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6 – Un peu de politique

Les bleus contre les rouges. À l’époque, il semble que la politique ait fait déplacer plus d’une montagne et animé bien des discussions, voire des querelles, au sein des familles! On se passionnait pour la chose! On lisait studieusement les comptes-rendus des assemblées politiques dans les journaux. On n’hésitait pas à se pointer aux réunions partisanes. Les agriculteurs et les gens de la campagne étaient traditionnellement membres de l’Union nationale. Le parti de Duplessis. On les appelait « les bleus ». Mon grand-père était très ami avec un bleu notoire, charmant de surcroît, qui s’appelait Rémi Loubier. Ce dernier possédait une entreprise de récupération de ferraille et de métaux. Il était à l’aise financièrement. Mon grand-père fera des affaires avec lui. Et, comme je l’ai précédemment mentionné, une des filles de Rémi, Patricia, épousera Napoléon-Paul Morin, le demi-frère de Julia que celle-ci avait pratiquement élevé. Il s’agit d’un des jeunes couples pour lesquels mon grand-père avait aménagé un logement dans sa grande maison bancale. On était tricoté serré! Tout ce préambule pour expliquer que dans la famille de ma mère on était bleu, de père en fils, et on en était fier! S’il le fallait, on mettait la main à la pâte lors des campagnes politiques! Quand ma mère épousera mon père, d’allégeance libérale, cela créera quelques ondes de choc.

Au Québec, les bleus et les rouges se seront succédés l’un à l’autre depuis 1930, dans une sorte de combat des chefs qui n’en finit pas. Après un gouvernement libéral sans interruption de 1920 à 1936, le premier-ministre Louis-Alexandre Taschereau est forcé de démissionner en juin 1936 : son frère, Antoine, a avoué devant le Comité des comptes qu’il avait déposé sur son compte en banque personnel les intérêts des fonds appartenant à l’Assemblée législative. Ce dut être un dur coup pour mon père qui mettait l’intégrité personnelle au-dessus de tout. Le scandale assène un coup fatal au parti et, dès août 1936, Duplessis prend le pouvoir et devient premier ministre. Le gouvernement de l’Union nationale qu’il dirige sera battu en 1939. Pendant les cinq années suivantes, soit de 1939 à 1944, les libéraux dirigés par Adélard Godbout garderont le pouvoir. En 1944, nouveau changement de garde : Duplessis reprend le pouvoir et se maintiendra jusqu’à 1959, année de sa mort! Une sorte de période noire pour mon père… alors que pour les Côté ce fut une période dorée! Il faut savoir que mon père ainsi que son frère Lucien, mais également leur père avant eux, étaient des militants libéraux convaincus. Des « rouges », donc! Le sang qui coulait dans leurs veines était rouge vif! En rencontrant ma mère, mon père se trouvait à frayer avec l’ennemi!

Des couleurs comme celles-là, acquises de longue date, littéralement tatouées sur la peau , ne s’effacent pas pour cause de mariage. On frôle la mésalliance! Les allégeances politiques de mes parents étaient ainsi diamétralement opposées l’une de l’autre. Tout autant que leur vision de la chose politique. Ma mère ne voyait aucun problème dans le fait que des politiciens se remplissent les poches pendant qu’ils étaient au pouvoir, puisqu’une fois les prochaines élections perdues, ce sont les adversaires qui en feraient autant. Alors, pourquoi se priver? Le patronage était à ses yeux parfaitement justifié. Pour elle, gagner ses élections voulait souvent dire acheter les votes, un par un. Puis profiter des avantages que le pouvoir procurait. Il ne faudrait pas déduire de mes propos que tous les membres de sa famille, ou les amis de la famille, pensaient ainsi! Elle, si.

Mon père, avec sa rectitude politique, se hérissait, se crispait de colère mal contenue. Il abhorrait cette conception des politiciens en tant que vecteurs de corruption. Il avait la fibre libérale très développée, jusqu’à l’aveuglement. Et entretenait à l’égard de certains des leaders libéraux, notamment Georges-Émile Lapalme, une admiration bien sentie. C’est en creusant l’histoire des Bédard, dont je parlerai plus loin, que j’ai compris d’où lui venaient ses convictions. Les politiciens qu’il admirait connaissaient souvent un triste sort.

Pendant les jours qui précédaient une élection au provincial, la tension était forte dans la famille. Mon père savait pertinemment que ma mère ne voterait pas pour le même parti que lui. Et à l’époque il était encore attendu des femmes qu’elles votent du même côté que leur mari, le chef de la famille. C’était mal connaître ma mère! Elle n’en faisait qu’à sa tête! Papa savait qu’elle avait en quelque sorte annulé son vote à lui! La brouille pouvait durer plusieurs jours.

Ma mère avait une conception utilitaire de la politique et savait s’en servir au besoin. Quand mon père, décédé brusquement, nous laissa, elle et moi, dans une situation financière transitoirement précaire, ma mère prit le téléphone et contacta le fils de Rémi, qui était un politicien et ministre à l’époque dans un gouvernement de l’Union nationale à Québec.

« Écoute, lui expliqua-t-elle, ma fille a besoin d’un emploi d’été au gouvernement. On ne roule pas sur l’or ces temps-ci. »

Deux jours plus tard, j’avais un emploi.

Il m’est arrivé ces dernières années d’apercevoir mon bienfaiteur, Gabriel, dans un restaurant de type « familial » où je vais parfois prendre le petit-déjeuner avec une amie. C’est tout près de chez moi. Il y prend un café avec sa femme. J’aimerais le remercier de nous avoir dépannées financièrement, ma mère et moi, il y a de cela quarante ans. Grâce à son intervention, nous avons pu passer ce premier été sans mon père dans un relatif confort, bien que frugal, en attendant que ma mère ne touche enfin sa pension de veuve. Alfred n’était plus là pour nous aider. Mais le fils de Rémi, son ami, était là, lui.

7 - Un peu de religion
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