Mon grand-père, l’avant-dernier des enfants du couple Joseph-Urbain-Olivette. Après cette longue mais nécessaire déclinaison de leur progéniture, introduisons maintenant celui des fils de Joseph-Urbain Bédard et d’Olivette qui aura été instrumental, bien qu’indirectement, dans ma venue au monde. Il fut, à sa manière, différent et original, au sein de cette famille dont on doit reconnaître qu’elle avait un certain relief! Il s’agit de mon grand-père paternel, Joseph-Arthur Bédard.
Né et baptisé le 4 mars 1866 à Charlesbourg, il occupera pendant un temps la fonction d’Inspecteur des Terres et Forêts, puis celle d’employé municipal du village de Charlesbourg. Investisseur téméraire et malchanceux, il deviendra finalement voyageur de commerce pour le compte de son beau-frère, Ferdinand Verret. Il était reconnu pour sa voix hors du commun et ses talents de chantre.
Un grand-père que je n’ai pas connu. Joseph-Arthur est mort d’un cancer de la gorge six ans avant ma naissance, fin 1941. Je ne l’ai jamais connu. Je suis donc incapable de restituer sa présence, son odeur, l’intonation de sa voix. Ou son regard. Tout à l’opposé de ma fréquentation d’Alfred, mon grand-père maternel (voir chapitre 2, Chez mon grand-père maternel). Cela change énormément la perspective. Alors il me faudra m’appliquer afin de rendre justice à ce Joseph-Arthur aux traits flous, mais combien intéressant. Voici, d’entrée de jeu, un extrait de l’hommage posthume qui lui fut rendu dans le Bulletin paroissial de Charlesbourg :
« Nous avons le vif regret d’annoncer la mort d’un de nos vieux concitoyens, monsieur Arthur Urbain Bédard, décédé le 24 octobre dernier, à l’âge de 75 ans, après une courte maladie. Monsieur Bédard jouissait de l’estime de tous ses concitoyens et sa mort creuse un vide profond au milieu de nous. Chantre des messes sur semaine depuis plus de 35 ans, c’était l’homme de devoir par excellence, toujours au poste, réglé comme l’horloge, malgré la distance, malgré la température. Mais sa réputation comme chantre s’étendait bien au-delà de la paroisse et il n’est guère d’église dans tout le comté de Québec qui n’ait joui de sa voix si chaude et si sympathique. Aussi lui-a-t-on fait des funérailles solennelles auxquelles tout la paroisse était représentée, mardi le 28 octobre. » (Bulletin paroissial de Charlesbourg, 1941, disponible à la Société d’histoire de Charlesbourg).
Suite au décès de mon grand-père, Ferdinand Verret nous livrera un portrait de Joseph-Arthur ainsi qu’un résumé court mais complet de sa vie.
Né l’avant-dernier de la famille, Joseph-Arthur fut suivi de près par son frère Joseph-François, né en 1868. Vingt ans séparent de plus Joseph-Arthur de sa sœur aînée Floristine, née en 1846 (voir chapitre 61), et de son frère Alphonse, le zouave, né en 1847 ( voir chapitre 62), et qui sera son parrain. Comme Floristine ne se mariera jamais et qu’elle habitera jusqu’à sa mort dans la maison ancestrale, on peut penser qu’elle aura peut-être entretenu avec Joseph-Arthur une relation de parent à enfant. Ou qu’ils auront à tout le moins été en contact durant toute leur vie puisque Joseph-Arthur héritera ultimement de cette demeure et s’y installera avec femme et enfants jusqu’à sa propre mort, à lui. Suite au décès de mon grand-père, Ferdinand Verret nous livrera un portrait de Joseph-Arthur ainsi qu’un résumé court mais complet de sa vie.
Études au Petit Séminaire de Québec. Joseph-Arthur fréquenta vraisemblablement l’école primaire à Charlesbourg. Il étudia ensuite au Petit Séminaire de Québec, comme ses frères Éphraïm et Joseph-François, mais ne semble pas y avoir terminé toutes ses études. Les registres de l’institution nous indiquent qu’il y était entré le 5 septembre 1880, à l’âge de quatorze ans, et qu’il y demeura jusqu’au terme de la troisième année du cours classique, en 1884-1885, donc sans terminer sa rhétorique non plus que les deux années dites de philosophie.
Un tempérament d’artiste? Une chose est sûre : il était beau! J’ai repéré dans les Archives de l’institution, qui sont maintenant partie prenante du musée du Petit Séminaire, une photo de lui. On devine l’adolescent à peine sorti de l’enfance. Mince, mais avec un visage bien auréolé, chevelure abondante, jolie bouche pulpeuse, yeux pétillants. Élégant dans ce qui semble être un ensemble de laine cardée, il ressemble à un jeune fils de bonne famille qui rêverait d’une vie de bohème. Il ne venait pas de toute évidence d’une famille démunie, même s’il s’agissait d’une famille d’agriculteurs.
Dans la famille quand on décrira Joseph-Arthur, du moins dans les conversations entendues quand j’étais enfant, ce sera toujours sous les traits d’un artiste, amateur de chant et d’opéra. Mais cela n’était qu’une dimension du personnage, le reste ayant été gommé, fort probablement, comme je le découvrirai lors de ma quête généalogique et de mon exploration du Plumitif du ministère de la Justice!
Études supérieures à l’École normale Laval. On retrouve ensuite Joseph-Arthur inscrit à l’École normale Laval. Les trois premières écoles normales du Québec avaient vu le jour en 1857 : Outre celle de Québec, il s’en était ouvert deux à Montréal, celle de Jacques-Cartier pour les francophones et celle de MacDonald pour les anglophones. La mission de ces institutions, créées en 1856, était de former des enseignants, autant masculins que féminins, des écoles primaires. Mais elles étaient également reconnues pour former des artistes de la relève, en arts visuels et en musique notamment, et dont les plus doués pouvaient ainsi partir étudier en Europe, surtout en France, grâce à un système de bourses mis en place par l’institution.
Sur un tableau regroupant les frais de scolarité, j’ai repéré le nom de mon grand-père parmi les étudiants de l’année scolaire 1885-1886, dans la classe des élèves-maîtres externes. La classe compte quatorze étudiants. Le détail du montant de la scolarité, sur une base mensuelle, est noté. Arthur semble faire partie du groupe des plus fortunés, et dont les familles déboursent $ 2.50 par mois! C’est le cas de six d’entre eux. Les autres déboursent $1.50 et $1.25. Enfin un dénommé Aldéric Plante ne paye rien. Il est inscrit comme « pauvre ». Comme les données antérieures et postérieures du dossier général des inscriptions, conservé aux Archives nationales, ont disparu, j’ignore en quelle année il s’inscrivit.
Pas un phénix! J’ai cependant repéré son nom parmi les finissants de la promotion 1887-1888, celle des élèves instituteurs. Ses résultats scolaires? Il est plutôt poche en dictée française (29.0 sur 60.0), en arithmétique (9.9 sur 15.0) mais se reprend en agriculture (12.0 sur 12.0!) et en pédagogie (14.0 sur 20.0), deux disciplines où ses collègues font piètre figure. Il ne semble pas figurer sur la liste des élèves les plus méritants qui se voient décerner des prix. Sans doute fut-il très déçu, mortifié même, s’il ne se mérita pas les honneurs réservés aux plus talentueux. Car, si tel avait été le cas, il aurait pu bénéficier d’une bourse d’études et, qui sait, étudier le chant en Europe ou ailleurs. Or rien de cela ne se réalisa…