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42 – Misère et dénuement

La maison ancestrale dans son état original. Ma grand-mère paternelle habitait la maison ancestrale en compagnie de ses deux filles, Élizabeth et Thérèse, qui ne s’étaient jamais mariées. Les trois femmes  vivaient dans un dénuement qui n’était pas loin de la pauvreté. La maison ne comportait ni chauffage central, ni eau chaude, ni salle de bain complète, ni cuisinière électrique, ni réfrigérateur. Je me souviens des blocs de glace qu’on introduisait dans la glacière, située dans la cuisine d’été, à la cave, et qui servait à préserver la nourriture périssable, pendant l’été.

3201Recul de 100 ans en arrière. Dans cette maison, on évoluait dans une autre ère. Dans un Québec des années 1850 qui aurait été préservé. Un musée d’antan. Cette famille avait déjà été à l’aise financièrement. Cela se sentait… Mais tout était maintenant chose du passé.

Splendeurs du passé. L’ameublement était noble mais défraîchi, les peintures rarement refaites. Les murs étaient d’un blanc délavé à force d’avoir été nettoyés, car on était très propre et qu’on lavait tout à grande eau comme il est de tradition au Canada français. Deux tableaux de grande dimension, d’un certain Laurent Revel, dont on disait que mon grand-père l’avait hébergé des années auparavant,  étaient accrochés, l’un dans la salle à dîner, l’autre dans le salon, rares témoignages d’un luxe passé.

Quelques humbles enjolivements. Seules les fenêtres arboraient un semblant de fraîcheur, car tante Thérèse était très douée pour la couture et avait confectionné d’assez jolis rideaux. Les matelas dans les chambres à coucher étaient de plume. Les draps étaient faits maison. Tante Thérèse achetait son tissu à la verge et les cousait elle-même, en ajoutant des garnitures de ric-rac… rose! Les serviettes de toilette étaient élimées, raides à force d’avoir été tordues et étendues.

Hygiène basique, jamais de bain… On utilisait un savon de Marseille pour toutes les tâches ménagères, même pour laver la vaisselle, et pour faire sa toilette sous le robinet d’eau froide, dans la cuisine. Pour la toilette plus intime on avait mis de l’eau à bouillir sur le poêle, qu’on versait dans une bassinette de métal émaillé et qu’on amenait dans sa chambre. Je le sais parce que j’avais vu un frère de mon père, oncle Lucien, qui était en visite, procéder ainsi. Comme il n’y avait pas de salle de bain complète, on ne prenait jamais de bain. Et on se lavait parfois les cheveux, la tête comme on disait, environ aux trois mois, par crainte des bronchites surtout en hiver!

4202…et encore moins de consultation à l’hôpital. Jamais ma grand-mère ne mit les pieds dans un hôpital.  

De la vaisselle ébréchée. La belle vaisselle anglaise des grands jours, lourde et élégante, était à peu près tout ce qui subsistait de ce passé. Pour l’ « ordinaire », on utilisait de la vaisselle ébréchée dont on m’expliqua par ailleurs qu’elle était dans la famille depuis longtemps. J’ai conservé en particulier un vieil ensemble de salière et de poivrière dont certaines parties endommagées avaient été recouvertes d’une sorte de tôle. Comme si le passé, même écorné, valait mieux que le présent.

J’ai gardé également un contenant dans lequel on mettait la crème qui remontait du lait recueilli de la vache qu’on venait de traire, ainsi qu’un plat creux dans lequel tante Thérèse mettait les framboises fraîches qu’elle venait de cueillir.

Frugalité extrême. La sévérité des lieux était palpable. On économisait sur tout. Le soir, quand la nuit tombait, on allumait les rares luminaires le plus tard possible. On chérissait cette pénombre qui gagnait une à une les pièces de cette vaste demeure froide. On mettait la radio le soir, à sept heures, pour entendre quelque ponte religieux réciter le chapelet. Le silence était de mise. Le poêle à deux ponts de la cuisine, qui chauffait presqu’en permanence, était le lieu où on se tenait : il irradiait un mince filet de lumière, celui des braises, qui filtrait à travers les ronds de fonte. Et surtout il réchauffait en hiver. C’était, comment dire, monacal et expiatif. Périodiquement on mettait en vente un bout de terrain, pour disposer d’un peu d’argent. Cela sentait la fin de siècle.

Une vie en retrait. Même si on ne quittait jamais la maison, on verrouillait toujours les deux portes qui donnaient sur la « galerie », laquelle courait sur la longueur sud de la maison, surtout le soir et la nuit. Je me souviens précisément de ces deux clés. Des objets lourds, artisanaux, noirs et impressionnants, plus longs que ma menotte, dont il n’existait aucun autre exemplaire parce qu’ils avaient été fondus il y a des lunes par le forgeron du village à l’époque de la construction de la maison.

Et surtout on était loin de tout, de la rue, du passage des voitures et des charrettes, des gens. On aurait pu mourir dans cette maison sans que personne de l’extérieur n’en ait la moindre idée. Qu’on pût y rire, danser, sauter de joie, semblait inimaginable.

On semblait se complaire dans la souvenance d’un passé qui m’échappait.

43 - Tante Thérèse 

 

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