, Les racines huguenotes des Bédard). Mon grand-oncle occulta fort probablement et fort sciemment la chose! Il ne pouvait pas, connaissant son caractère minutieux, ne pas connaître nos racines huguenotes, et peut-être même celles qui les avaient précédées!
La consanguinité, un cocktail explosif. Mais une dimension particulière de cet ouvrage retient mon attention : C’est le motif, additionnel, pour lequel David Gosselin recommande de mener des recherches généalogiques et surtout de faire circuler auprès de ses paroissiens l’information ainsi produite : sa préoccupation à l’égard des maladies congénitales et de la consanguinité. Il ne cache pas que l’un des buts de ce dictionnaire est de permettre de : « Constater en un clin d’œil, à la veille d’un mariage, l’absence de parenté ou l’existence d’une parenté simple, double et triple quelquefois, entre les futurs époux (…) Sa première et sa principale utilité sera donc de prévenir les mariages nuls, qui privent les époux du sacrement institué pour les sanctifier, et qui entraînent souvent de graves difficultés temporelles » ( Id., p. VIII).
C’est ce qui constitue, explique-t-il, le « caractère » de ce Dictionnaire, et qui « laisse deviner les services qu’il rendra, non seulement à cette paroisse, mais aussi à une foule d’autres paroisses. ». On sait qu’à l’époque les mariages au sein d’un même village étaient chose courante, avec les conséquences sur les risques de consanguinité qui en découlaient. Les francophones catholiques étaient encouragés à se marier entre eux, pour préserver la langue et la religion. Charlesbourg n’échappait pas à la règle. On s’était beaucoup reproduits, mais au sein du même creuset. Remonter sur trois, quatre, cinq générations, permettait d’identifier des liens de parenté qui pouvaient s’avérer problématiques et vecteurs de maladies héréditaires. C’était, comme argumentaire, inattaquable. Et tout à l’honneur de David Gosselin.
Impossible de déterminer quel accueil fut réservé à son ouvrage, au sein des familles du village. Il deviendra pourtant un outil de référence indispensable encore aujourd’hui pour qui veut remonter le fil de l’histoire de ce village.
Son égo continue de prendre de l’expansion. Après avoir collectionné les titres et les hommages, dont celui de membre de la Société Royale du Canada, il est nommé chanoine en novembre 1915, puis prélat domestique du Pape en 1920, ce qui lui conférera le titre de « monseigneur ». Un article élogieux, dont il a sans doute révisé le contenu, lui est consacré dans l’Événement du 25 novembre 1915, pour souligner son élévation au titre de chanoine et le fait que la paroisse a ramassé la coquette somme de $ 1 040.75 qui lui a été remise à titre d’hommage : « Une belle fête paroissiale a eu lieu ce matin à Charlesbourg à l’occasion de l’élévation récente de M. l’abbé D. Gosselin curé de la paroisse à la dignité de chanoine honoraire du chapitre de Québec. » (L’Événement, Québec, 25 novembre 1915).
Après la déclinaison de tous les membres du clergé de la région qui assistent à la cérémonie, ainsi que des notables, parmi lesquels est soulignée la présence d’Alphonse Bédard, chevalier et zouave ( voir Chapitre 62, Alphonse Bédard, zouave pontifical) , celle également d’Amédée Gosselin mais pas celle du mari de sa nièce, mon grand-père Joseph-Arthur, on nous résume l’adresse que le docteur Grondin, un collègue d’études de David Gosselin, lui livre. Et surtout le discours du jubilaire, dont voici quelques extraits : « Merci de votre royale souscription. Merci également des éloges que vous adressez à votre humble curé. Si les jugements des hommes étaient les jugements de Dieu, je serais presque un être privilégié. Mais les mérites et les qualités que vous me prêtez sont plutôt le langage du cœur. Votre curé, si vous me permettez d’en causer cinq secondes, est franc et loyal, juste pour vous tous, autant que le comporte l’informité humaine, soucieux de vos intérêts spirituels et temporel, presque toujours dans la guérite, l’arme au bras, prêt à faire feu sur ceux qui peuvent tuer vos âmes. » (Id.)
On le voit, sa fougue à défendre les âmes contre le mal ne se dément pas!
L’être hypersensible commence à émerger… Une photo qui date de 1915 nous le montre dans toute sa splendeur de chanoine, arborant fièrement les attributs vestimentaires rattachés à son titre de chanoine. Il en impose!
David Gosselin a alors entrepris la rédaction de ses mémoires et les publiera en 1919. Derrière l’homme sec et caustique émerge progressivement un être hypersensible, qui voue à ses frères et sœurs et ses parents, en particulier à sa mère, une tendresse infinie. Lorsqu’il faudra remplacer les cloches de l’église de Charlesbourg, en 1907, et faire l’acquisition de trois nouvelles, il en baptisera une Soulanges, en hommage à sa mère : « Marie-Soulanges Élizabeth pèse 2619 livres, donne la note « mi » et compte pour parrains….et marraine… » (Bulletin paroissial de Charlesbourg, année 1907, Société d’histoire de Charlesbourg, p. 75).
Le message ultime qui subsistera finalement de cet être tourmenté et si peu attachant, en apparence, pourrait être le suivant : il ne faut pas oublier. Alors, en toute justice et équité, tendons l’oreille et écoutons le mémorialiste s’exprimer, avant que le rideau ne retombe…