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30 – Le Survenant, assise sur les genoux de mon père

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Le Survenant, évocateur et tellement mystérieux. Mon téléroman préféré était Le Survenant, écrit par Germaine Guèvremont, cousine d’ailleurs de Claude-Henri Grignon. Le  récit était imaginaire, il racontait quelque chose de poétique et de tragique qui s’élevait au-dessus du contexte  apparemment banal dans lequel l’histoire se déroulait. Et laissait présager le choc brutal qu’allait bientôt représenter pour le Québec la confrontation entre la culture du terroir, traditionnellement valorisée et prisée au Canada français,  et la culture urbaine, née de l’industrialisation. Les spécialistes considèrent que le Survenant illustre à lui seul le dilemme de la contradiction et du déchirement. Mais, me semble-t-il, il évoque également le mythe, qui n’en est pas un en fait, du coureur de bois. Libre. Sans attaches. Qui quittera on ne sait quand. Qui reviendra, peut-être.

J’étais attirée par le Survenant comme je craquerai des années plus tard pour les iconoclastes et coureurs de bois, les Dorion, partis à l’aventure vers les grands espaces de l’Ouest américain, et dont je narrerai les aventures plus loin dans
mon récit.

L’histoire du Survenant me remuait et m’allait droit au cœur. Je comprenais confusément que les sujets abordés étaient graves. J’écoutais chaque épisode, assise sur les genoux de mon père. C’était  l’histoire d’un homme venu d’ailleurs, beau et mystérieux, à la voix grave et profonde. On ne connaît même pas son nom. Mais il est apparu un soir d’automne au Chenail du Moine et est venu frapper à la porte des Beauchemin. Il cherche du travail. Il est jeune, costaud et se révèle un bon travailleur. On décide de l’héberger. A-t-il du sang amérindien? Il porte une veste à franges comment en portent les autochtones qui font la trappe.

3002_V2Rapidement ses dons de conteur feront le tour du village. Il vient « d’ailleurs », là où on n’ira jamais, quand on est né au Chenail du Moine. On vient l’écouter. Il fascine. Un chaman à sa manière. Angélina, la jeune femme boiteuse et déjà vieille, est amoureuse de lui. Cela suffira-t-il à le retenir? Non. L’appel de la route et du vaste monde sera plus fort. Il repartira, comme il est venu. Tout ce qui tournait autour de la destinée, de l’abandon, de la disparition, me fascinait. Même si j’aurais été incapable de mettre un nom sur ces concepts. Tout comme le conte de La Petite Fille auxAllumettes,  d’Andersen, m’avait profondément remuée, jusqu’au malaise.

Mon idole : Édouard Carpentier. J’éprouvais également une fascination pour les combats de lutte que je regardais avec mon père à la télévision, le samedi après-midi. Les combats étaient retransmis de Montréal. J’idolâtrais un des protagonistes, Édouard Carpentier. Non seulement le trouvais-je beau, mais il s’exprimait bien. C’était un Français. En réalité, il s’appelait Ignacs Wiecorkiewicz et était né le 17 juillet 1926 à Roanne, en France, d’un père russe et d’une mère polonaise. Cela, tous l’ignoraient. Lui ne l’aurait jamais mentionné, histoire de ne pas gâter la sauce! On peut le comprendre!

Même si son accent populo transparaissait car il n’avait rien d’un intellectuel, il savait mieux tourner les phrases que, disons, Johnny Rougeau, un héros québécois de la lutte. Il y avait du Lino Ventura en lui. Mon cœur tremblait chaque fois que Carpentier  devait affronter un adversaire venu d’Europe de l’est, du nom de Wladek “killer” Kowalski. D’un côté, donc, le bon. De l’autre, le méchant. Parfois, le bon l’emportait, mais tout aussi souvent c’est le méchant qui prenait le dessus et était déclaré vainqueur! Des années plus tard, les deux ont accordé, ensemble, une entrevue à la télévision. Deux types sympathiques, très doux, qui en avaient bavé dans leur enfance et qui avaient émigré au Canada à la recherche d’un meilleur sort. Tout ce que j’avais vu à la télé des années auparavant n’était, c’est le cas de le dire, que du cinéma. C’est mon père qui avait fini par me révéler le pot aux roses!

31 - L'attachement à mon père

 

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