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41 – Mathilde, ma grand-mère paternelle : une énigme

4101Une grand-mère paternelle effacée et sévère. Mathilde avait soixante-dix ans passés quand je fis sa connaissance. Elle était petite, menue, silencieuse. Les années l’avaient adoucie, si jamais elle avait été dure. Elle portait des bas de coton gris. Ses jambes, minces, étaient parcourues de vaisseaux sanguins bleutés. C’était sans gravité, de la couperose et des veines superficielles qui s’acquittaient mal de leur fonction de pompage. Nous sommes plusieurs dans la famille à avoir hérité de cette condition, qui nous rougit les pommettes et surtout le nez. Le reste de sa tenue était sévère : une jupe droite, toujours la même je suppose, des chemisiers blancs. Un cardigan gris, ou noir.

Mathilde ou Lizzie. On l’appelait parfois Lizzie, en souvenir de sa mère, née Mary-Ann O’Neill, qui avait été élevée dans le Mississippi profond, d’où elle était revenue à l’âge de treize ans. Je raconterai au terme de mon récit l’histoire peu commune de cette arrière-grand-mère au parcours inhabituel. Mathilde parlait le français, mais Lizzie, je le découvrirai plus tard, parlait également l’anglais !

Tricotant à sa fenêtre …  Elle tricotait beaucoup, installée dans une large berçante munie d’un coussin devant la fenêtre de la cuisine qui donnait sur le chemin privé. Surtout des chaussettes de laine qu’elle montait sur des aiguilles de métal. Le cliquetis caractéristique du frottement des deux minuscules tiges l’une contre l’autre, me revient.

…un chat sur les genoux. Lizzie adorait les chats. Elle en possédait quelques-uns et bien évidemment il y en avait souvent un qui dormait sur ses genoux. La chose me confondait d’autant plus que ma mère avait une peur panique des chats, une phobie telle qu’elle grimpait sur une chaise si un félin s’approchait trop d’elle. Bien évidemment, ma mère m’avait transmis sa crainte des chats. Et ceux de ma grand-mère n’étaient pas toujours jeunes et musclés. Ils étaient pelés, vieux et souvent malades.

3102Retrait volontaire ? Mathilde ne quittait jamais la maison ou les abords de la maison, n’allait voir personne et ne recevait personne, sauf une nièce, Marcelle de Saint-George, surnommée Vava, fille de sa sœur Éva, qu’on invitait une à deux fois par an environ à venir passer un dimanche à Charlesbourg.

Vava ne s’était jamais mariée et travaillait comme secrétaire au « Parlement », au département du Trésor, comme on disait alors. Elle habitait une modeste maison de chambre dans la Grande-Allée. Elle avait grandi dans la ouate, étudié chez les Ursulines, mais s’était retrouvée seule et désargentée à un moment donné. Vava parlait bien, avec élégance. Connaissait la littérature, la musique, l’histoire. Ses visites chez sa tante Lizzie étaient pour celle-ci  l’occasion de se remémorer le passé.

De Quet à de Saint-George. Je narrerai, plus loin dans mon récit, l’histoire de la famille de Saint-George dont l’ancêtre Laurent Quet avait fui la France lors de la révolution française de 1789. Étant arrivé en Angleterre comme réfugié le jour de la Saint-George, il décida d’ajouter ce patronyme à son humble nom… ainsi que le particule « de » avant d’émigrer à York, au Canada anglais où il fera fortune. Cela nous donne une idée du personnage.

Réservée et silencieuse. Lizzie n’allait plus à la messe régulièrement, sauf si quelqu’un pouvait l’y conduire en auto. L’église était encore le lieu de ralliement des gens du village. Elle souffrait régulièrement de brûlements d’estomac parce qu’elle aimait bien le chocolat. C’était une vieille dame que les vicissitudes de la vie avaient rendue silencieuse. Elle était très gentille avec moi, mais sans me démontrer une affection débordante. Elle ne venait jamais vers moi. Il fallait que j’aille vers elle. Je ne pense pas m’être jamais assise sur ses genoux, encore moins m’être collée contre elle.

Voisines immédiates et pourtant si lointaines. Mathilde et ses deux filles étaient nos voisines immédiates, tout en étant assez éloignées physiquement de nous. La bande de terre qui séparait sa maison de la nôtre était large. Même en faisant un effort, on ne pouvait voir réellement ce qui se passait chez l’autre. De toute façon nous ne nous fréquentions pas au quotidien, en toute simplicité, comme c’était le cas chez les Côté.

Deux visites en quinze ans. En fait, je ne me souviens que de deux visites de ma grand-mère à notre maison, au cours des quinze années qui suivirent. Une pour ma première communion, parce que ma mère l’avait invitée pour le lunch qui suivit la cérémonie, de même que Julia, mon autre grand-mère. Le tout a été consigné par ma mère dans mon Livre de bébé. C’est dire le caractère exceptionnel de sa visite! L’autre, au cours d’une tempête de neige phénoménale à l’occasion de laquelle mon père était allé la chercher parce qu’il craignait pour sa sécurité. C’est quand même peu!

Les années passèrent sans que jamais elle ne vint prendre un repas chez nous ou nous rende visite. Était-ce parce que ma mère ne l’invitait pas? Ou qu’elle-même ne souhaitait pas nous voir? Ou les deux à la fois?

 Mathilde sera demeurée pour moi une énigme.

42 - Misère et dénuement

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