Marie-Joséphine, fille de Joseph-Urbain et de Marguerite-Olivette, née le 15 janvier 1856. Décédée le 4 mars 1936. En religion : sœur Jérôme.
Un itinéraire de vie sans intérêt… du moins en apparence. Marie-Joséphine correspond au deuxième des trois cas de figure auxquels les femmes de cette époque étaient tenues (voir chapitre 61, Floristine, l’aînée de la famille) à savoir : l’entrée en religion. En effet, après avoir secondé Olivette, sa mère, dans l’entretien de la maison familiale, Marie-Joséphine Bédard prendra le voile le 25 mai 1884, à l’âge de vingt-huit ans, chez les Hospitalières de la Miséricorde de Jésus de l’Ordre de Saint-Augustin. Le monastère de Notre-Dame-des-Anges, car tel était son nom, était situé à l’Hôpital général de Québec.
Sœur converse, c’est-à-dire affectée aux travaux manuels, car elle avait quitté l’école à treize ans et n’avait pas reçu beaucoup d’éducation, elle se consacrera à l’horticulture et à l’apiculture, deux domaines d’intérêt partagés par plusieurs membres de la famille. Elle décédera le 4 mars 1936, à l’âge de quatre-vingt ans après avoir passé les dernières années de sa vie comme grabataire, en des souffrances éprouvantes. Elle ne pesait plus à la fin de sa vie qu’une soixantaine de livres alors que, jeune femme, elle était grande, élancée et plutôt costaude. De quoi était-elle affligée? D’une déviation de la colonne vertébrale, comme sa sœur Floristine. Un handicap qui, avec les années, l’empêchera progressivement de marcher puis même de se lever de son lit.
On parlait d’elle dans la famille quand il était question de José, le revenant, dont on disait qu’il avait fini ses jours à l’Hôpital général grâce à Sœur Jérôme (chapitre 61, Tante Floristine, l’aînée de la famille).
L’éloge funèbre de Sœur Jérôme : une trouvaille! Le plus stimulant, quand on mène une recherche généalogique, c’est de tomber sur des documents qui corroborent des informations jusque-là transmises oralement, et qui portaient sur des événements passés ou des personnes disparues depuis des lunes.
Ce que l’on a entendu révéler quand on était enfant reste gravé dans notre mémoire, sinon dans notre cœur. Mais avec le passage du temps et la disparition des témoins d’un passé révolu, on en vient parfois à douter de la véracité de ce qu’on pensait avoir entendu, ou recueilli comme confidences. Le souvenir s’érode. Les certitudes commencent à se lézarder. Exactement comme une vieille photo sépia qui s’estompe. Le doute, puis l’oubli, vont insidieusement s’installer.
Alors, lorsqu’on met la main sur des témoignages crédibles, authentiques, la vérité reprend toute sa place. Comme si la tradition orale se trouvait ainsi validée. Estampillée. C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai pris connaissance de l’éloge funèbre de Sœur Jérôme, paru le 11 novembre 1936, qui avait été rédigé par les autorités religieuses de l’Hôpital général suite au décès de mon arrière-grand-tante et que l’archiviste de l’institution, Sœur Juliette Cloutier, a aimablement sorti des oubliettes, de même que la seule photo qui existe de ma parente. La Société d’histoire de Charlesbourg ainsi que Michel Verret, neveu de Ferdinand Verret, disposaient déjà d’une copie dudit éloge (voir le PDF ci-joint).
L’Hôpital général de Québec : une trouvaille encore plus bouleversante. L’archiviste, Sœur Cloutier, a 93 ans bien sonnés. Au cours de sa longue carrière, elle a été d’un précieux concours aux chercheurs qui ont fait appel à ses connaissances pour plonger dans les archives de l’institution ou écrire l’histoire de ce joyau de notre histoire. Elle est une encyclopédie vivante. Avoir pu circuler en sa compagnie dans certaines sections de l’Hôpital général, admirablement bien conservées et dont elle connaît intimement l’histoire petite et grande, a été un privilège.
Érigé sur les bords de la rivière Saint-Charles, l’Hôpital général a été fondé en 1692 par monseigneur de Saint-Vallier sur les bâtiments qui avaient été la propriété des Récollets. Sa mission, demeurée inchangée, était de prodiguer des soins aux pauvres, aux vieillards et aux invalides, incluant les « aliénés ». L’institution recèle une riche collection d’œuvres d’art des XVII et XVIII siècles souvent uniques en Amérique du nord et d’objets réalisés par les Amérindiens. Et surtout l’intérieur en a été préservé et restauré avec soin : plafonds boisés, planchers et boiseries entretenus à la cire d’abeille, longs corridors blanchis à la chaux qui mènent au réfectoire, aux parloirs, aux salons. La lumière si particulière qui filtre à travers ces fenêtres à carreaux… un pèlerinage en ce haut lieu de notre mémoire, connu des spécialistes mais peu des citoyens en général.
Chaleureuse, généreuse et aimée de tous. Revenons à la notice nécrologique de Sœur Jérôme, qui fait sept pages à simple interligne. Une vraie manne! On nous décrit Sœur Jérôme comme « lumineuse » et rieuse, douée pour les relations interpersonnelles et très attachée à sa famille, qui le lui rendait bien. Ferdinand Verret ne tarissait pas d’éloges à son sujet et lui rendra fidèlement visite au cours des années, jusqu’à son décès, se réjouissant lorsque son état de santé s’améliorait et s’attristant lorsqu’il en allait autrement.
Ferdinand avait l’habitude de retenir les services d’un chauffeur pour « descendre » à Québec faire des courses en compagnie de Lucie, sa femme, qui était la sœur de Sœur Jérôme. Il invitait mon grand-père, Joseph-Arthur, et ma grand-mère, Mathilde (ou Lizzie) à les accompagner. On en profitait pour rendre visite à la chère Sœur Jérôme : « L’Auto Beaulieu nous conduit à Québec, Lucie, Arthur, Lizzie et moi. Les amis vont à l’Hôpital Général (…) Au retour je vais reprendre mes gens à l’Hôpital, où je rencontre Sœur Jérôme (…) Elle est beaucoup mieux qu’il y a un an et en grande amélioration sur le passé, car on l’amenait (alors) au parloir en chaise roulante » (Ferdinand Verret, Journal, le 24 janvier 1934).
Les Bédard et la maison ancestrale. L’éloge retrace l’histoire familiale, en remontant jusqu’à l’aïeul Isaac Bédard, venu de La Rochelle. Cela était déjà connu et fréquemment ressassé. La valeur de ce texte réside plutôt dans le portrait détaillé qu’on y dresse de l’enfance de Marie-Joséphine et de ses frères et sœurs, dans cette vaste maison de Charlesbourg dans laquelle ils habitaient.
Cette maison que, quand j’étais enfant, je considérais être la « maison de ma grand-mère ». Et qui, pour Marie-Joséphine, était la maison de sa grand-mère à elle, Marguerite Cloutier. Laquelle, veuve à trente-huit ans, avait accueilli chez elle, en en faisant ses héritiers, sa fille Olivette, son mari Joseph-Urbain et leurs nombreux enfants. On nous dit que la maison avait belle allure, qu’elle était souvent qualifiées de « manoir » par les gens du village. On est loin de la maison accueillante mais plutôt bancale de mon grand-père Côté, à Black-Lake, avec ses divisions approximatives!
Qu’en était-il de Marguerite elle-même? On nous la décrit comme bien douée aux plans physique et moral, femme de grande distinction et qui « aurait joué un rôle considérable dans n’importe laquelle situation. » Ayant à sa charge deux fils et sept filles, elle avait hérité d’un large patrimoine agricole qu’elle gérait avec habileté et énergie.
Loyauté, attachement aux traditions : les valeurs que Marguerite a transmises. Le texte nous restitue ce qui faisait l’essence de cette famille et ce qu’en auront été les fondements : La fidélité à l’héritage des ancêtres, d’abord. La loyauté à l’égard de ceux qui nous ont précédés, car il ne faut pas oublier d’où l’on vient. Puis la piété et l’attachement à la religion et aux rites : « Il était de règle, dans la maison, qu’au moins un représentant de la famille assistât à la messe. En été, en hiver, par beaux ou mauvais chemins, en temps favorable ou contraire, on pouvait tous les matins sur la route un enfant, souvent deux, quelquefois trois ».
« Le dimanche, après Vêpres, Mesdemoiselles Bédard se rendaient à la sacristie pour plier les surplis et mettre les ornements sacerdotaux en ordre. À certaines époques, on leur confiait le soin de faire les réparations et remettre à neuf le linge servant au culte. »
L’église se trouvait à presque deux kilomètres de la maison. Ce n’était pas à la porte!
Minutie, ordre et goût du travail bien fait. Puis le culte du travail bien fait, de la minutie et de l’ordre sous la gouverne de ces femmes plus grandes que nature : Marguerite et Olivette sa fille, dont mon père me parlait quand j’étais enfant : « À l’école de grand-maman Marguerite et de dame Olivette, leur excellente mère, les jeunes filles avaient appris de bonne heure à devenir d’habiles lingères. Tous ces actes d’obligeante charité se faisaient en plus des autres travaux. L’ouvrage ne manquait pas dans cette grande maison, mais comme l’ordre économise le temps, tout y était si parfaitement ordonné qu’on trouvait des loisirs pour tout. »
Le sens de la fête, tout de même! Puis la certitude qu’on savait également s’amuser, et qu’on ne dédaignait pas jeter un regard intéressé sur l’univers ambiant : « Aux heures de travail succédaient les heures de délassement, de promenade. Joséphine et ses sœurs aimaient les fêtes, les grands déploiements : les démonstrations populaires, religieuses, civiles, militaires les intéressaient. Rien d’important ne se passait à Québec sans qu’avec leurs frères elles en fussent témoins ».
« Au foyer familial, on faisait quelquefois du théâtre (…). Un cousin qui avait fait du théâtre fut chargé d’organiser une séance dramatique et musicale. Que de rires joyeux dans les répétitions et ce, sous les regards de la maman et des quatre jeunes filles, souvent accompagnées d’amies et de cousines. On s’amusait dans le Seigneur. Joséphine prêtait son concours au chœur de chant. Elle était douée d’une belle voix; mais plus harmonieuse encore était celle de sa sœur Lucie. Tandis que celle-ci remplissait les rôles principaux figurant dans les tableaux vivants, Joséphine se prêtait aux tâches plus humbles. La préparation des costumes et autres menus détails lui revenaient (sic) et avec quelle activité elle s’en occupait, mettant de l’entrain, aidant toute organisation. »
On m’avait souvent dit quand j’étais enfant qu’on aimait beaucoup faire de la musique dans la famille, soit du chant, du violon, du violoncelle, du cornet ou du piano. Qu’on se plaisait à monter des pièces de théâtre, à déclamer des vers. Que le tout se passait dans la maison ancestrale, qui disposait d’un vaste salon et d’une salle à dîner. Les piles de partitions de musique que j’ai retrouvées dans la maison ancestrale en témoignent. Mais de le lire, noir sur blanc, m’a fourni une certitude plus probante. Le violon d’Elzéar, le cornet d’Éphraïm et de Cléophas, la voix impressionnante de mon grand-père Joseph-Arthur (à venir), le piano de Thérèse et le violoncelle d’Élizabeth. Tout cela prend soudain un relief certain.
C’est ainsi que de génération en génération ses transmettent les dons et les talents. Une partie en est acquise. Mais l’autre est assurément innée, ce qui signifie qu’elle nous a été transmise par le sang.
La juste perspective. Je réalise en lisant ces lignes que les Bédard qu’on nous décrit dans cet éloge funèbre appartiennent à la dernière génération de ceux pour qui cultiver la terre était l’occupation principale. Ils aimaient la terre et leur terre. Et la respectaient.
Joséphine Bédard avait grandi dans une fort belle maison, entourée d’une famille chaleureuse. Sœur Jérôme, en revanche, aura vécu la majeure partie de son existence dans un lieu chargé d’histoire. En remontant le cours de cette rivière qui me menait à Sœur Jérôme j’ai pu m’approprier une partie de l’âme des Bédard. Mais c’est bien peu si je compare cela à l’illumination qu’a provoquée chez moi la découverte de ce joyau de notre histoire : l’Hôpital général, grâce à soeur Cloutier.