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56 – Redécouvrir le Charlesbourg d’antan

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Remonter le fil du temps. Le vieux Charlesbourg se laisse découvrir aisément, parce qu’il a été préservé. Le Trait-Carré est classé quartier historique.  Mais le périmètre, quoi que fort bien entretenu,  en est limité. On en a vite fait le tour. Mais qu’en est-il du Charlesbourg  des grands espaces, de l’emprise sur la nature, de la conquête de l’homme sur les éléments? Ce Charlesbourg-là, il faut le chercher pour le trouver. Cette ville dortoir d’aujourd’hui ressemble bien peu à l’installation des débuts. Elle est sillonnée d’autoroutes, d’avenues de moindre importance, de centres commerciaux, de Tim Hortons, McDonalds et autres créations commerciales récentes. On cherche une unité d’ensemble, sans vraiment la trouver. Pas grand chose de beau. Il faut prendre le temps de remonter le fil du temps, fermer en quelque sorte les yeux, imaginer,   si on veut retrouver  ce que nous en disaient nos pères et ceux qui ont écrit sur Charlesbourg. Comme ces restaurateurs d’œuvres d’art qui révèlent sous des couches et des couches de peinture souvent appliquées par des apprentis, de véritables petits chefs-d’œuvre.

Déficit d’images. Il ne semble exister qu’une seule photo aérienne du Charlesbourg d’antan, grâce à laquelle on peut apprécier à sa juste mesure le modèle d’expansion spatiale du village conçu par les Jésuites, mais dont Talon voulait s’attribuer la paternité.

On accède encore à Charlesbourg en empruntant la Première Avenue, qui prend sa source dans le quartier de l’Espinay, près de l’actuel hôpital Saint-François d’Assise. D’autres artères permettent d’y accéder aisément. Mais la Première Avenue est la voie initiale par laquelle on passait à l’époque pour aller à Charlesbourg, ou en revenir. La route est d’abord plate. Sur trois ou quatre kilomètres. Et longiligne. Puis progressivement elle se met à s’élever et à grimper sans faillir jusqu’à Orsainville, toujours en ligne droite. Quand on arrive au bout d’Orsainville, on se retrouve à Notre-Dame-des-Laurentides et au loin on aperçoit les montagnes de conifères, Stoneham, Tewkesbury et les abords du Parc, comme on l’appelle, qui mène à Chicoutimi. Et lorsque l’on se retourne carrément et que l’on fait porter plutôt son regard vers le sud, vers l’horizon, c’est Québec qui au loin surgit. Spectacle panoramique s’il en est un.  L’église de Charlesbourg est sise au coin de la première Avenue et de la quatre-vingtième Rue, et également de l’avenue Bourg-Royal, à mi-chemin de cette escalade vers le nord.

Au « Gros Pin » vers Charlesbourg, toute une escalade! Avec un peu de chance, le sésame s’ouvre. Ainsi quand on emprunte la Première Avenue, il faut faire fi de ce que l’on a littéralement sous les yeux.  Fermer les yeux et essayer d’imaginer cette longue route en rase campagne, bordée de chaque côté par des rangées d’arbres, sans maisons, sans fermes, sans commerces où s’arrêter si on en a besoin, alors on peut imaginer ce qu’il fallait d’énergie pour accomplir le trajet qui menait du village à la ville, et inversement. Pour aller au marché, par exemple, vendre ses produits. Et combien il devait être difficile pour un attelage et ses chevaux de remonter, sur le chemin du retour, cette côte interminable et persistante dans son inclinaison! La partie sud de la Route de Québec, ou route Saint-Pierre, car c’est ainsi qu’on dénommait cette artère, s’est appelée pendant longtemps Gros Pin. Mais on ignore l’origine de cette appellation. Certains disent avoir entendu raconter qu’on l’avait nommée ainsi à cause d’un tronc de pin  coupé, de circonférence impressionnante, sur laquelle les jeunes montaient pour danser. D’où : Gros Pin, au singulier. J’ai conservé une lettre adressée à ma grand-mère Mathilde et dont l’enveloppe ne porte que la mention :

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Le « grand dérangement » de la Conquête. Après la conquête de 1760, un poste de guet avait été installé à la limite de la Ville de Québec. Les soldats anglais se livrèrent à une occasion à du pillage, ce qui provoqua l’ire de la population et du clergé. Ce fut le seul incident de ce genre. Charlesbourg fut bien traitée par les nouveaux dirigeants. Mais on se sentit pendant longtemps comme conquis et assiégé. Les Britanniques avaient voté des lois strictes contre la libre circulation de citoyens français, et craignaient toujours une attaque de la France.

 Il existait déjà des miliciens sous le régime français. Les autorités les formaient de façon sommaire, surtout dans les campagnes. Chaque paroisse devait disposer d’une ou de deux compagnies avec, à leur tête, un capitaine choisi parmi les notables. À Charlesbourg on en comptait trois. On devait tenir une séance d’entraînement une fois par mois en principe. Lors de la bataille pour défendre Québec en 1760, la ville put compter sur quatre forces militaires distinctes : Les régiments venus de France et menés par Montcalm; les troupes de la Marine, et dont les officiers étaient pour la plupart des Canadiens; les nations indiennes alliées, dont les Hurons de Lorette; finalement la milice qui comptait théoriquement 15 000 hommes. Avec la prise du pouvoir par les Britanniques, on maintint les milices et on améliora leur entraînement. Les miliciens étaient tenus de passer six mois en formation, d’apprendre le maniement des armes.  Bref, en cas de besoin, de se battre contre l’ennemi. Situation particulièrement inconfortable pour les nouveaux citoyens britanniques! 

Enrôlement dans la milice : les citoyens rechignent… Et quand une loi fut votée en 1798, obligeant tous les hommes de la colonie âgés entre dix-huit et soixante ans à s’enrôler dans la milice, il y eut de la grogne. Certes on préférait faire affaire avec des miliciens, des hommes du village, quand survenaient des problèmes. C’est le caractère obligatoire de cette règle qui déplut énormément.

La population, francophone et catholique, réagit fortement, y voyant une manière déguisée d’envoyer ses hommes au loin, destinés à combattre et mourir gratuitement pour l’empire britannique. Jacques Lacoursière rapporte  dans son Histoire du Québec (de 1791 à 1841) la déposition de Jean-Baptiste Leclair, un habitant du rang dit « de La Misère », à Charlesbourg, qui résume ainsi la perception des habitants :

« On croit que les commandements que l’on fait ne sont pas pour défendre le pays; mais pour faire des soldats, les répandre dans les régiments et les envoyer hors du pays, soit par terre soit à bord des frégates, et qu’on ne les reverra jamais, qu’après ces premiers commandements, on en fera d’autres pour en faire autant et ainsi jusques à ce que le pays soit dépeuplé » (Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec ( de 1791 à 1841), Sillery, Septentrion, 1996, 446 p.,p.39).

… surtout ceux de Charlesbourg! Jacques Lacoursière raconte que des manifestations s’organisent, à Lévis, à Beauport, mais que la plus violente se déroule à Charlesbourg. Le 19 mai 1794 plus de 500 personnes s’assemblent pour protester contre la loi de la milice qui passait ce jour-là en troisième lecture. Un dénommé Jérôme Bédard prononce un discours enflammé. On érige des barricades, on attend les autorités et les soldats de pied ferme. Puis après quelques jours, comme rien n’arrive et qu’on se met à réfléchir aux conséquences de l’incitation à la désobéissance civile, les ardeurs tiédissent. Tant et si bien que les citoyens se rétractent et font mea culpa. La Gazette du 31 juillet 1794 publie même des textes adressés aux autorités par les citoyens de Charlesbourg dans lesquels ceux-ci « reconnaissent leur erreur et se repentent ». Ils escorteront même jusqu’à la prison Pierre Chartré et Jérôme Bédard, accusés de haute trahison. Et ils en remettront :

« … les habitants de cette paroisse ont vu les malheurs dans lesquels ils se sont plongés en désobéissant aux lois et ont cherché les meilleurs moyens de détourner les maux que ces scélérats mal intentionnés se sont efforcés de causer à des esprits crédules » (Ibid.,p. 40).

En fait d’assujettissement, on ne fait pas mieux! Mais l’anecdote illustre bien combien la population était divisée dans sa loyauté. Et devait user de tact. Il s’agissait de survivre. Et de conserver les acquis.

57 – Les racines huguenotes des Bédard

 

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