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86 – Joseph-Arthur et Ferdinand Verret : un mariage forcé

Le feu et l’eau. On peut difficilement imaginer deux personnalités plus différentes que celles de Joseph-Arthur Bédard, mon grand-père paternel, et de  Ferdinand Verret, son beau-frère. Rappelons pour mémoire que ce dernier était le mari de Lucie Bédard, sœur de Joseph-Arthur, et qu’il vouait à sa femme une affection jamais démentie.

Autant Joseph-Arthur était artiste, et  sans doute imprévoyant, autant Ferdinand était méticuleux, organisé et très honnête. Toutes les conditions étaient réunies pour provoquer entre ces deux personnalités fortes d’inévitables conflits. C’était sans compter sur le destin qui change parfois totalement la donne et force des individus à se côtoyer, voire à  travailler ensemble. Qui plus est, à assujettir l’un des deux à l’autorité de l’autre!

Joseph-Arthur à l’emploi de Ferdinand Verret. C’est Ferdinand Verret qui, après le naufrage financier de Joseph-Arthur,   le sauvera de la misère en l’embauchant à partir de 1912 environ  comme son voyageur de commerce. Comme le Journal de Ferdinand pour la période entre 1888 et 1911 est demeuré introuvable, on ne dispose pas de ses commentaires au quotidien sur les tribulations de son beau-frère. Dommage. Il nous eût fourni des clés pour ouvrir ce coffre à secrets. Ferdinand qui savait tout. Ferdinand l’homme d’affaire prudent et avisé. Ferdinand qui souffrira au cours des années du mépris des Bédard à son égard, comme on le verra plus loin. Mais Ferdinand qui voulait sincèrement sauver la famille de son beau-frère de la misère, car il aimait sincèrement Mathilde et les enfants.

Ferdinand ne ménagera pas les commentaires affectueux à l’égard de sa « chère Lizzie » au cours des années. Mais se limitera, quand il mentionne Joseph-Arthur, à  noter les activités de celui-ci pour l’entreprise Verret. Ou à reconnaître qu’il chantait fort bien. Cela en soi constituait un « statement » comme on dirait en anglais.

8602a8603Joseph-Arthur sillonne la région pour le compte de Ferdinand. Ferdinand indiquera dans son Journal à l’occasion du décès de mon grand-père, en 1941, qu’ « Arthur fut le commis voyageur du magasin pendant 30 ans. » Quelles étaient les attributions de mon grand-père? Il sillonnait la grande région de Québec et proposait les produits de grainerie de l’entreprise Verret à partir du catalogue maison. À plusieurs reprises, au cours de ces années, Ferdinand fera mention des déplacements nombreux qu’Arthur effectuait pour lui. Il demeurera à son emploi jusqu’en 1940, l’année précédant son décès.

Un modeste salaire. Les émoluments que Ferdinand Verret versait à son beau-frère n’étaient pas élevés. Corrects sans plus. On ne roulait certainement pas sur l’or. J’ai  retrouvé dans les bilans de fin d’année que Ferdinand dressait fidèlement chaque fin décembre, dans son Journal, confirmation du salaire que, de 1920 à 1941, il lui versera : Ainsi, de 1920 à 1935 inclusivement, Joseph-Arthur toucha  $ 200 par année avec une exception, en 1935, où il toucha plutôt $ 250. En 1936 et 1937, son salaire fut de $ 150. En 1938, 1939 et 1940, il toucha  $ 120.

On est loin du salaire annuel de mille dollars que Joseph-Arthur touchait dans les années 1910 comme employé de l’État! Cela permettait tout juste de garder la tête hors de l’eau! Cette reconversion dans le commerce, et sous l’autorité de son beau-frère, heurta sans doute l’ego de mon grand-père. Mais avait-il le choix?

Ferdinand se heurte aux rouges : les Bédard! Si Joseph-Arthur dut faire face à l’autorité de Ferdinand, celui-ci en revanche goûta à la médecine des Bédard quand il était question de politique. Car il était de commune renommée que la ferveur libérale des Bédard n’avait d’égale que la toute aussi ardente ferveur conservatrice de Ferdinand!  Même Lucie, sa femme demeurera indéfectiblement libérale malgré son mariage avec Ferdinand. Celui-ci notera ainsi dans son Journal au sujet de son mariage avec Lucie : «  Je venais d’épouser une Bédard de la famille la plus rouge du Canada, et elle-même, une libérale avancée. », Ferdinand reprochera à sa belle-famille de se laisser emporter par son aveuglement libéral. Mais lui-même succombera à l’enthousiasme inverse et ce, à plus d’une occasion! «  La vague conservatrice est très forte… la vague bleue » (27 juillet 1930).

Trahi par Joseph-Arthur Bédard. Ferdinand croisera le fer avec les Bédard au cours des années essentiellement pour des motifs de nature politique. On sait par les nombreuses allusions dont il essaimera ses chroniques qu’il estimera avoir été trahi par les Bédard, surtout Joseph-Arthur, lors des élections municipales de Charlesbourg de 1921, qui porteront au pouvoir Frank Byrne, un libéral notoire et son ennemi juré. 

8604Homme d’affaires à l’aise financièrement et très impliqué dans son milieu Byrne est celui-là même qui avait consenti des prêts importants à mon grand-père en 1911. En 1924 il avait acheté d’un dénommé H. Fontaine l’Hôtel Victoria, alors à son apogée, un hôtel de prestige. À noter que ce dénommé Fontaine était un des quatre propriétaires d’hôtels de Québec que mon grand-père avait identifiés comme tiers-saisis dans la cause qui l’opposait à Jules Bolduc en octobre 2014 (voir Chapitre 85). Tout cela pour dire qu’entre Byrne et mon grand-père, les relations dépassaient le strict cadre de la politique municipale de Charlesbourg. D’ailleurs on peut se demander : mon grand-père fréquentait-il l’hôtel Victoria, ou ses équivalents? 

Ferdinand se voyait maire de Charlesbourg. Ferdinand estimera avoir été dupé par Joseph-Arthur et par le docteur Beaudet, un notable de Charlesbourg. Ceux-ci, après avoir signé sa mise en candidature, le laissèrent tomber. Rien de moins!

Ferdinand aurait voulu devenir maire de Charlesbourg et faire mordre la poussière à Frank Byrne. Or celui-ci demeurera maire de Charlesbourg pendant dix ans, de 1921 à 1931! Et, de 1921 à 1925 inclusivement, Joseph-Arthur siégera comme échevin au sein de son équipe (Source : Archives de la Ville de Québec, Liste de tous les membres des conseils municipaux de Charlesbourg). Tout un bail! Joseph-Arthur ne ressentit-il pas une petite gêne face à son « patron », Ferdinand?

Un peu d’histoire. Les élections de 1924 créèrent beaucoup de commotion dans le village. Pour les villageois qui avaient de la mémoire, on dut y voir une répétition des élections municipales de 1858 où le père de Joseph-Arthur, Joseph-Urbain, avait été partie prenante d’une contestation publique entre deux commissaires d’élection, soient Édouard Robitaille et Édouard Glackemeyer, qui chacun à leur tour déclaraient l’élection valide mais pas avec les mêmes vainqueurs. Il avait fallu l’intervention de la justice et la tenue d’une élection additionnelle pour calmer enfin le jeu.

Les élections municipales de 1924 donnèrent également lieu à quelques péripéties.  En effet le président d’élection, Amédée Dorion,  avait écarté un candidat, Henri Lemieux,  sur présentation de preuves  tentant à démontrer qu’il ne pouvait briguer les suffrages des électeurs. Là encore le vote dut être annulé et de nouvelles élections tenues. Le vote fut donc repris le 12 mai 1924 et les candidats de l’équipe Byrne élus. En voici les résultats:

Arthur-Urbain Bédard : 249 voix
Adélard Paradis : 249 voix
Joseph-Elzéar Bédard : 244 voix
Jos. Renaud : 106 voix

La Société d’histoire de Charlesbourg a consacré un numéro à l’élection de 1858 (numéro d’octobre-novembre et décembre 1985) et surtout à celle de 1924 (numéro d’octobre-novembre 1986). On y cite des extraits de L’Événement du 13 mai 1924 sur le sujet : «  À la suite de la proclamation des élus du jour, les amis des nouveaux conseillers se réunirent, près d’une centaine, à la résidence du maire, M. Frank Byrne, où fut célébrée la victoire de l’ancienne administration municipale. » Ferdinand ne fut certes pas du nombre des invités à la célébration!

Ferdinand Verret mortifié et blessé. C’est ce qui rend d’autant plus difficile pour nous de comprendre comment, pendant des années, Joseph-Arthur et Ferdinand continueront de se côtoyer au plan professionnel malgré ce qui s’était passé! Les propos de Ferdinand refléteront son amertume, sa colère : «  Ce matin, je suis allé au presbytère demander de chanter une messe d’action de grâce le 23 à l’occasion du 25e anniversaire de notre mariage, Lucie et moi, pour remercier Dieu de ses bienfaits. C’est tout ce que nous ferons ce jour. Vu la situation difficile que nous traversons. Les Verret voulaient organiser une fête mais c’était difficile à plusieurs membres de la famille Bédard de venir nous présenter leurs souhaits après avoir agi envers moi comme ils l’ont fait. » (8 novembre 1922).

«  Je ne peux oublier l’abus des uns et la trahison des autres. Et franchement j’ai des difficultés à être martyre dans ma maison et à me défendre contre les ( illisible) d’une famille qui m’a causé tant de peine. Se faire écraser par l’abandon de ses frères ou leur trahison au moment du danger, c’est trop fort. Franchement, c’est trop fort » ( 24 juin 1923).

Ses propos comporteront également à l’occasion une bonne dose de cynisme, car il reproche non seulement aux Bédard de l’avoir dupé, mais déplore leur naïveté quant à l’emprise de Byrne sur mon grand-père : « J.A. Bédard : Celui-ci porte le joug sans paraître en souffrir : laissons-le à sa gloire ».

Ce que femme veut… Pendant toutes ces années il fréquentera sa belle-famille mais uniquement pour ne pas déplaire à Lucie, qui y tenait. Car pour elle la famille c’était sacré. Et il le savait. Et de ces commentaires amers, mais surtout des compromis douloureux auxquels Ferdinand dut se plier, émerge la personnalité de Lucie. Peu loquace, mais par ailleurs toujours aimante, charmante. Et inébranlable quand il était question de solidarité avec sa souche, celle des Bédard. Ferdinand, si fier, si sensible en même temps, dut accepter des compromis. Jamais il ne jeta le blâme sur Lucie pour lui reprocher quoi que ce soit. Quelle grandeur d’âme… ou quelle élégante façon de préserver l’harmonie au sein de son couple. 

87 - Le rapprochement des continents : Ferdinand Verret et les Bédard

 

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