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52 – Sésame ouvre-toi! (Tante Élizabeth)

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Tante Élizabeth, l’humble parmi les humbles. Tante Élizabeth (1903-1995) est la seule des trois « révélateurs » de sens que j’ai connue et avec laquelle j’ai pu parler de vive voix. Elle était ma tante paternelle, ainsi que la nièce de David Gosselin (son oncle maternel) et de Ferdinand Verret( son oncle paternel). Deux oncles qu’elle a côtoyés au quotidien. Elle a même été au service de Ferdinand Verret et de sa femme, Lucie Bédard, de 1919 jusqu’à la mort de Ferdinand, en 1946!

Jamais mariée, elle a passé sa vie à Charlesbourg et a habité la maison ancestrale des Bédard presque jusqu’à son décès.

Elle aura vécu l’existence sans relief des gens humbles et effacés qui regardent passer la vie des autres, à défaut d’en avoir une. On la tenait pour acquise… Même sa notice nécrologique est d’une concision presque gênante. Il n’existe à peu près aucune photo d’elle.

Réservée et résignée, jamais on ne la surprendra à se plaindre des vicissitudes de son existence, consacrée à faire vivre la famille. Et pourtant, les raisons de s’apitoyer sur son sort n’auraient pas manqué!

Une mémoire phénoménale. Tante Élizabeth avait intégré dans sa mémoire réelle et affective les dates, événements, noms des personnes et noms de famille, de la famille Bédard et de ses familles satellites : les Dorion, O’Neill, Gosselin, de Saint-Georges, Savard. Mêmes les mânes des morts semblaient incapables d’échapper à son emprise.  Non seulement ces êtres avaient-ils existé : elle leur redonnait vie!

Elle parlait peu. Mais quand elle s’y mettait, si le moment lui semblait propice et ses auditeurs attentifs, assise devant la table étroite de la cuisine ancestrale où elle prenait son repas, préparé par Thérèse, sa sœur, elle se mettait à dévider le fil de sa mémoire. En ces moments-là, elle devenait intarissable.

Une informatrice de première main. Son cousin, l’écrivain Félix-Antoine Savard (dont la mère était la sœur de Mathilde) fera appel à elle quand il entreprendra la rédaction de ses mémoires. Il lui écrira à quelques reprises afin de l’interroger  au sujet  de Mary-Ann O’Neill, leur grand-mère maternelle commune, une icône au sein de la famille suite à son parcours inhabituel : Devenue orpheline à Natchez, au Mississippi, à l’âge de douze ans, abandonnée par son demi-frère, elle avait été rapatriée à Québec quelques années plus tard par les familles Dorion et Cannon, auxquelles elle était apparentée par sa mère, Nathalie Dorion. L’échange de correspondance entre Félix-Antoine et tante Élizabeth est conservé à l’université Laval (fonds Félix-Antoine Savard).

Ma mère et moi n’échapperons pas au magnétisme de tante Élizabeth. Elle savait  nous captiver avec ses récits, surtout celui de Mary-Ann O’Neill, la petite orpheline.  C’est alors que ma mère me glissait à l’oreille : « Édith, retiens-bien ce que ta tante raconte… » tout en consignant à la hâte quelques notes dans le carnet qu’elle traînait toujours avec elle dans son sac. Ces notes, je les ai conservées précieusement et ne m’en suis jamais séparée. Leur contenu s’est avéré exact, à une exception près… que j’expliquerai plus tard dans le blogue.

Comme elle ne se mettait jamais en évidence et ne succombait pas au défaut d’en remettre pour faire monter la mayonnaise, tante Élizabeth constituait un interlocuteur valable, notamment pour les chercheurs. C’est ainsi qu’elle fournira des informations de première main à un candidat à la maîtrise de l’université d’Ottawa, qui rédigeait une thèse sur David Gosselin. Oui,  l’oncle paternel de tante Élizabeth, curé de Charlesbourg, polémiste et féru de généalogie et qui s’était impliqué bec et ongles dans la lutte pour les droits linguistiques des catholiques du Manitoba. Le chercheur fit le voyage à Charlesbourg et  interviewa tante Élizabeth,  le 22 juillet 1988. Il  fait référence aux propos de celle-ci à quelques reprises dans son mémoire ( De l’ultramontanisme au nationalisme : l’abbé David Gosselin et les écoles du Manitoba (1895-1900) suivi d’une biographie des œuvres de David Gosselin, Université d’Ottawa, 1989, 66 pages).

Je réalise aujourd’hui que jamais personne ne s’intéressa à tante Élizabeth et à son histoire personnelle, à elle! Jamais personne, incluant la soussignée, n’eut la délicatesse de la sonder sur sa jeunesse, ses espoirs, sa vision des êtres et des choses. Non… elle ne servit toute sa vie que de miroir réfléchissant de l’existence des autres ou, pis encore, de faire valoir.

Elle est enterrée à Cap-Santé, en compagnie de ses grands-parents, Mary-Ann et Régis Gosselin.

53 – Retour aux sources

 

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