Un deuxième médecin dans la fratrie. Joseph-François Bédard était né le 28 octobre 1868 à Charlesbourg et avait été baptisé le même jour. Il deviendra médecin comme son frère Éphraïm, après avoir étudié au Petit Séminaire de Québec puis à l’Université Laval. Il fait ainsi partie de la deuxième cohorte des frères de mon grand-père, Joseph-Arthur : ceux qui accéderont aux études supérieures, contrairement à Alphonse, Cléophas et Elzéar.
Cela créa-t-il une césure dans la famille? Impossible de le déterminer.
Un élève plus indiscipliné que son frère aîné. Joseph-François étudiera au Petit Séminaire de Québec, comme externe, de 1880-1881 à 1887-1889, à l’instar de son frère Éphraïm. Mais en 1889 son nom apparaît sur la liste des élèves pensionnaires du Petit Séminaire. Était-ce parce qu’il était plus indiscipliné que son grand-frère Éphraïm? Cela pourrait être le cas, si on se fie aux commentaires consignés par ses professeurs dans ses bulletins scolaires.
Aucune mention particulière de Joseph-François non plus que de son frère Éphraïm dans les annales du Petit Séminaire ou dans les livres de comptes de l’institution. Ce qui signifie que leur père acquittait les factures et ne demandait pas de faveur particulière, ce qui arrivait lorsqu’une famille moins fortunée ou qui vivait des moments difficiles sollicitait un report d’échéance pour le paiement de la scolarité. Bref, un parcours scolaire sans soubresauts.
Les études de médecine… à des années lumières des formations d’aujourd’hui? Joseph-François suivra les traces de son frère Ephraïm et poursuivra des études de médecine à l’Université Laval. La Faculté de médecine était située dans la rue de l’Université, à deux pas du Petit Séminaire. Les photos intérieures qui ont été prises des lieux, qu’il s’agisse des laboratoires comme des salles de classe, nous renvoient l’image de tout sauf d’une salle où on procède à des dissections ou à des présentations avec support électronique! Leur arrivait-il d’assister à des interventions chirurgicales afin de se faire la main? Mystère…
Le nouveau diplômé sera reçu médecin en 1893. Il émigrera pendant un certain temps à Kansas City, aux États-Unis. Je n’ai pu déterminer de façon précise la durée de son séjour à l’étranger, ni les motifs de son choix d’émigrer. Mais il déclarera encore habiter Kansas City lorsqu’il reviendra à Charlesbourg pour prendre femme, le 12 septembre 1895.
Joseph-François épouse une Prendergast, douée pour la comédie et le piano. Sa femme s’appelle Marie-Aurélie Prendergas. Elle est plus âgée que son mari puisqu’elle est née le 8 novembre 1860. Elle est la fille d’un avocat et coroner du district de Québec, James Prendergast. Et la sœur d’Alfred Prendergast, un zouave qui se sera distingué en se rendant jusqu’à Rome, contrairement au frère de Joseph-François, Alphonse (voir chapitre 62- Alphonse Bédard, zouave pontifical). L’histoire de cette famille remonte à l’époque de la conquête de l’Angleterre par les Normands. On trouve trace d’elle dans la banlieue de Paris, où ils auraient été aubergistes ou gardiens le long de la route qui menait vers l’Allemagne. Puis les Prendergast auraient émigré vers l’Angleterre et l’Irlande.
Le premier Prendergast à émigrer en Nouvelle-France, James, grand-père d’Aurélie, serait arrivé comme soldat en 1805. Il prit progressivement du galon, devenant sergent. Participa à la guerre de 1812 contre les troupes de Napoléon, reçut sa décharge et retourna pour un temps en Irlande. Puis revint définitivement à Québec en 1820. Un parcours qui ressemble, à certains égards, à une valse hésitation. Les Prendergast étaient des citoyens respectés à Charlesbourg et des dévots reconnus.
Joseph-François épousait ainsi une jeune fille de bonne famille. Et si l’on en croît Ferdinand Verret, Marie-Aurélie était fort douée pour la comédie. Il ne tarit pas d’éloge sur son talent, qu’il avait pu admirer lors d’une soirée organisée à Charlesbourg, dans la maison des Hamel. Ces soirées étaient l’occasion pour les jeunes hommes et jeunes femmes de se fréquenter, sous l’œil bienveillant des adultes. On y représentait une pièce intitulée L’Auberge des deux canards dans laquelle Marie-Aurélie, encore célibataire, jouait un des deux rôles principaux. Mais Ferdinand, qui n’était pas toujours tendre avec les femmes qui ne rejoignaient pas son idéal de beauté, ne peut se retenir de mentionner sa laideur, en des termes peu équivoques : « C’est une comédienne qui, je le crois, serait capable de jouer la comédie même dans la vie, si l’occasion s’en présentait. La nature, qui l’a douée (sic) d’une intelligence vraiment supérieure, a oublié de lui donner un physique avantageux. C’est une de ces femmes de qui l’on dit : « Mon Dieu qu’elle est laide! ». À part cela, c’est un vrai bijou : musicienne quand elle le veut, elle est toujours prête à accompagner au piano n’importe qui et n’importe quoi ». (Journal, 21 novembre 1886).
Joseph-François pratique la médecine à Stoke-Centre. Le docteur Bédard et sa femme s’installèrent un temps à Weedon puis à Stoke-Centre, en Estrie, où il avait fait l’acquisition d’une propriété. Ils y sont selon le recensement fédéral de 1901. Je n’ai trouvé aucune photo du couple qui eut trois enfants : Madeleine, Thérèse et Marcel. Ce dernier deviendra plus tard un avocat, assez réputé, et exercera à Montréal. Il se présentera en 1935 comme candidat libéral aux élections fédérales, dans le comté de Richmond. Mais ne sera pas élu. J’ai retrouvé deux photos des enfants du couple à la Société d’histoire de Charlesbourg. Laquelle les avait obtenus d’une personne, non identifiée, qui disposait de photos trouvées dans la maison ancestrale de mes grands-parents. La deuxième photo montre Marcel vraisemblablement lors de son admission au Barreau.
Un beau regard, des lèvres bien ourlées, un nez volontaire. Les parents étaient sûrement fiers de leur progéniture. Je sais qu’il s’agit bien d’eux car je reconnais l’écriture de tante Élizabeth qui a noté à l’endos des photos les noms des enfants et la date où la photo de Marcel a été prise.
Suite au décès de son épouse, le 20 avril 1910 à l’âge de 49 ans, Joseph-François épousera en secondes noces, toujours à Stoke-Centre le 26 octobre 1912, Marie-Aurélie Labonté. Deux enfants naîtront de cette union : Gertrude et Cécile.
Changement d’orientation professionnelle et installation à Montréal. La nouvelle famille déménagera à Montréal après que Joseph-François y eut décroché le poste de « collecteur du revenu provincial », dans les années 1917-1918. Les Bédard étaient des libéraux de père en fils et, qui plus est, des militants convaincus. Était-ce grâce à ces « connections » qu’il obtint ce poste bien rémunéré? Je l’ignore. Je n’ai pu mettre la main sur l’arrêté en Conseil confirmant sa nomination, son titre exact et sa rémunération. Considérons cependant que si Ferdinand Verret consigne l’information dans Journal, ainsi que Georges-Henri Bédard dans sa contribution à Biographies et histoire des gens de Charlesbourg, le fait est non contestable.
François-Joseph fera l’acquisition d’une confortable maison, au 4572 rue Resther, pas très loin de l’avenue Laurier, tout en conservant la maison de Stoke-Centre comme résidence secondaire. Ferdinand Verret aimait bien rendre visite à ce beau-frère (Lucie, épouse de Ferdinand, en était la sœur). Il admirait sa réussite professionnelle et son aisance financière. On prenait le train du « CPR » comme l’écrivait Ferdinand, à destination de Montréal, et on passait quelques jours chez ce cher François-Joseph. Parfois mes grands-parents, Mathilde et Joseph-Arthur, étaient du voyage. On ne s’ennuyait pas!
L’annuaire Lovell : une mine de renseignements. C’est grâce à l’annuaire Lovell que j’ai pu repérer le nom de Joseph-François et vérifier que son adresse montréalaise était bien celle que lui attribuait Ferdinand Verret.
Quelques renseignements sur cet outil extrêmement utile pour les chercheurs : Publié par l’entreprise familiale Lovell à compter de 1863, cet imposant recueil réédité et mis à jour chaque année contenait la liste de chaque propriétaire/résident du Montréal métropolitain, avec son adresse et, le cas échéant, son occupation. L’annuaire Lovell comportait également une section consacrée aux commerces et une autre dédiée aux institutions fédérales et provinciales, tels les noms des députés, des juges, etc. Bref, un compendium d’informations de première main à une époque où contrairement à aujourd’hui on n’avait pas qu’à cliquer sur son portable ou son I-phone pour accéder immédiatement à une information constamment mise à jour!
L’annuaire Lovell est accessible en ligne sur le site des Archives nationales du Québec. Son pendant, pour la ville de Québec, est l’annuaire Marcotte.
Joseph-François à la trace… Joseph-François et sa famille semblent s’être installés à Montréal en 1916-1917 et avoir habité d’abord le 757, Marie-Anne E. Sa profession : « physician » car l’annuaire Lovell utilisait presqu’exclusivement l’anglais. Cela signifierait-il que notre nouveau Montréalais était à la fois employé de l’administration « provinciale » tout en continuant de pratiquer la médecine? Impossible de l’affirmer avec certitude. On retrouve les coordonnées de Joseph-François, avec la mention de sa profession, au 4572 rue Resther, jusqu’en 1930. En 1931, on ne mentionne plus sa profession. Et à partir de 1932, seul le nom de sa veuve sera indiqué.
Joseph-François décédera effectivement le 20 février 1932, vraisemblablement victime d’un malaise cardiaque comme son frère Ephraïm un an auparavant. Ferdinand Verret notera dans son Journal qu’il affichait un surplus de poids important. Ce qui me fait immanquablement penser à mon père : médecin, fumeur, mangeant trop et bougeant trop peu… décédé à l’âge de soixante-trois ans d’un infarctus.
Les funérailles se dérouleront à Montréal et l’inhumation à Stoke-Centre, où il fut mis en terre aux côtés de sa première épouse. Plusieurs membres de la famille Bédard de Charlesbourg et de Québec en état de faire le voyage prirent le train pour assister à ses funérailles. Le programme musical fut choisi par mon grand-père Arthur. Il y avait eu une importante tempête de neige la veille, mais cela n’empêcha pas ses frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, de se déplacer pour lui rendre un dernier hommage.
Ferdinand Verret note dans son Journal que le mauvais temps n’avait pas rendu les déplacements aisés. Et qu’à son retour, il avait trouvé son magasin général en bon ordre : C’est Élizabeth, sa nièce et ma future tante, qui était « en charge de la maison » (Journal, 24 février 1932).
Merci, Ferdinand! N’eût été de Ferdinand, on en aurait su fort peu sur ce frère de mon grand-père, au sujet duquel personnellement je n’ai jamais entendu la moindre allusion quand j’étais enfant. Et les interrogations demeurent, quant à son cheminement personnel : pourquoi avoir voulu émigrer à un moment donné? Pourquoi ce changement de cap professionnel? Mais encore? Comme il avait quitté Charlesbourg pour faire carrière comme médecin à l’extérieur du Québec puis en Estrie et à Montréal, il aura sans doute conservé peu de liens avec le village de Charlesbourg. Il était devenu un citadin montréalais à part entière, de même que ses enfants.
Ferdinand soulignera à plusieurs reprises le caractère travaillant, l’ambition mais tout autant la bonté de celui qui était son beau-frère. Et le remerciera d’avoir accueilli chez lui de façon permanente sa sœur Mélanie, une autre des filles du couple Joseph-Urbain et Olivette. Une Mélanie (voir chapitre 71) aux contours incertains, qui ne semble pas avoir été appréciée des Bédard. Y aurait-il eu un secret dans l’air?