Dévotion et rituels religieux. Nous passions beaucoup de temps à la chapelle, du côté du cloître. La chapelle des Ursulines, fort vaste, est composée de deux sections, érigées à angle droit l’une de l’autre mais faisant chacune face à l’autel principal. L’un est externe, réservée aux fidèles. Il est impossible, de la section externe, de voir ce qui se passe dans la section cloîtrée. L’autre section est réservée au cloître. C’est là que nous assistions aux différents offices. Il y avait, outre la messe, les vêpres à la tombée de la nuit et avant le souper. Je n’étais pas la seule à ressentir un certain vide. Les religieuses étaient assises dans leurs stalles, toutes de noir vêtues, leurs livres de prières dans les mains. Le mot d’ordre tacite était : recueillement. Au-dessus de nos têtes, dans le jubé, l’organiste et le chœur composé de quelques religieuses s’exécutaient. Un silence absolu, ponctué de ces chants souvent a capella, sans fausse note. Je trouvais ce moment particulièrement douloureux. C’est alors que ma famille me manquait.
Voeux perpétuels : la fiancée se donne à Dieu. J’ai souvenir d’une cérémonie nocturne et élaborée au cours de laquelle une novice prononça ses vœux perpétuels. La mise en scène rigoureusement codifiée représentait le don total d’une femme à son Dieu et, en corollaire, son renoncement au monde extérieur.
La future épouse pénètre dans la nef de la chapelle, toute de blanc vêtue, au terme de plusieurs jours de réflexion et de retraite. Entourée de la communauté de femmes du Monastère, elle s’approche du prêtre officiant. Plusieurs échanges de formules entre l’officiant et la novice ponctuent le silence des lieux. À un moment donné la jeune femme se coucha brusquement à plat ventre sur le sol, les bras en croix. Je me souviens du bruit que le rosaire impressionnant qu’elle portait à la taille fit quand elle s’allongea de tout son long sur le carrelage. Le bruit que créa le choc du rosaire sur le sol s’éleva dans la nef, en cascades sonores qui retentirent jusqu’à la cime des lieux.
Il s’ensuivit une séries de prières par lesquelles la « fiancée » affirme et réaffirme son don d’elle-même. Une croix de taille impressionnante est ensuite posée directement sur la chasuble blanche qu’elle porte. Ainsi qu’un voile noir qu’à partir de maintenant elle arborera en remplacement du voile de novice. Symbole de son don à Dieu, pour l’éternité, scellant son rôle d’épouse de l’Être supérieur.
Pour la fillette que j’étais, cela signifiait que cette femme renonçait à jamais à sortir à de ces murs, de ce grand jardin intérieur qui avait certes belle allure, en plein cœur du Vieux Québec mais qui, à bien des égards, représentait une prison. La perspective d’un tel sacrifice ne m’apparut jamais personnellement comme une avenue possible de vie. J’en fus passablement remuée. Je n’avais de toute évidence pas la vocation.
Tout sauf une prison. Il ne faudrait pas retenir par ailleurs de ma description que l’univers du pensionnat chez les Ursulines, malgré qu’il ait été clos, était concentrationnaire. C’était un havre de paix. Un nid. Mon second nid après celui qu’avait représenté le clan de mes grands-parents maternels, à Black-Lake. Mais il appartenait à une époque aujourd’hui complètement révolue. Là encore, celui du Québec des années cinquante.
Des femmes attentives. Les religieuses auront été pour moi comme des mères, des tantes ou, à défaut, des gardiennes de mon bien-être physique et affectif. Jamais des monstres. Jamais menaçantes. Attentives. Le souvenir que j’en garde est éminemment positif. Et empreint d’émotion. Évidemment elles démontraient une efficacité redoutable quand il s’agissait de suppléer aux déficiences éventuelles des parents, souvent absents ou peu intéressés par le développement de leurs enfants. Leur influence était réelle. Parfois trop appuyée? Rétrospectivement, leur projet éducatif me semble avoir été de favoriser le développement chez chacune d’entre nous de ses dons. Et de stimuler notre intellect et notre créativité, au détriment même des codes sociaux « attendus ». Ma mère lancera un jour, excédée de mes velléités d’indépendance à l’adolescence et pointant du doigt l’influence des Ursulines: « On a payé cher pour vous faire instruire en espérant faire de vous des femmes de juge! Elles ont fait de vous des révoltées! » Elle n’avait pas complètement tort! Je leur dois mon goût pour le travail intellectuel, pour la connaissance. Même s’il a parfois fallu sortir pour cela des sentiers battus.