Passage chez les « grandes ». Lorsqu’après quatre ans au « Petit Monastère » de Loretteville, comme on l’appelait, mes parents m’inscriront au « Vieux Monastère », celui de la rue du Parloir à Québec, où je poursuivrai le reste de mes études, c’est à une version plus austère du code de comportement et de discipline que je devrai me soumettre. Pendant les dix premières années de mon éducation primaire et secondaire, les religieuses Ursulines demeureront une communauté cloîtrée. Jusqu’à ce que Jean XXIII devienne pape.
Le cloître, même pour les élèves. Ces femmes avaient prononcé des vœux perpétuels de chasteté mais surtout de retrait du monde. Elles ne sortaient jamais de l’enceinte du couvent, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Nous, les élèves, devions nous conformer à des règles très strictes compatibles avec l’esprit d’une institution théoriquement coupée du monde.
Codification extrême… Tout dans nos activités, comportements, était codifié à l’extrême. Nous devions respecter les dictats de ce protocole, sous peine de sanctions qui allaient de la privation de récréation jusqu’à la retenue, pour les demi-pensionnaires, et à l’annulation de sortie hebdomadaire pour les pensionnaires. Aucun châtiment corporel, aucune privation de nourriture cependant. Jamais de menaces, individuelles ou de groupe non plus. Beaucoup de douceur, de calme, de recueillement. Et de rires également. Mais une discipline basée sur l’introspection et sur l’auto-évaluation de son comportement, inculquée très tôt. Dieu nous surveillait constamment. Notre conscience également! Sur ce chapitre, le rôle des religieuses se limitait, aurait-on dit, à celui de suppléantes de la volonté divine et de soutien moral à la poursuite d’une maîtrise individuelle totale de nos pulsions! Nous étions tenues de vouvoyer nos professeurs… Et ceux-ci nous vouvoyaient également. Inutile de préciser que le pensionnat, comme les classes, n’accueillait que des enfants de sexe féminin.
… Dans toutes les sphères d’activités. Les rites et les routines marquaient chaque moment de notre quotidien, surtout au pensionnat où ma mère m’inscrivait en général en janvier quand elle partait pour la Floride et où je demeurais jusqu’à la fin de l’année scolaire. Comme demi-pensionnaire, la discipline était bien réelle, mais à la fin de chaque journée on rentrait chez soi dans la famille. En revanche lorsque l’on résidait au monastère comme pensionnaire la réalité quotidienne du cloître nous recouvrait comme une chape. On sortait voir ses parents du dimanche matin, à partir d’environ dix heures, jusqu’à l’heure des vêpres. À condition d’avoir affiché un comportement irréprochable au cours de la semaine qui avait précédé… Ce qui n’était pas toujours le cas… Une amie de pensionnat qui était trop indisciplinée aux yeux des religieuses fut ainsi pendant des mois privée de sortie jusqu’à ce que ses parents n’interviennent.
De rares sorties. Les fins de semaine se passaient dans l’enceinte du Monastère, dont nous ne sortions théoriquement jamais. On nous emmenait parfois aux matinées du Palais Montcalm pour y assister à des récitals de piano ou pour assister à des spectacles de ballet classique. Mère Marie-de-la-Rédemption, qui nous accompagnait, nous enjoignait de fermer les yeux si un danseur, en collant, s’exécutait sur la scène. Mais ces sorties étaient exceptionnelles. Pas de télévision. Pas de cinéma maison. Des jeux, du bricolage, du piano quand on en faisait. Du patin en hiver, du tennis en été, dans l’immense jardin clôturé d’où on apercevait l’édifice Price.
Silence et codes gestuels. On ne parlait jamais au dortoir, pas plus qu’au réfectoire. Dès notre réveil le matin, le silence était de mise. Au son de la clochette que la religieuse de nuit, qui avait dormi avec nous dans le dortoir, agitait, nous devions nous lever, silencieusement, procéder à nos ablutions sommaires, nous habiller puis descendre en rang à la chapelle pour la messe. Ensuite, petit déjeuner au réfectoire, toujours en silence. Nous utilisions des codes gestuels pour demander qu’on nous passe l’eau, le pain. Nous nous levions de table lorsqu’on nous en donnait l’autorisation, jamais avant.
Puis une première récréation, vraiment bienvenue, dehors, où on pouvait parler, jouer au ballon, se détendre, avant le début des cours. Et ainsi de suite jusqu’au soir.
Changement de petites culottes, de maillot de corps, de chaussettes et de chemisier deux fois par semaine. On mettait les vêtements sales dans un sac de tissu, marqué au nom de chacune. La lessive se faisait toutes les deux semaines. Nos vêtements, identifiés à notre nom grâce à des étiquettes cousues sur chaque pièce, nous revenaient lavés et repassés. Le samedi ou le dimanche, la surveillante du réfectoire prononçait habituellement un deo gratias. Nous pouvions alors parler entre nous. Mais sans débordements. Quand nous défilions pour aller du réfectoire à la chapelle, ou de la chapelle à la salle d’étude, nous le faisons en rang, en file indienne, et en silence. Nous nous arrêtions à chaque bout de ces immenses corridors du « Vieux Monastère » et attendions que la religieuse nous intime, d’un coup de son claquoir qu’elle tenait à la main, la consigne de continuer.