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62 – Alphonse Bédard, zouave pontifical

6204Jean-Baptiste-Alphonse, baptisé le 18 janvier 1847. Zouave pontifical, il ne semble pas avoir fait beaucoup d’études. Mais eut une vie remplie. Celui des enfants de Joseph-Urbain et d’Olivette sur lequel on sait, rétrospectivement, le plus de choses, car il était très connu tant à Québec qu’à Charlesbourg, dans la communauté des zouaves.

En route vers Rome, pour libérer le Pape. Particulièrement dévot, Alphonse Bédard avait joint à l’âge de 23 ans les rangs des zouaves pontificaux et fut du nombre des 508 Canadiens-français partis défendre le pape Pie IX contre l’armée italienne. Le dessein de Victor-Emmanuel II, roi de Sardaigne, était d’unifier l’Italie qui avait été constituée pendant des siècles d’une mosaïque d’États constamment en guerre les uns contre les autres. Il ne lui manquait plus, en 1860, que l’État papal pour atteindre l’objectif qu’il s’était fixé. Mais la papauté résistait farouchement aux velléités royales d’annexion de son domaine temporel. Avec, pour la défendre, une armée de six mille hommes, mal armés, peu entraînés.

Il fallut faire appel aux chrétiens de l’Europe puis des Amériques, pour pouvoir affronter les fameuses « chemises rouges » de Garibaldi. L’accueil fut enthousiaste, à un point tel qu’en janvier 1861 un bataillon formé de six compagnies, dont les membres volontaires sont en majorité italiens, belges et français, peut être constitué. Le mouvement gagne en force. Le premier janvier 1867, le régiment des Zouaves pontificaux se compose de 3 500 hommes regroupés en trois bataillons de douze compagnies. Trois batailles, davantage symboliques que réellement sanglantes, ponctueront le combat que les zouaves de la papauté livreront aux troupes de Garibaldi: La défaite de Castelfidardo, le 18 septembre 1860; la victoire de Mentana, le 3 novembre 1867 et finalement à Rome même, le 20 septembre 1870. Ultimement, le pape capitulera. Mais la flamme religieuse ainsi allumée ne se démentira pas et ce, pendant des décennies. Un mouvement était né.

Les autorités religieuses d’ici font du renforcement. L’habile récupération par les autorités ecclésiastiques du Canada français du mouvement des zouaves pontificaux se doit d’être soulignée.  C’est surtout Monseigneur Bourget, archevêque de Montréal, qui saura habilement profiter de la situation pour stimuler le zèle des Canadiens-français à l’égard de l’institution de l’Église, dans une stratégie délibérée visant à faire contrepoids à l’influence grandissante d’une vision de l’État autonome par rapport à l’autorité ecclésiastique. Avec l’appui du clergé d’ici, c’est une véritable stratégie de mobilisation qu’il déploiera, multipliant les appels à la solidarité, à coup de mandements, projets de lettres aux paroissiens pour distribution par les curés, manifestations publiques, etc. Et, coup du destin, un zouave Canadien-français périssait en novembre 1867. Peu importait que les événements se déroulent sur un autre continent! Le prétexte était, comment dire, inespéré! Les fidèles s’embraseront pour la cause et de nombreux hommes d’ici s’enrôleront.

La papauté aurait préféré des dons en espèces… On sait aujourd’hui que le pape aurait préféré des dons en argent, de la part de ses ouailles canadiennes, à l’envoi de troupes! Mais l’enthousiasme était tel de ce côté de l’Atlantique, que sa sainteté se crut obligée d’en rajouter :

«  Faites venir ces chers enfants », se serait-il résigné à dire à l’émissaire canadien accouru pour négocier l’envoi de zouaves canadiens. Il n’en fallait pas tant pour décupler l’enthousiasme de Monseigneur Bourget, qui expédiera six autres détachements. L’expérience romaine sera décevante et peu enlevante pour ces croisés des temps modernes, qui ne participeront à aucun combat. Ils végéteront pendant deux ans dans des monastères, sommairement nourris et logés, avec pour seule distraction les  dévotions et les semblants d’entraînement militaire. Quelques-uns décéderont, mais de maladie. Donc, pas facile d’en faire des martyrs!

Alphonse ne vit jamais Rome, non plus que le pape! Alphonse ne fut pas du premier contingent des 133 zouaves qui quittèrent Montréal le l7 février 1868 à destination de Rome. Le 7e contingent dont il faisait partie fut bloqué à Brest, où on apprit que la guerre était finie. Alphonse ne vit jamais Rome. Là encore les zouaves furent logés dans des conditions minimales. Tous étaient de retour au pays le 6 novembre 1870. Au plan de la mémoire historique, notons que les registres officiels des zouaves pontificaux distinguent nettement entre ceux qui, bien que partis défendre le pape, ne parvinrent jamais à Rome et ne furent pas du nombre des « combattants » (bien qu’en réalité il n’y eut jamais d’affrontement armé entre les belligérants et les troupes italiennes), et ceux qui réellement arrivèrent à Rome.

Alphonse fut de ceux qui arrivèrent trop tard pour passer à l’Histoire! Mais deux autres Canadiens de Québec auront cet insigne honneur : D’abord, Louis Gosselin, fils de Joseph Gosselin et de Soulanges Lapierre, et frère du chanoine David Gosselin, mon grand-oncle, qui sera curé de Charlesbourg pendant vingt ans, qu’on désigne dans le registre officiel comme « étudiant ». Puis Alfred Prendergast, fils de James et de Thérèse Lelièvre. Ce dernier, avocat et futur coroner, aura deux filles dont l’une Amélie, épousera plus tard François-Joseph Bédard, frère d’Alphonse et d’Arthur, mon grand-père.

6201Réinstallation difficile au Canada. Le retour à la vie normale n’alla pas sans difficultés. Très rapidement après son retour d’Europe, Alphonse partit s’établir à Deschambault où il travailla comme employé de ferme pendant un an. Il y épousa Euphémie Proulx. Ils vécurent ensuite pendant trois ans à la Petite-Rivière-St-Charles, où il semble avoir travaillé comme engagé. Mais il arrivait difficilement à joindre les deux bouts.

Émigration à Argyle au Minnesota, avec femmes et enfants. Le couple décida d’émigrer aux États-Unis, à Argyle, dans la partie nord de l’État du Minnesota. Ce qu’il fit, en juin 1885. La petite famille comptait déjà quatre enfants : Alphonse-Joseph, Almanzor, Marie et Alice. Pourquoi avoir choisi précisément cette localité? Parce qu’Euphémie avait une sœur qui avait épousé un dénommé Tom Landreville (devenu Laundervill), originaire de Joliette au Canada,  qui y cultivait la terre.

Dur labeur… et un sentiment religieux toujours aussi vif! Un des frères d’Euphémie, Clovis Proulx, les rejoindra également et y épousera une compatriote, Oliva Morin, en 1890. Plusieurs Canadiens-français avaient pris racine à Argyle, des Riopelle, Labine, Perras, Beaudry, Morin, Dufault, Goulet. Une vie de labeur car tout se gagnait à force de sueur et de détermination. Alphonse se fit concéder une terre de dimensions imposantes, et qu’il avait l’obligation de défricher. Il était à la fois fermier et charpentier.

Et, le contraire nous eût étonné, il avait conservé de son implication dans les zouaves un penchant pour le prosélytisme et un désir de répandre la foi catholique en terre protestante!

Décès d’Euphémie et retour à Charlesbourg. Euphémie et Alphonse eurent au total 19 enfants! C’est en accouchant du dernier qu’Euphémie décéda, le 26 février 1896. Cela faisait donc onze ans qu’ils vivaient à Argyle.

Mais après le décès de sa femme, le mal du pays gagna Alphonse. Il voulait revenir dans son village. Ce qu’il fit, en 1900. Il ramena avec lui six de ses enfants : Louis-Philippe, Alma, Marie-Anne, Joseph Ephraïm, Alvina et Marie-Blanche. Un autre fils, Alphonse, le rejoignit également à Charlesbourg en 1900. Quatre des enfants, Marie-Olive, Almanzor, Arthur Joseph et Joséphine restèrent aux États-Unis, où ils se marièrent et prirent définitivement racine. Les autres étaient décédés, et enterrés à Argyle.

6203On peut imaginer qu’Alphonse éprouva un fort sentiment de déchirement à quitter Argyle, et les aînés de ses enfants, pour le Canada, car on le disait généreux et sensible. Le déchirement du déracinement, dans les deux sens. À l’aller, et au retour… Mais les ponts ne furent jamais rompus entre ceux d’Argyle et ceux de Charlesbourg.

Réintégration à Charlesbourg et remariage. L’année de son retour au Canada, Alphonse se remariait. Il épousait, le 12 juin 1900, Philomène Alain, elle-même veuve de Joseph Hamel, de Charlesbourg, une personne aimable disait-on. Deux de ses deux frères, Ephraïm et mon grand-père, Joseph-Arthur, furent ses témoins, comme le révèle l’acte de mariage.  Il existe une photo du couple. Alphonse y apparaît, en grande tenue de zouave, debout, posant à côté de sa deuxième épouse, quant à elle sagement assise. Il eut la chance de se faire offrir par son oncle et son épouse, Édouard Bédard et Esther Pageau, à l’automne 1899, une terre avec comme condition qu’il s’occupe de l’oncle et de sa femme jusqu’à leur mort. Ce qu’il fit avec dévouement. L’acte notarié est daté du 18 janvier 1900 devant le notaire Jean-Baptiste Delâge. Il ne mourut pas dans la misère, mais peu s’en fut!

Alphonse courait encore les poules à un âge avancé! Un de ses neveux, Georges-Henri Bédard, dont la famille était voisine de celle d’Alphonse à Charlesbourg, et dont j’ai parlé  précédemment, se souvenait  qu’Alphonse « avait horreur de voir nos poules passer la clôture et aller dans son champ de foin. Je l’ai vu quelquefois les courir avec un rondin. Il ne courait plus très vite mais était encore malin… » . Ces souvenirs, et d’autres, ont été consignés dans l’ouvrage, Biographies et histoire des gens de Charlesbourg, déjà mentionné.

63 - Zouave un jour, zouave toujours

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