LES BÉDARD D’ICI DESCENDENT TOUS D’UN SEUL ET MÊME ANCÊTRE : ISAAC BÉDARD.
De La Rochelle à la Petite Auvergne. Maître-charpentier originaire de la région de La Rochelle, où il était né vers 1616, Isaac Bédard était arrivé en Nouvelle-France en compagnie de son fils, Jacques, à une date que les historiens ne peuvent déterminer avec certitude. On sait qu’il s’installa d’abord à Québec, à la Haute-Ville, entre la propriété d’un certain Louis Chapelain et celle des Jésuites, qui donnait sur la Côte de la Fabrique. Puis que, vers 1663, sa femme Marie Girard et leur fils Louis quittèrent à leur tour La Rochelle et les rejoignirent en Nouvelle-France. Le 12 mai 1664 leur fille, Marie, naissait à Québec. Sur les sept enfants que le couple avait enfantés en France, deux seulement avaient survécu : Jacques et Louis.
Un tempérament belliqueux. Les débuts d’Isaac en Nouvelle-France n’allèrent pas sans heurts. Le 5 mars 1662 il avait fait l’acquisition d’une terre avec bâtiments dans la seigneurie Notre-Dame-des-Anges, qu’il avait achetée de Mathieu Hubou ou Huboust dit Deslongchamps au prix de 400 livres. L’oncle de Mathieu Hubou était un dénommé Guillaume Hubou, qui avait épousé Marie Rollet, la veuve de Louis-Hébert. La terre faisait un arpent et demi de front sur soixante de profondeur et donnait sur la rivière Saint-Charles. On n’est pas sûr qu’Isaac en ait été réellement le propriétaire car son nom n’apparaît pas au registre des baillages dans lesquels étaient en principe consignées toutes transactions immobilières conclues en bonne et due forme. Une chose est connue : rapidement Isaac se querella avec ses voisins. Dans un cas, soit avec Vincent Renaud, Isaac dut payer au plaignant un minot de blé et une journée de travail parce que sa vache avait festoyé dans le pré de Renaud. Dans un autre cas, soit avec Michel Desorcy, un cochon appartenant à Isaac et particulièrement vindicatif avait causé des dommages au pré du plaignant.
La première cause entendue par le Conseil Souverain. Ce dernier incident constitua la première cause à être entendue par le Conseil Souverain, créé en 1663 en remplacement du Conseil de Québec, et dont le mandat était de procéder à l’administration de la justice civile et pénale en Nouvelle-France. Le Conseil Souverain était composé du gouverneur, de l’évêque, de l’intendant, d’un procureur général, d’un greffier et de quatre conseillers nommés par le gouverneur. Pour cette offense, Isaac fut condamné à payer 14 livres d’amende. Le manuscrit original, à peu près illisible, est conservé à la bibliothèque de l’Assemblée nationale. Il en existe une retranscription adaptée, disponible aux Archives nationales du Québec.
Finalement, le premier avril 1664 Isaac était battu à coup de bâton par Mathieu Hubou, ce dernier accusant l’autre de n’avoir pas tiré son bois ni entrepris la construction d’un bâtiment qu’il avait l’obligation de monter. Car, ne l’oublions pas, Isaac était maître-charpentier. Il fallut encore une fois l’intervention du Conseil Souverain pour mettre un terme à la querelle, chacun des protagonistes étant finalement mis en demeure de s’acquitter de ses devoirs, de ne plus médire de l’autre ni de se quereller.
L’enracinement à Charlesbourg. Un tel contentieux ne semblant pas présager un voisinage harmonieux, Isaac et sa famille se départirent de leur terre en décembre 1665. Ils la cédèrent à Claude Charon dit Labarre pour 438 livres. Les historiens n’ont pu déterminer où la famille s’installa alors. Pour certains, les Bédard seraient retournés vivre pour un temps Côte de la Fabrique. Pour d’autres, ils auraient acheté immédiatement une propriété de deux arpents à la Petite Auvergne, à Charlesbourg, acquise de Pierre Murault, ou Mureau, pour la somme de 60 livres. Si tel est le cas, comme la propriété précédente avait été vendue 438 livres, dont 200 payables en comptant, il ne s’agissait pas d’une mauvaise affaire! Les circonstances de l’établissement d’Isaac et de sa famille sur cette concession demeurent ambigües. Il existe bien un acte notarié passé devant le notaire Paul Vachon entre Murault et Bédard, mais on n’est pas certain qu’il concerne l’acquisition de cette propriété.
Quoi qu’il en soit, après avoir vécu à Québec même puis dans la seigneurie Notre-Dame-des Anges, la famille Bédard joindra les rangs des pionniers fondateurs et familles souches de Charlesbourg, au même titre que Jacques Duhaut, marié à Marie Lemoyne, Mathurin Roy dit Audy, marié à Marguerite Bire, Jacques Galarneau, marié à Marie Charié, Paul Chalifour, marié à Jaquette Archambault, Étienne Pasquier ( ou Paquet), marié à Henriette Rousseau, Thomas Touchet, marié à Suzanne Ferrier, et d’autres. Pour de bon. Voir à cet égard l’ouvrage de Reine Malouin, Charlesbourg 1660-1949, Les Éditions La Liberté, Québec 1972, 223 pages, p. 39.
On se reproduit beaucoup! Ces ancêtres fondateurs se reproduiront beaucoup, comme cela était souhaité par les autorités civiles et religieuses. En particulier les Bédard, qui furent très prolifiques! Jacques Bédard, fils aîné d’Isaac, aura dix-sept enfants avec Élizabeth Doucinet, sa femme. Et Louis, marié à Marie-Madeleine Huppé, ne restera pas en compte puisque le couple produira douze enfants! Les autorités de la colonie mettaient à l’amende les hommes adultes encore célibataires. Les femmes, elles, devaient procréer le plus possible. Il s’ensuivit un faux de fécondité extraordinaire : 7.8 enfants par femme!
Dur labeur et placements avisés. Isaac et ses enfants accroîtront leurs possessions à force de dur labeur et de transactions en général avisées. En 1665, les Jésuites concéderont à Jacques une terre de quatre arpents au nord du Trait-Carré de Charlesbourg, qu’il exploitera comme censitaire. Et en 1681 c’est maintenant douze arpents qu’Isaac exploitera.
Au cours des deux cents ans qui suivront, les nombreux descendants d’Isaac feront croître le patrimoine familial. Les actes notariés attesteront de nombreux échanges, ventes, cessions, partitions, entre Bédard mais aussi, fréquemment, avec les « cousins » du coin que sont les Renaud, Villeneuve, Pajeot, Lefebvre, Déry et autres. On prend de l’expansion du côté du Trait-carré. Mais on se retire de la section Nord de Bourg-Royal, ou inversement. On pénètre au Gros-Pin. Beaucoup de mouvements, d’expansions mais aussi de replis. Il faut étendre une carte des différents bourgs de l’arrondissement pour voir évoluer leur enracinement! Comme ce qui a subsisté comme trace de leurs opérations financières se résume à de nombreux mais laconiques actes notariés, il est à peu près impossible de comprendre avec certitude quelles étaient les motivations à l’origine de telle ou telle transaction.
Isaac et ses deux fils, tout en cultivant consciencieusement leurs terres, continueront simultanément à œuvrer comme maîtres-charpentiers. Il semble que leur travail, en particulier celui d’Isaac, ait été apprécié. Qu’on en juge : Construction, en juin 1668, d’une grange de 40 pieds de long par 24 pieds de large pour Claude Charon, au prix de 150 livres. En 1670, construction d’une maison de 16 pieds par 18 pieds pour René Branche, qui habitait la Petite-Rivière-Saint-Charles. En octobre 1671, le chirurgien Thimothée Roussel retient ses services pour élever la charpente d’une maison de 27 pieds par 17 pieds à La Canardière, à Beauport, au prix de 45 écus. En 1682, Isaac construit une grange pour Louis Rouer de Villeray, un dignitaire de la colonie. Mais surtout, le 9 mai 1666, il signe conjointement avec Laurent Duboc un contrat avec l’intendant Talon pour la fabrication de 100 avirons (voir image ci-contre).
On imagine qu’il dut trimer dur! Mais il engrangeait des sommes intéressantes qui lui assuraient, à lui et à sa famille, une relative aisance. L’enracinement en ce sol où Isaac avait décidé de s’investir corps et âme ne se démentira pas au cours des deux siècles suivants. Il avait ouvert la voie…