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87 – Le rapprochement des continents : Ferdinand Verret et les Bédard

8700Joseph-Arthur Bédard, mon grand-père paternel, avait éprouvé de sérieux problèmes financiers, qui tenaient à son inaptitude à gérer ses biens ou à son insouciance. Sa famille en avait beaucoup souffert. Heureusement, son beau-frère, Ferdinand Verret, le sauva du naufrage en l’embauchant comme son « voyageur de commerce ».

Toute la famille à l’emploi de Ferdinand Verret. Ferdinand Verret semble avoir pris à son service non seulement son beau-frère, Joseph-Arthur, mais également plusieurs membres de la famille immédiate à partir des années 1919 dont les trois fils de Joseph-Arthur, parmi lesquels mon père, Urbain. Et surtout tante Élizabeth comme employée régulière du magasin général et de la poste! Ferdinand décrit dans son Journal, chaque printemps, l’opération au cours de laquelle on sort ses chères ruches après leur hibernation. La famille Bédard au complet a été sollicitée et a mis l’épaule à la roue. Et bien évidemment, il les rémunère! Les affaires et la famille s’imbriquent étroitement l’une dans l’autre. Ce sauvetage financier par Ferdinand fut soigneusement gommé des annales familiales. Or que serait-il advenu de ses membres sans Ferdinand? D’autant que Mathilde, ma grand-mère, souhaitait que ses fils fassent des études. Il fallait donc économiser en vue de l’inscription de Lucien, David et Urbain, mon père, au Petit séminaire de Québec. Heureusement qu’oncle Ferdinand était là!

Heureusement, il y a Lizzie. Ferdinand sera blessé par l’attitude hautaine des Bédard à son égard au cours des années et notera ses états d’âme à plusieurs reprises dans son Journal. Les plaies se cicatriseront avec le temps. Le ressentiment cédera la place à une forme de trêve négociée, puis à la paix. L’affection que Ferdinand Verret portait à ma grand-mère, Mathilde, que tous surnommaient « Lizzie », à cause des racines irlandaises de sa mère, Mary-Ann O’Neill, y fut sans doute pour quelque chose. Il admirait son courage, sa détermination, son sens de la famille et son hospitalité. Elle avait d’ailleurs la réputation d’être une sacrée cuisinière! De dix ans plus jeune que mon grand-père, il semble bien qu’après les déboires financiers de ce dernier, elle ait pris les rênes du ménage en main. Ce que Ferdinand appréciait sûrement.

Les couples que forment Ferdinand et Lucie, et Joseph-Arthur et Mathilde, s’apprivoiseront au cours des années. Les premiers seront invités fréquemment chez les seconds, pour les célébrations du Nouvel An par exemple, qui constituaient au Canada français l’événement que l’on soulignait. Et à l’occasion duquel on sortait la belle vaisselle. Ma grand-mère Mathilde était connue pour sa « tête fromagée », une tête de porc farcie, cuite et servie telle quelle. Cœurs sensibles s’abstenir!

Noël, en revanche, demeurait essentiellement une fête religieuse et célébrée sobrement. Mon père me racontait qu’enfant, il accompagnait ses parents aux trois messes de minuit, le 24 décembre. On rentrait de la messe, assez fourbus. Un repas léger était servi. Pas de cadeaux sous l’arbre; chacun des enfants se voyait plutôt offrir une orange fraîche, un luxe pour l’époque. Sans plus.

Un long apprivoisement. Tout est prétexte à une escapade en auto. Il est question presque chaque semaine d’une ballade pour visiter sœur Jérôme (voir chapitre 69), faire le tour de l’île d’Orléans, aller se recueillir sur les tombes des parents décédés et « visiter les morts de la famille », saluer la sœur de Mathilde, Madame de Saint-Georges, à Cap-Santé. Ou Éphraïm, médecin à Saint-Malo (voir chapitre 68). Les occasions ne manquent pas. D’autant qu’à l’époque le repos dominical est imposé par l’Église. Oisiveté obligée! Comme Ferdinand consigne le tout minutieusement dans son Journal, ce qu’il en écrit constitue une mine d’informations inestimable sur ma famille et sur l’évolution de ses relations avec cette dernière.

Mathilde, ma grand-mère, est presque toujours de la partie, sauf pour les séjours à Montréal chez Joseph-François, le « docteur » (voir chapitre 70) comme l’appelle Ferdinand, de qui Mathilde semble moins près, mais que Ferdinand admire beaucoup, même s’il s’affiche comme libéral. Alphonse (voir chapitre 62) et Cléophas (voir chapitre 66) semblent rarement, sinon jamais, de la partie.

8703bDes voyages, gracieuseté de Ferdinand! Ferdinand adore les voyages et les déplacements. On se rend en Gaspésie, puis au Lac St-Jean. Ferdinand fera la narration de cette dernière équipée au Lac St-Jean, les 21, 22 et 23 août 1934. Sont du voyage : la sœur de Ferdinand, Elzida qui met son auto, une Packard, à la disposition du groupe; son mari, Arthur Rochette et père d’Émilien Rochette; Joseph-Arthur et Mathilde, Ferdinand et Lucie. Plus un chauffeur. Sept personnes qui sillonnent le Lac St-Jean, dorment à l’hôtel, toutes dépenses assumées par Ferdinand. On s’amuse ferme : « À 9h tout le monde est en voiture. On se dirige vers Stoneham-Parc des Laurentides-Hébertville.

« En route Arthur Rochette devient malade : peu accoutumé à la route des montagnes, il a le mal de mer. Il se met près du chauffeur pour descendre plus facilement de voiture. On mangea des sandwiches en route. Une bouteille de vin fut bue en cours de route pour nous égayer. On arrive à Hébertville. On décide de filer à l’ouest. On se rend à Roberval. Mes gens entrent à l’église et moi je cherche un logis. J’entre au Château Roberval, un très bon hôtel. On est sept personnes, à souper, coucher et déjeuner. Pouvez-vous nous recevoir à un prix raisonnable? Le jeune Hamel prit son crayon et me dit : On sera heureux de vous recevoir pour $12.

On se dirige vers Bagotville, Port Alfred et Grande Baie. J’entre à l’hôtel Commercial. Le propriétaire nous reçoit en souriant. Je lui dis que Hamel du château Roberval nous l’avait recommandé. Il me répondit : Vous me payerez le prix de Roberval : $12 piastres (…) »  Journal de Ferdinand Verret, 21, 22 et 23 août 1934

Joseph-Arthur a besoin d’allumettes… et se trompe de chambre! Ferdinand se bidonne en nous narrant l’épisode suivant, durant l’escapade au Saguenay :  « À l’hôtel Commercial, j’occupais avec Lucie une chambre. Une autre, le no 18, avait été offerte à Lizzie et Elzida. Et le no 19 aux deux Arthur. Or pendant que les hommes causaient en bas, les deux dames décidèrent de prendre, pour elles, la chambre 19 et s’y établirent. Elzida était déjà au lit quand Arthur Bédard eut besoin d’allumettes et alla en chercher dans sa valise. Il essaya d’entrer dans le 19. Mais impossible de se faire ouvrir. Il vint demander à Tardif, le maître d’hôtel, quel était le numéro de sa chambre. C’était le 19. Or mon gars remonta et se fit ouvrir la chambre et aidé de Rochette ils décidèrent de rester dans le 19. Les femmes furent obligées de vider les lieux avec leur bagage. Les hommes en frais de rire ne voulurent rien savoir. Cet incident nous causa beaucoup de plaisir, le long du voyage. » Ferdinand Verret, op. cit.

On n’oublie pas les affaires… Ferdinand profite du voyage pour passer saluer des apiculteurs ainsi qu’un dénommé Brassard qui fut naguère maître de poste. On cause de pommiers et de cerisiers. Monsieur Brassard déplore le fait que les cerises dans la région ne sont pas bonnes. Qu’à cela ne tienne : Ferdinand lui fait don de quelques douzaines de grappes et lui indique, à partir des graines, comment les faire germer afin de produire des cerisiers.

Un voyage chargé de souvenirs pour Lizzie. Le voyage est également l’occasion pour ma grand-mère, Mathilde, de revoir la ville où elle a vécu, enfant : « (…) On visite la jolie petite ville d’Arvida où on voit de larges pelouses et de nombreux massifs de fleurs. Chicoutimi nous offre sa jolie et (illisible) cathédrale : Mde Bédard revoit la ville où elle a passé ses douze premières années. Elle voit des maisons où elle a passé (sic). »

8702bOn le sait maintenant, Ferdinand savait tout, mais n’écrivait pas tout… Ma grand-mère, Mathilde, s’était-elle ouverte à son beau-frère sur son enfance à Chicoutimi, marquée par les déboires professionnels et de santé de son père, et dont nous parlerons plus loin dans le blogue?

Un demi-secret de famille… On poursuit l’itinéraire et on s’arrête à La Malbaie. On en profite pour visiter deux nièces de Mathilde, filles de sa défunte sœur Ida : Françoise, mariée à Buies Le Moine, et Blanche Savard, qui a trouvé refuge dans le presbytère de son frère, Félix-Antoine, suite aux revers de fortune de son mari, Pierre Vézina : «  À la Malbaie les Bédard vont voir une nièce, Mde Lemoine. Aux chutes Naird on entra au presbytère où la sœur du curé, Antoine Savard (absent) est la ménagère. C’est la nièce de Lizzie. Une fort jolie et gentille personne dont le mari, Pierre Vézina, ancien maire de Chicoutimi et qui y habitait un château et y menait la vie sur un haut tempo, se vit réduit à la pauvreté complète. Le pauvre diable, malade, est heureux d’avoir un abri chez le pauvre curé. Sa femme, Blanche, prend assez bien les choses et sait aussi bien se tirer d’affaire sans le sou, comme aux jours où l’argent ne comptait pas. Quant au mari Vézina, 47 ans, c’est un homme fini, sans influence, sans ami. »

Un couple que Mathilde ne visita vraisemblablement pas était son ex beau-frère, Louis-Joseph Savard, époux de sa sœur Ida, décédée le 26 mars 1927. Il s’était remarié avec une femme beaucoup plus jeune que lui, dont il avait fait la connaissance alors qu’elle travaillait comme ménagère au presbytère de la paroisse dont son propre fils, l’écrivain Félix-Antoine Savard, était curé! De ce mariage, célébré le 29 juin 1932, naîtront trois enfants. L’histoire avait fait les délices des potineurs du coin. Mais pour la famille Savard, qui pavoisait haut à Chicoutimi, il s’agissait d’une mésalliance qui s’ajoutait aux déboires du mari de Blanche.

8704aUne réelle affection pour les Bédard. Les deux couples en viendront à se fréquenter assidûment au cours des années et à s’apprécier : «  Dimanche sombre et pluvieux. Lucie et moi restons à la maison. Arthur et Lizzie prennent le dîner avec nous. Arthur se prépare à commencer la vente et nous en causons. Il débute par Beauport (Ste-Thérèse). On joue aux cartes et on écoute la radio qui le soir a été difficile par la pluie et le grésil. » (14 février 1936)

Il en ira de même avec l’ensemble du clan Bédard, que Ferdinand en viendra à inviter régulièrement à sa table. Il relate ainsi dans son Journal le réveillon auquel Lucie et lui ont convié l’ensemble des frères et sœurs de Lucie, accompagnés de leurs conjoints et de plusieurs de leurs enfants, le 10 octobre 1926. Même Mélanie, qui vit à Montréal, est là. Ferdinand, qui se qualifie de maître de cérémonie et qui est plutôt porté sur le décorum, ne manque pas de noter qu’il s’agit du premier repas de famille auquel les Bédard sont invités après les tensions du début des années 1920, et que sa Lucie en est très heureuse. Après avoir mentionné que la plupart des visiteurs, qui chantent tous très bien, se sont exécutés, il trace le plan de table du repas, première tablée, car il y en aura une seconde!

Les tensions des premières années ont disparu. Le temps arrange tout… D’autant que Ferdinand est très attaché à ses neveux et nièces, dont mon père, Urbain. À suivre…

88 - Deux filles sacrifiées : tantes Élizabeth et Thérèse

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