EdithBedard.ca Mon arbre

EdithBedard.ca

48 – La fin d’une époque

Tant d’années de splendeur. Pour plusieurs personnes extérieures à la famille, ma mère était fascinante, élégante, piquante à ses heures, excellente cuisinière et hôtesse accueillante. Il y avait un certain chic en elle. Sa façon de s’habiller, avec recherche et élégance, révélait une préoccupation esthétique à la limite du supportable qu’on ne retrouvait pas nécessairement chez les mamans de mes copines, et qui commençait à ressembler à de la vanité. Elle appréciait de plus en plus les tenues raffinées, étudiait avec dévotion les magazines de mode. Il fallait que tous les accessoires soient assortis. Pour un récital d’élèves chez les Ursulines où je devais m’exécuter et jouer un quelconque morceau au piano, alors que je guettais morte de trac l’arrivée des parents et des invités  en glissant un œil à travers le lourd rideau de scène derrière lequel nous devions faire le pion, je l’avais vue faire son entrée, accompagnée de mon père. Elle portait un tailleur couleur marine de laine bouclée, de coupe stricte, mais arborait un chapeau de paille vieux rose, dont le dessus était parsemé de minuscules fleurs blanches et roses. Les gants étaient également roses, en cuir fin. Son sac à main et ses chaussures étaient rouge cerise foncé, presque prune. Le tout avait été pensé, ordonnancé, impressionnant, et presque apeurant de rigueur. Dans cette mini salle de concert, aux colonnes pseudo-grecques recouvertes d’un vernis jaunâtre, avec ses chaises droites comme on n’en trouvait que dans les institutions religieuses, et le public des parents, tous vêtus d’un brun vague qui frôlait le caca d’oie, la tulipe rose que formait ma mère attira tous les regards.

4801La fin d’une époque. Quand j’ai dû vider sa maison et jeter par dizaines des sacs de vieille literie, de serviettes qui n’avaient jamais servi mais que l’usure du temps, même dans un placard, avait rendues inutilisables, de vêtements desséchés à force d’avoir été suspendus sur des cintres sans que plus personne ne les porte, je suis tombée sur ce canotier rose.  Je n’ai pu me résoudre à jeter aux ordures ce vestige de ses années de splendeur. Alors le revoilà, sorti de sa boîte d’un magasin de l’époque. Je le tiens dans mes mains. Je le fais tourner, je le salue presqu’avec affection. Il a gardé sa délicatesse. Le rose, s’il a légèrement jauni, éblouit toujours. Nous sommes devenus, avec les années, des amis. Dans la hiérarchie des sentiments, j’avais l’impression qu’il avait préséance sur moi : lui, était en contact avec ses cheveux, qu’elle portait remontés en chignon. Lui, avait droit à toute la déférence que l’on accorde aux objets mûrement acquis, et entretenus.

49 - Étais-je un secret de famille?

 

Recherche
Merci de faire connaître ce site