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39 – Premiers hivers à Charlesbourg

2901Une perception biaisée? J’ai souvenir des hivers rigoureux. Du vent qui hurlait contre les fenêtres. Des bourrasques de poudrerie. Du manque d’agitation urbaine autour de notre maison. De la neige épaisse et drue qui tombait pendant la nuit.

Mon père devait sortir au petit matin afin de dégager l’entrée automobile, car la voiture était essentielle à son travail. Quand il avait trop neigé et que décidément il n’y arriverait pas tout seul, il rentrait à la maison, montait réveiller mes sœurs et les consignait d’office! Que de colère de leur part! Elles pestaient mais se résignaient à enfiler leur manteau et leurs bottes par-dessus leurs vêtements de nuit. Mais avait-il le choix? Il n’arrêtait pas de trimer. C’est ma mère qui, finalement, lasse de ces tensions, prit entente avec un entrepreneur du coin afin qu’il déneige notre entrée dès l’aurore. Ce qui apparaissait comme un luxe de riche à l’époque.

Enfermement, peau sèche et vêtements inconfortables. Notre maison était moderne, confortable, adéquatement chauffée. Des radiateurs dans chaque pièce. Mais du plus loin que je me souvienne, je n’ai jamais aimé l’hiver. C’est une saison qui a toujours représenté à mes yeux le passage obligé au cœur d’un interminable désert. Le contraste entre la chaleur trop élevée des systèmes de chauffage central à l’intérieur des demeures et le froid glacial de l’extérieur, perpétuellement difficile à dompter. Le manque d’humidité dans les maisons, surtout la nuit, car à l’automne on avait laborieusement calfeutré les fenêtres et certaines portes qu’on condamnait pour l’hiver. La peau rêche.  

Les nombreuses épaisseurs de vêtements qu’il fallait enfiler pour ne pas geler tout rond quand on devait sortir. Les bottines de feutre qui prenaient l’eau. Les mitaines de laine raides comme des momies et qui sentaient le renfermé parce qu’on les avait suspendues toute la nuit dans la cave, devant la fournaise. 

Refroidissements et quintes de toux. Les quintes de toux. Les cataplasmes à la moutarde, qu’on appelait « mouches de moutarde » qu’on nous appliquait sur le thorax et les omoplates pour dégager les bronches, et qui brûlaient la peau. Les ventouses qu’on imbibait d’alcool, auxquelles on mettait le feu avant de les plaquer prestement sur le dos.

La seule beauté rattachée immédiatement à l’hiver venait d’un objet de ma vie : quand elle m’habillait et m’aidait à enfiler des vêtements chauds pour l’extérieur, ma mère ne manquait jamais d’enrouler une crémone autour de mon cou. J’en possédais une, de couleur brune, tricotée par quelqu’un du clan Côté. J’y étais très attachée.

2505La cuisine réconfortante de ma mère. Ma mère consultait le livre La cuisine raisonnée sur une base quotidienne, comme des milliers de ménagères d’alors. Ce qu’on cuisinait en hiver différait de ce qu’on préparait en été. Affronter le froid requiert une dose additionnelle d’énergie. Les odeurs de pot-au-feu, de bouilli, dans lesquels elle mettait, outre les légumes traditionnels, du clou de girofle (piqué dans le chou) et des panais, produisent encore sur moi l’effet d’un baume contre les rigueurs hivernales. Quand décembre arrivait, elle commençait à cuisiner ses plats pour le temps des Fêtes. Comme on ne disposait pas de congélateurs, elle empilait sa production dans une armoire aménagée dans le garage, qui tenait lieu de glacière.

Elle dégraissait systématiquement ses plats de viande. Ses tourtières étaient goûteuses, assaisonnées avec des herbes, et peu salées. La muscade faisait des miracles à ce chapitre. Elle confectionnait de minuscules pâtés à la viande, qu’elle préparait dans des moules à muffins.

Elle disait que le dommage pour la santé était moindre puisque forcément on en mangerait moins! Et surtout elle n’appréciait pas la nourriture traditionnelle, composée de ragoûts de boulettes, de cretons, de lard salé, et autres monstruosités de même nature, se résignant quand même à en préparer pour mon père. Elle faisait exception à la règle pendant la saison des Fêtes : elle cuisinait alors une tarte à la mélasse et aux raisins, dite « tarte à la farlouche », qui contenait une quantité astronomique de calories. Mais se rachetait en préparant des meringues qu’elle colorait en vert pâle ou en rose, légères, un délice pour les yeux et le palais.

40 - Charlesbourg : un rendez-vous manqué

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