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72 – Lucie, la bien-aimée

La beauté de la famille. Née et baptisée le 5 octobre 1859 en l’église du village de Charlesbourg, Lucie-Marie-Joséphine, était la benjamine des filles du couple Joseph-Urbain et Olivette Bédard. Elle vécut dans la maison ancestrale jusqu’à son mariage, à l’âge de trente-neuf ans, ce qui en faisait presque une vieille fille!  Grande et élancée elle était considérée comme la beauté de la famille. On la disait douée d’une voix harmonieuse.

Elle entretiendra de bonnes relations avec ses frères et sœurs et sera même la seule de la famille à se déplacer à Montréal pour assister aux funérailles de Mélanie, la mal-aimée de la famille. Elle ne cherchait pas la confrontation avec les autres en cas de conflit et préférait la négociation, sinon la patience, en cas de querelles au sein de leur famille élargie.  Pourquoi Lucie ne s’était-elle jamais mariée ? Mystère. Ce que nous connaissons de Lucie provient directement du Journal de Ferdinand Verret.

7200Troisième cas de figure : le mariage. Lucie est la seule des quatre filles du couple Joseph-Urbain/Olivette à s’être jamais mariée. Deux de ses sœurs, Floristine (chapitre 61) et Mélanie (chapitre 71)  n’avaient jamais convolé. À l’époque une femme qui ne trouvait ou ne prenait pas mari devait impérativement être hébergée chez un membre de la famille.  Furent-elles heureuses? On peut en douter.  L’autre fille de la famille, Joséphine, elle, entrera en religion (chapitre 69) mais semble avoir réellement choisi cette voie de façon libre et éclairée.

Une observation générale sur le statut différent des hommes et des femmes dans la famille Bédard et sans doute dans la société canadienne-française de l’époque, qui commençait à s’ouvrir sur le monde: Il n’était pas rare qu’un jeune homme aille chercher fortune à l’extérieur, et même aux États-Unis, quitte à rentrer au bercail si l’aventure tournait court. Ce sera le cas d’Elzéar et de François-Joseph Bédard. Une jeune fille, elle, ne jouissait pas de la même liberté, sauf si elle accompagnait son mari. Sans chaperon ou mari, pas de mobilité possible! Cela campait les choses!

Mariage avec Jacques-Ferdinand Verret. Lucie épousera Jacques-Ferdinand Verret, le 23 novembre 1897, en l’église de Charlesbourg. Elle a trente-huit ans, son mari, un an de moins. Ils se connaissent depuis toujours, puisqu’ils ont grandi dans le même village, participé aux mêmes fêtes et célébrations dans les maisons des uns et des autres. Difficile d’imaginer qu’il se soit agi  d’un coup de foudre.  Si on se rapporte aux canons de l’époque, elle était une vieille fille, mariée sur le tard! Et lui… célibataire endurci? Le couple n’aura pas d’enfants. Il n’empêche… Lucie et Ferdinand formeront  pendant quarante-cinq ans un couple extrêmement uni jusqu’au décès de Lucie, le 19 octobre 1943.

7203Ferdinand : un bon parti. Jacques-Ferdinand Verret était né à Charlesbourg, y avait été élevé et s’y sentait chez lui. C’était un notable. La famille était connue dans le village puisque Jacques Verret, le père de Ferdinand, s’y était installé en 1856, d’abord comme boulanger, puis comme  marchand général et maître de poste. Le commerce avait pignon sur rue en plein centre de Charlesbourg, au Trait-Carré. À cette époque où ni les réfrigérateurs ni les congélateurs n’avaient été inventés on achetait son pain sur une  base presque quotidienne.  Un commerce fort prisé dans un village comme celui de Charlesbourg. Et sûrement un lieu de rencontre et de « jasette ». C’est Moïse, frère de Ferdinand, qui reprendra le commerce à la mort de Jacques Verret.

 Ainsi, Lucie se liait à une famille dont les racines n’étaient certes pas aussi anciennes que les siennes, mais une famille bien implantée dans le village.  Ses parents et ceux de Ferdinand s’étaient connus, fréquentés. Un aboutissement naturel et logique, suppose-t-on, pour deux êtres sensibles qui, la maturité aidant, chercheront l’âme sœur. Et la trouveront.

Il n’existe aucune photo de leur mariage. Par contre, la carte de vœux à l’intention des nouveaux époux, signée par chaque employé du magasin Verret et dont on peut supposer qu’elle leur fut présentée le jour de la cérémonie du mariage, a été heureusement conservée par le petit-neveu de Ferdinand Verret, Michel, qui est également le petit-fils de Moïse. 

Lucie, partenaire à part entière de son mari. Lucie aura la chance d’épouser un homme à l’aise financièrement mais surtout un être qui traitera sa femme avec déférence et l’associera étroitement à ses activités commerciales. Elle ne se retrouvera pas confinée à la maison, bien au contraire, car Ferdinand aimera qu’elle l’accompagne le plus souvent possible dans ses déplacements.  Lucie continuera de fréquenter assidûment la famille Bédard, avec l’assentiment de son mari qui aimait les fréquenter et les recevoir.

On peut aisément  imaginer que l’existence de Lucie, aux côtés de cet homme généreux et attentionné, ait été comblée. 

Lucie, maîtresse de poste du village de CharlesbourgApprécier que sa femme l’accompagne dans ses déplacements était une chose. En faire une partenaire en bonne et due forme en était une autre… Ce que fera Ferdinand, en 1890 en décrochant pour Lucie le contrat de la poste pour le village de Charlesbourg. Jusqu’alors c’était lui, et avant lui son père, qui étaient maîtres de poste.

7204bIl fit  ajouter un étage supplémentaire à la maison, dont l’étage, au-dessus de la poste, devint le domicile du couple. Et transforma le rez-de-chaussée en bureau de distribution du courrier avec des casiers, un guichet et une salle d’attente. C‘était devenu le lieu de rencontre des habitants du village, ce qui ne nuisait certainement pas à ses autres activités commerciales! J’y suis allée enfant, en compagnie de mon père, pour prendre notre courrier. Ferdinand et Lucie étaient alors décédés, mais les lieux étaient demeurés à peu près inchangés. D’ailleurs tante Élizabeth y travaillait. Je me souviens fort bien des casiers de bois verni et du guichet, en partie grillagé, derrière lequel  tante Élizabeth se tenait.

Je n’ai retrouvé aucune photo intérieure du bureau de poste, que ce soit à la Société d’histoire de Charlesbourg ou dans les archives de Postes Canada, non plus que dans les archives personnelles de  Michel Verret, petit-neveu de Ferdinand.  Ce que je conserve en mémoire, c’est l’odeur si caractéristique de papier et de colle de ces lieux par ailleurs fort fréquentés.

Un peu d’histoire : Le courrier de faveur. Il avait fallu attendre jusqu’en 1854 pour que le gouvernement fédéral accepte de desservir Charlesbourg pour le transport de la « malle ». Avant cette date les résidents s’organisaient entre eux pour faire descendre leur courrier à Québec, ou l’en ramener. On appelait cela le courrier de faveur. À partir de 1854, donc, un contractuel rémunéré par le fédéral assurait le transport de la malle, une fois la semaine, le mardi. Ce n’est qu’à compter de 1859 qu’un bureau de poste ouvrit et qu’un maître de poste y exerça les responsabilités de la fonction de façon quotidienne et permanente. Entre 1859 et 1886, deux maîtres de postes se succédèrent dans la fonction.

Nul ne se souvient trop de ce qu’il advint entre 1886 et 1890, date où la famille Verret obtint le contrat de la poste. Elle allait le conserver, soit sous le nom de Lucie soit sous celui des Verret,   jusqu’en 1943, ce qui est tout un bail! Il semble qu’aucune critique quant à la façon dont la poste était tenue durant toutes ces années n’ait jamais été formulée. Un incident touchant une lettre reçue décachetée, et que Ferdinand relate dans ses mémoires,  donna lieu à une plainte, prestement retirée quand il devint évident que la responsable de ce méfait était une fillette, à la mère de laquelle la lettre était adressée. Ferdinand savait veiller au grain, c’est le cas de le dire!

Un secret bien gardé. On croyait dans le village que le maître de poste était non pas Lucie, mais Ferdinand. Un secret bien gardé sur lequel le couple ne levait pas le voile! Elle détiendra le titre pendant des décennies et se verra décerner par le gouvernement fédéral, le 14 juin 1935, une médaille pour ses trente ans de services!

Pourtant jamais personne ne vit Lucie s’affairer à la « malle », comme on disait à l’époque. Elle tenait maison, mais avec l’aide d’une bonne, recevait les membres de sa famille ou leur rendait visite, et accompagnait Jacques-Ferdinand lors de ses déplacements. C’est Ferdinand qui « faisait marcher la shop »! Elle était la reine du foyer, et c’est ce que Ferdinand appréciait! Les dossiers d’archives de Postes Canada indiquent bien que Lucie B. Verret fut maître de poste du bureau de Charlesbourg, comté Montmorency, du premier août 1890 au 19 octobre 1943, date de son décès. Ce bureau de poste sera fermé le 28 mars 1960. Ce qui correspond à la date où tante Élizabeth, simple employée, dut accepter d’être transférée à Valcartier (voir chapitre 44, Tante Élizabeth).

7201Lucie, une  muse inspirante et diplomate! Lucie demeurera au fil des années la muse incontestée de Ferdinand, qui prendra plaisir à décrire sa beauté, sa gentillesse, les vêtements qu’elle achète, car il apprécie la voir toujours impeccablement vêtue comme une bourgeoise.

Les photos du couple qui ont été conservées nous les montrent tous les deux impeccablement vêtus, portant fourrure en hiver. Même à un âge avancé, toujours élancée mais beaucoup moins svelte que dans sa jeunesse, elle avait fière allure. De là à dire qu’elle était belle… On devinait bien un visage fin, des yeux très pâles, une chevelure abondante et retenue sagement. Mais tout autant une certaine dureté dans le regard, une bouche aux lèvres minces qui ne semblaient pas sourire aisément. J’y reconnais la physionomie de tante Thérèse, sa nièce (voir chapitre 43, Tante Thérèse). Son mari lui vouait une adoration, forcément subjective,  qui ne se démentira jamais.  N’était-ce pas ce qui comptait? 

Que pensait Lucie? Paradoxalement, jamais il ne donnera la parole à Lucie dans son Journal. Pas une seule fois il ne citera de ses propos ou remarques. Alors qu’il formulera des commentaires abondants et fouillés sur chacun de ses frères et sœurs, saluant la joie de vivre de sœur Jérôme,  le dévouement de ses sœurs Floristine et Mélanie par exemple. Comme si elle eût été silencieuse, ce qu’elle était en partie, car on devine une femme diplomate et qui savait comment amadouer son Ferdinand, surtout dans les périodes où les tensions entre la famille Bédard, rouge et viscéralement libérale, et Ferdinand, d’une toute autre allégeance politique, créeront des remous et des tensions. 

Elle demeure en ce sens une énigme. Épouse d’un homme si disert quand il s’agissait des autres, et si prolixe, on en est quittes à imaginer qui elle fut et ce qu’elle pensait…

Vieillesse et problèmes de santé. Avec les années, surviendront les ennuis de santé. Ferdinand éprouve des problèmes de prostate, mais sans jamais le dire nommément. Lucie, quant à elle, souffre de ce qui semble être un ulcère gastrique qui parfois saigne et la contraint à un régime alimentaire strict. Il lui arrive de plus en plus fréquemment de devoir garder le lit. Les visites du médecin se font de plus en plus fréquentes. Une infirmière s’installera finalement à demeure pour veiller sur Lucie.

Décès de Lucie et de Ferdinand. Lucie s’éteindra le 19 octobre 1943.Le chagrin de son mari sera à la hauteur de l’affection qu’il lui portait : immense. C’est mon père qui marchera aux côtés de Ferdinand dans la nef de l’église de Charlesbourg lors des funérailles et qui accompagnera son oncle en automobile au cimetière. Le tout, consigné par Ferdinand dans son Journal.

Ferdinand la suivra, le 5 juillet 1946. Jusqu’au dernier moment il continuera de descendre au magasin et à la poste, et de consigner dans son cher Journal les faits et événements du jour ou de la semaine. La dernière entrée de sa main date du 28 mai 1946.

7202_V2Le plus beau des voyages… Laissons Ferdinand se remémorer avec émotion, à l’occasion du 45e anniversaire de son mariage avec Lucie,  la journée où elle devint sa femme  et la fête qui se déroula ensuite dans la maison ancestrale des Bédard. Comme il l’explique, à l’époque, pas question pour les nouveaux mariés de s’éclipser pour une lune de miel à Niagara ou à Miami : on se devait d’honorer les invités à la noce de sa présence.  Il aborde avec retenue, tout de même,  sa première nuit avec sa nouvelle épouse…

«  Lucie et moi, nous nous rappelons joyeusement que le 22 novembre 1897, avait lieu à Charlesbourg, dans un beau jour froid et ensoleillé comme aujourd’hui la bénédiction de notre mariage par l’abbé Verret. Dans un banquet, il y a quelque quatre ans, en famille, je me levai spontanément et dit : « Que le Seigneur avait guidé mes pas quand je décidai d’aller chercher dans cette maison la charmante et dévouée compagne de ma vie! ». Le choix de Lucie fut, pour moi, l’acte le mieux réussi de ma vie. (…) Les Bédard : toute cette famille si grande, le père Urbain, ses filles, ses garçons, ses brus, les cousines et amies de Lucie, il ne reste qu’elle encore debout. À cette époque, les mariés restaient avec les invités. Personne n’aurait songé à laisser leurs amis, leurs parents pour entreprendre un voyage à Montréal, Niagara Falls ou Miami. On s’amusait comme l’avaient fait nos pères depuis toujours. Et franchement, on savait s’amuser.

On prit le déjeuner chez mon père et vers 2h, on se rendit chez le père Urbain dans le manoir des Bédard où on passa la fin du jour. Aux grands dîners, il n’y eut pas de discours, l’époque n’était pas arrivée. Il fallut nous attendre encore un peu (…).

On se leva de table et on se dispersa dans les nombreux appartements de la belle maison construite 50 ans auparavant par la grand-mère, Marguerite Cloutier, veuve de J. Btte Bédard, mort prématurément. Les groupes se formèrent et la conversation alla bon train. À 8 heures arrivèrent les employés du magasin et une dizaine d’amis. Les cousines de Lucie vinrent me la présenter, parée pour la soirée. Elle était vraiment la reine du bal, par sa beauté incontestable et son élégance (…) Et Azarie Bédard, le violoniste, fit entendre les premières notes de son instrument. Et les danses commencèrent.

Le buffet resta ouvert pour ceux qui aimaient à y aller se restaurer. A 2h, la fête était finie. Les uns après les autres les invités nous quittèrent. Lucie entra dans sa chambre et moi, je m’assis dans un fauteuil où je songeai au grand changement qui m’arrivait dans la vie. Avoir une compagne à qui je devais donner amour, estime et affection.

Je frappai à sa porte. Je fus admis avec plaisir et là commença cette longue période de 45 ans dans un bon compagnonnage, dans une bonne camaraderie. Et le soir, au Quid retribuam, quand je remercie le Seigneur de nous avoir donné la plénitude de ses dons, je n’oublie pas la compagne dévouée de ma vie. Que le Seigneur soit béni! » ( Op. cit.)       

Source : Journal, le 22 novembre 1942, Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Comme tout cela est beau… Merci, Ferdinand.
73 - Ferdinand Verret, un gentilhomme rural

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