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20 – Papa, médecin

2000

En santé publique, dès le départ. Mon père fut rattaché d’abord à l’unité sanitaire d’Amqui, comté Matapédia, à compter des années 1932, du temps de son premier mariage. En septembre 1938, il fut nommé à Shawinigan, à la demande du député du coin qui avait entendu parler de lui et fit pression pour qu’il soit transféré en Mauricie, selon ce que rapporte Ferdinand Verret, oncle paternel de mon père et dont je parlerai plus loin, dans son Journal

J’ai retrouvé trace dans les Arrêtés en conseil du conseil des ministres du 29 avril 1941 de sa nomination comme inspecteur d’unités sanitaires, au salaire annuel de 3 600 $ par année. Puis dans un autre Arrêté en conseil, du 12 mars 1943, celle de la décision relative à l’octroi de sa permanence. Enfin, en 1945, toujours par Arrêté en conseil, son traitement est porté à 3 833 $ par année, le 24 mars 1945. Un boni de 300 $ lui est de plus accordé, le 23 août 1945. À la mort de sa première femme, en 1943, il était encore en poste à Shawinigan. On le retrouve ensuite à l’unité sanitaire de Thetford-Mines, comté Mégantic, autour des années 1945. Et finalement à celle de Loretteville, à compter du début de 1948 jusqu’à son décès en janvier 1968. Au sujet de cette dernière affectation, on retrouve dans l’Arrêté en conseil numéro 371-59, en date du 22 avril 1959,  confirmation que son traitement annuel est passé de 6 430 $ à 7 050 $. Et quelques mois plus tard, un nouvel Arrêté en conseil porte son traitement annuel à 7 600 $ à titre de médecin hygiéniste chef d’unité sanitaire, « grade » 23 (Arrêté en conseil no 1198-59 du 28 octobre 1959). 

Je n’ai pu mettre la main sur la confirmation des dates exactes de début et de fin de ses deux dernières affectations.

2008Un large spectre de responsabilités. J’ai retrouvé dans des documents archivés du ministère de la Santé du Québec, conservés aux Archives nationales du Québec, la correspondance adressée par mon papa à des interlocuteurs du ministère de la Santé, en particulier le Dr Roger Foley, un épidémiologiste que mon père tenait en haute estime. Ces pièces de correspondance permettent de saisir le spectre somme toute étendu des domaines dans lesquels les unités sanitaires étaient amenées à intervenir. Les précurseurs des directions de santé publique telles que nous les connaissons aujourd’hui, et des CLSC. Cela couvrait la planification des cliniques de vaccination dans les dispensaires et dans les écoles; la recension des cas individuels et collectifs de cancers, de maladies contagieuses, d’infections, d’empoisonnements alimentaires; les données épidémiologiques dûment consignées pour que leur valeur statistique ne soit pas remise en cause; les inspections diverses et le signalement d’enfants maltraités ou négligés; les enquêtes sur la salubrité de l’eau, des immeubles et des sols; et même les cas d’abus d’animaux, par exemple dans les chenils commerciaux.

Arracheur de dents. De plus, à l’époque, il était fréquent qu’un médecin agisse comme dentiste. Surtout quand il pratiquait dans une unité sanitaire où on disposait de l’équipement nécessaire. Papa procédait donc au besoin à l’extraction de dents. Comme il utilisait un peu d’anesthésiant, cela faisait quand même moins mal que de passer chez l’arracheur de dents du coin!

2002aDes heurts inévitables avec les compagnies minières… Mon père fut, directement ou indirectement, mêlé aux turbulences annonciatrices de la grève des mineurs de 1948 (voir 4 – L’amiante). Il me racontait que ses relations avec les médecins des compagnies minières étaient souvent tendues. Il leur reprochait leur complaisance et leur manque d’honnêteté quand il s’agissait de rendre compte de l’incidence des cas de cancers des voies respiratoires et de tuberculose parmi les travailleurs. Il aurait fallu être idiot pour ne pas reconnaître le lien direct entre le fait de travailler dans les mines et la fréquence des maladies des voies respiratoires. Les travailleurs étaient les premiers à en être conscients. Les compagnies s’entêtaient dans leur déni.

Des constats accablants de la part des autorités gouvernementales. J’ai retrouvé copie d’un mémorandum daté de mars 1949 à la Commission des accidents de travail sur la mortalité par tuberculose à Thetford-Mines, signé par le Dr Foley. Celui-ci se livre à une analyse fine et impitoyable des résultats déposés par un médecin à l’emploi d’une compagnie minière, dont je tairai le nom. Ses observations et ses admonestations à l’égard de son collègue défilent les unes à la suite des autres :

« … on veut rejeter uniquement sur les conditions économiques et sociales le taux élevé de mortalité par tuberculose de Thetford-Mines: elles en sont certainement un des facteurs importants; mais cette argumentation serait certainement plus forte si on produisait le résultat des examens pulmonaires des employés de l’industrie de l’amiante qui ont été faits par les médecins des Compagnies. Il est certain que l’on a dû trouver quelques tuberculeux au cours de ces examens et cependant jamais les médecins des compagnies en ont fait la déclaration à ma Division de l’Épidémiologie du Ministère de la Santé, ainsi qu’ils y sont tenus par l’article 81 de la Loi de l’Hygiène publique de Québec (…) » (Ministère de la Santé, Documents archivés, mars 1949, Archives nationales du Québec).

Tuberculose et amiante : un lien démontré déjà en 1945. Le Dr Foley ajoute :2004a

« Nos informations, non-officielles cependant, sont à l’effet que l’on a trouvé une atteinte de tuberculose dans 7 % des employés de l’amiante alors que dans les enquêtes radiologiques de la Gaspésie – qui souffre de la plus haute mortalité provinciale – nous avons une proportion de moins de 3% et que la même proportion est de un pour cent dans les autres enquêtes radiologiques faites dans les autres endroit de la Province. » (Ibid.)

Il assène ensuite le coup final :

«  Pour conclure, je n’hésite pas à dire que le tuberculeux ou la personne menacée de tuberculose n’a pas sa place dans une industrie génératrice de poussières, et encore moins de poussière de silice ou d’amiante. » (Ibid.)

Je suis naturellement encline à considérer que papa alimenta abondamment le docteur Foley en données de toutes sortes. C’était son rôle, après tout! Ses contacts professionnels et mondains avec ses collègues médecins à l’emploi des compagnies minières ne s’en trouvèrent pas améliorés! Quelque part, cela lui était indifférent. Il était tout, sauf complaisant ou aveuglement ambitieux.

Les bienfaits de l’amiante… Même si le corps médical voyait le lien entre le fait pour un mineur de travailler dans les mines d’amiante et de développer des maladies des voies respiratoires, le danger rattaché à l’utilisation massive de l’amiante comme matériau de construction des maisons, des écoles, des hôpitaux et des édifices publics en général n’était pas encore connu, lui. Les gens avaient très peur des incendies qui pouvaient potentiellement détruire leur maison. Des quartiers entiers de villes comme Québec, Chicoutimi, avaient été ainsi rasés par les flammes. Or dans les journaux on vantait, et depuis les années 1910, les mérites du bardeau d’amiante. On le qualifiait d’ «indestructible, d’incombustible et d’imperméable » (L’Événement du 10 juillet 1912, page imp. à dét.). L’amiante se vendait bien.

Il fallait avoir un tempérament de missionnaire pour résister aux pressions. Et garder le cap sur l’essentiel. Quand je suis née, il avait déjà quitté la direction de l’unité sanitaire de Thetford-Mines pour prendre la direction de celle de Loretteville, près de Charlesbourg.

2003bChats et chiens écrasés, salmonellose en plus. Les responsabilités qu’assumait mon père avaient également un côté « chats et chiens écrasés ». Il devait fréquemment s’acquitter de tâches qu’aujourd’hui peu de spécialistes de la santé accepteraient d’accomplir. Un épisode mémorable me revient en mémoire. Il concerne un restaurant aujourd’hui disparu, le Vatel, situé à Charlesbourg. On y tenait fréquemment des réceptions de mariage. C’était un établissement renommé. Un samedi après-midi, mon père fut appelé à se rendre en catastrophe au dit restaurant Vatel : les invités d’une noce avaient été soudainement pris de nausées violentes accompagnées de diarrhée carabinée. On ne savait trop que faire pour contrôler la situation.

En arrivant sur les lieux mon père découvrit la plupart des convives dans le pré derrière le restaurant en train de vomir et de se soulager! Inutile de dire que les toilettes à l’intérieur étaient débordées. Mon père eut la satisfaction de constater que le député du coin, un conservateur dont il ne partageait pas les allégeances politiques, était affligé des mêmes maux que les autres invités de la noce! Devant la salmonellose, tous sont égaux, n’est-ce pas?

Reddition de compte. En même temps il fallait sans cesse rendre des comptes à la maison-mère à Québec. Que de justifications, d’analyses, de palabres, de délibérations! Un tel propriétaire de salle qui s’est vu évincé d’une campagne de vaccination se plaint. On lui répond qu’on a choisi le lieu le plus central, et pas trop près d’un débit de boisson! Demande est faite de produire un rapport au sujet d’une infection dans un hôpital, liée à l’absence d’un dispositif adéquat d’évacuation des eaux usées dans les toilettes. Il y a de tout! Au-delà de cette accumulation d’observations et de données, la vision d’ensemble d’une agglomération au plan socio-sanitaire, émerge. Et c’est là le caractère exemplaire de la démarche.

2001aRigueur administrative poussée à l’excès. Puis on doit tenir les registres de déplacements, du remboursement de la location des automobiles car les médecins, les infirmières, les inspecteurs, se déplacent beaucoup. Mon père tient les cordons de la bourse avec un zèle qui frise l’exagération! Ainsi, pour les dépenses du mois de mai 1938, pour l’unité sanitaire d’Amqui, il transmet son relevé au sous-ministre Jean Grégoire, en lui indiquant, et je cite :

« Conformément à la circulaire no 131 relative aux disponibilités du budget pour les mois de mai & juin, j’ai effectué une réduction de 65% pour chaque membre du personnel et pour l’administration, me basant sur la moyenne de dépense mensuelle au cours des douze derniers mois. Il va sans dire que cette moyenne a été dépassée, mais elle l’a été librement et n’affecte pas, sur la formule U.C.8, le montant payé à chaque membre du personnel » (Archives personnelles).

La réponse de son patron, datée du 4 juin, est claire. On salut sa rigueur administrative mais en même temps on le ramène dans le droit chemin, celui de la juste mesure :

« (…) J’apprécie hautement la généreuse coopération que vous nous manifestez à cette occasion. Seulement, j’estime qu’il ne serait pas équitable de vous laisser encourir un déficit personnel dans le remboursement des dépenses que vous avez cru devoir faire pour la bonne exécution de vos devoirs officiels, alors que par ailleurs certains autres de nos officiers se sont trouvés dans une situation similaire et que nous les remboursons intégralement. (…) Vous voudrez bien, conséquemment, me transmettre une formule U.C.8 corrigée conformément aux déboursés réels encourus. » (Ibid.)

S’agissant de mon père… la chose ne m’étonne pas. Je reconnais là mon père qui avait en horreur les fraudeurs et ceux qui s’accaparaient les biens d’autrui. Il me revient un souvenir. Je devais avoir douze ans environ. Presque chaque jour le papa d’une grande amie, un monsieur très gentil qui s’appelait Angelo Tremblay et qui cueillait sa fille au sortir de l’école, m’offrait de monter en auto avec eux. Il me déposait place Jacques-Cartier. De là je me rendais au terminus de banlieue et prenais l’autobus pour Charlesbourg. Quand on atteignait douze ans, le prix du billet était majoré. Cela allait coûter un peu plus cher. Comme c’est mon père qui me versait mon argent de poche chaque semaine, je lui expliquai qu’il me faudrait un peu plus d’argent dorénavant pour couvrir la hausse du prix du billet. Mais j’ajoutai :

«  Papa, je pourrais mentir encore un bout de temps sur mon âge. J’ai l’air plus jeune que douze ans! »

Il n’éleva pas le ton. Mais posément m’expliqua qu’on ne mentait pas sur ce genre de choses. Et qu’à compter du jour de mes douze ans, j’acquitterais le nouveau tarif.

Édith accompagne son papa au bureau. Je n’ai pas connu les bureaux des unités sanitaires d’Amqui et de Shawinigan. Mais ceux de Loretteville, si! Car il m’arrivait d’accompagner mon père quand il fallut notamment aider un peu la nature avec quelques-unes de mes dents de lait, récalcitrantes, et me faire examiner par le dentiste de l’unité. J’aimais beaucoup ces visites à son bureau. On me donnait du papier et des crayons et je dessinais. J’avais réalisé le portrait, ma foi assez réussi, du dentiste. Celui-ci avait éclaté de rire en prenant connaissance du dessin que j’avais fait de lui. Mais j’étais impressionnée par les stérilisateurs, en quantité industrielle; des caissons de métal dans lesquels on faisait chauffer les seringues à haute température afin de les stériliser. L’odeur de l’alcool et de l’éther me faisait peur.

21 – Urbain Bédard et la photographie

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