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61 – Tante Floristine, l’aînée de la famille

Floristine, aînée de la famille et jamais mariée. Née le 11 janvier 1846 et baptisée le lendemain, Marie-Olivette-Floristine était l’aînée de la famille, et ne se mariera jamais. Quand on mentionnait son nom, dans la famille, c’était en général pour la décrire comme une « vieille fille » demeurée célibataire toute sa vie, serviable et dévouée.  À la mort de ses parents, Floristine continuera de vivre dans la maison ancestrale, hébergée par son frère, Joseph-Arthur (mon grand-père paternel) qui avait  hérité de la maison ancestrale, jusqu’à son décès, le 19 décembre 1919.

Physiquement handicapée. Floristine était affligée d’un handicap physique annonciateur,quand elle était jeune, d’une mort prématurée. Ce qui ne fut pas le cas, comme se plaira à le noter Ferdinand Verret dans on Journal :

6103a« Elle avait près de 74 ans. Souffrant d’une hernie, elle était plutôt une invalide depuis 30 ou 40 ans. Et dire qu’elle a vécu dans un était aussi délabré jusqu’à 74 ans. Il y a 25 ans, son médecin disait qu’elle arrivait au bout de sa carrière : le bout était loin. Elle s’est rendue utile à la famille jusqu’au bout car, assise, elle pouvait travailler » (Journal, entrée du 22 décembre 1919, jour des funérailles de Floristine).

Célibataire donc non autonome. À cette époque, il était impensable qu’une femme célibataire puisse vivre seule, de façon autonome. Les cas de figure au sujet des femmes se résumaient à trois modèles, que l’on pourra observer au sein de la famille d’Olivette et de Joseph-Urbain :

Premier cas de figure : On se mariait, et on s’installait alors avec son mari, plus souvent qu’autrement chez les beaux-parents. On arrivait au mariage avec une dot, parfois peu importante, sinon inexistante, qui incluait un trousseau et un « lit garni ». Ce sera le cas de Lucie, la benjamine des frères et sœurs Bédard, qui épousera Ferdinand Verret.

Deuxième cas de figure : On prenait le voile, au début de la vingtaine. Comme il n’arrivait jamais qu’on renonce un jour à la vie religieuse, la vie active et la vieillesse se passaient en communauté, sans scénario de retour possible en arrière. On y mourait. La famille avait en général déboursé une dot lors de la prise de voile, mais les obligations financières s’arrêtaient là.  C’est la voie que choisira une Joséphine, qui deviendra religieuses chez les Hospitalières de l’Hôpital Général de Québec, sous le nom de Sœur Jérôme.

Troisième cas de figure : On devait être accueillie par la famille immédiate ou par la « parenté ». Ce qui fut le cas de Floristine, mais tout autant des deux sœurs de David Gosselin, curé de Charlesbourg et oncle paternel de ma grand-mère Mathilde : Jamais mariées, elles suivront leur frère dans ses ministères, comme curé de Cap-Santé puis de Charlesbourg. L’une tiendra maison et s’occupera de l’ordinaire. L’autre, Henriette, agira comme secrétaire de son frère. Mon père me donnera comme prénom, outre Édith et Francine, celui d’Henriette, en mémoire de cette tante.

La famille d’alors : parents, grands-parents, enfants et encore plus! Quand ma grand-mère, Mathilde, épousera mon grand-père, Joseph-Arthur, en 1901, elle devra composer avec Floristine et ce, jusqu’au décès de cette dernière en 1919! On nous disait à mots couverts que Mathilde se serait bien passée de la présence de sa belle-sœur, même si elle participait aux travaux ménagers et s’occupait des enfants. On peut aisément la comprendre!

Le modèle social de l’époque était ainsi fait : Les familles se composaient de tous les membres qui, pour un motif ou un autre, s’y retrouvaient. On gardait ses parents quand ils vieillissaient, étant entendu que ceux-ci s’étaient « donnés » à nous, car le concept de centre d’hébergement ou de centre d’accueil n’existait pas. Ce fut le cas de Joseph-Urbain qui s’était donné à son fils, Joseph-Arthur, mon grand-père.

Comme on produisait beaucoup d’enfants, et que là encore le concept de garderie ou de centre de la petite enfance n’avait pas été inventé, les enfants naissaient, grandissaient, bougeaient dans la maison et autour de la maison. Certains avaient la chance de fréquenter l’école primaire, mais la plupart étaient rapidement mis à contribution : les filles aidaient leur mère à la cuisine, au reprisage, à la lessive et au jardinage, tandis que les garçons étaient consignés d’office à la grange, au labourage, etc. Sans compter les servantes, les hommes engagés et également les sœurs célibataires, comme Floristine! Tout ce beau monde se partageait l’espace disponible, la cuisine notamment.

Inutile de préciser que le concept de « vie privée » était tout autant inexistant… ce qui n’empêchait pas les couples de se reproduire allègrement! Les cas les plus pathétiques touchaient le sort des jeunes orphelins, lors du décès du père ou surtout de la mère. Plusieurs d’entre eux prenaient la direction de l’orphelinat, à défaut d’avoir trouvé mieux!

Floristine, tenancière d’un débit de boisson… On sait fort peu sur Floristine. On ne dispose d’aucune photo d’elle. La seule anecdote pour le moins craquante, consignée par écrit la concernant est rapportée par Ferdinand Verret, dans son Journal de l’année 1886 (le 15 janvier). Floristine a alors vingt ans. Elle se retrouve bien malgré elle au cœur d’une querelle menée par le tenancier d’une buvette illégale à Charlesbourg, un dénommé Adolphe Boivin, à qui on reprochait surtout de vendre à de jeunes hommes.

Boivin avait été mis à l’amende parce que son débit d’alcool avait été reconnu comme illégal et il avait dû acquitter une facture de $75, incluant les frais. Une grosse somme pour l’époque. Adolphe Boivin trouve une occasion de se venger, pour le moins inusitée : Les Religieuses du Couvent Bon-Pasteur avaient organisé un bazar en août 1887 afin de ramasser des dons pour la communauté. Outre des victuailles, elles offrirent de la bière… Ce qui n’échappa pas à Boivin, qui porta plainte au ministère du Revenu de l’époque et poursuivit les deux personnes chargées de vendre la bière : la femme d’Alzéard Bédard et … Floristine Bédard!

Le litige se régla finalement à l’amiable. L’histoire fit beaucoup rigoler dans la paroisse. Mais sans doute pas chez les Bédard!

Floristine et le revenant. Une autre anecdote, fréquemment reprise par tante Élizabeth, concernait également tante Floristine. Il y était question d’un revenant qui s’était manifesté dans la maison ancestrale, dans les années 1910, en présence de Floristine et de trois  témoins oculaires, soient  les deux plus jeunes frères de mon père, Lucien et David, ainsi que tante Thérèse, qui en affirmaient la véracité absolue.

On était en hiver, un dimanche  froid et humide. Les adultes, c’est-à-dire mon grand-père Arthur, ma grand-mère Mathilde et les deux aînés de leurs enfants, soient Élizabeth et Urbain, mon père, étaient partis en carriole à la messe dominicale au village de Charlesbourg. Étaient restés à la maison la vieille tante Floristine et les trois plus jeunes des enfants.  On s’était regroupé autour du poêle de la cuisine et on  récitait le chapelet en attendant le retour des adultes.

6101bSoudain des pas lourds et mesurés se firent entendre à l’extérieur. Des craquements répétés. Quelqu’un montait les marches de l’escalier extérieur et se dirigeait vers la porte de la maison en empruntant la véranda qui longeait tout le côté sud de la maison. La vieille tante et les enfants se regardèrent, surpris, car de là où ils étaient ils avaient une vue imprenable sur la longue allée qui reliait la maison à la route principale du village. Personne n’avait emprunté l’allée. Tout était désert. Ils aperçurent alors une silhouette sur la véranda à travers la fenêtre. Une imposante silhouette, celle d’un homme portant une casquette, et qui s’approchait silencieusement de la porte que l’on utilisait au quotidien pour entrer et sortir de la maison. Celle-ci s’ouvrit avec fracas. Tante Floristine sortit pour voir qui était là : personne! Elle regarda de nouveau : personne! La silhouette aperçue et entendue avait disparu!

Les enfants étaient sous le choc, tout comme tante Floristine. On avait vu un revenant.

Au retour de la messe, Mathilde et Arthur annoncèrent à la vieille tante : « Vous ne devinerez jamais qui est mort, et dont le curé Gosselin a annoncé le décès en chaire! ». Et tante Floristine de répondre : « Nous le savons. C’est José. Il est venu nous voir pendant la messe! »

Il s’agissait d’un homme engagé qui avait travaillé pour la famille des années auparavant. Il portait toujours une casquette. Quand il devint trop vieux, une tante religieuse à l’Hôpital Général, vraisemblablement sœur Jérôme, sœur de mon grand-père, l’y avait fait admettre. Se manifesta-t-il ainsi pour exprimer son mécontentement contre la famille qui s’était débarrassée de lui quand il ne fut plus en état d’être utile? Quoi qu’il en soit, sa soudaine apparition laissa un souvenir indélébile chez mes deux oncles. Plusieurs années plus tard, oncle Lucien à qui je posais des questions me confiera se rappeler vivement de cette soudaine apparition. Venue de nulle part. Puis disparue brusquement. Mais ajouta éviter d’un parler en dehors de la famille parce qu’on ne le croyait pas et qu’on se moquait de lui : «  C’est bien arrivé, Édith. Je l’ai vu, José. J’ai eu très peur. Jamais je n’oublierai. »

62 -Alphonse Bédard, zouave pontifical

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