Les cow-boys et les coureurs de bois de mon enfance. Il ne s’est pas trouvé un jeune Québécois, né entre 1945 et 1980, qui n’ait carburé aux histoires de cow-boys et de coureurs de bois. Personnellement, c’est par le biais de la télévision que j’eus mon premier contact avec l’univers des aventuriers, des coureurs de bois, ou leur semblant. Enfant, rentrée de l’école et seule à la maison, je m’installais invariablement devant l’écran de télévision, les yeux rivés devant l’unique chaîne de télévision. Les émissions pour les jeunes me tenaient compagnie en attendant l’arrivée de mon père. Je faisais mes devoirs devant la télé, installée dans son fauteuil berçant et rembourré dans lequel, bien calée, je révisais mes leçons! Outre les émissions produites à Montréal et en français, comme Bobino et la Boîte à surprises, on diffusait également des séries américaines. Des histoires qui se déroulaient dans le far-west américain. Et que je n’aurais ratées pour rien au monde. Même si je ne comprenais pas ce qu’on y disait… car le tout était en anglais.
Les bons contre les méchants… loin d’ici… très loin! Je crois qu’à cet âge-là on ne fait pas la différence entre la réalité et la fiction. J’aimais quand il y avait de l’action, de folles poursuites, des combats, parce que cela finissait toujours bien. C’est-à-dire que mes héros l’emportaient toujours sur les « méchants » Indiens, les Apaches. Parfois avec l’aide de « bons » Indiens! Les décors, les événements, les personnages étaient à des années lumière de la réalité sur l’histoire de la Nouvelle-France, qu’on nous enseignait à l’école à coups de Mgr de Laval, de Frontenac et de Champlain.
Ce qui se déroulait dans ces séries appartenait à un autre univers. Cela ne risquait pas de nous arriver ici. Chez-nous, tout était calme, ordonnancé et tempéré. Une histoire parfaite, à quelques exceptions près! On nous parlait peu alors de Radisson et de Des Groseillers, non plus que de Dollard des Ormeaux, de De La Vérendrye et de d’Iberville. Les séries télévisées les concernant seront produites ultérieurement. Alors, ces histoires enlevées n’arrivaient qu’ailleurs, et aux autres!
Les héros de mon enfance : Davy Crockett et Hopalong Cassidy. Mes héros étaient Davy Crockett et Hopalong Cassidy! Davy Crockett présentait une ressemblance certaine avec le Survenant, le héros du téléroman de Germaine Guèvremont que je regardais à la télévision avec mes parents, le mardi soir. Mais alors que le Survenant déclamait des phrases mystérieuses plus qu’il ne bougeait, prenant toujours la pose dans son costume de peau avec franges, qu’il était poétique et vaguement prostré, que les scènes du téléroman étaient toujours tournées en studio, en général dans la même pièce et sous un éclairage glauque, Davy Crockett, lui, vivait dans la nature et passait à l’acte! Il courait les bois, sillonnait des rivières dans des canots d’écorce, son chapeau avec une queue de raton laveur immanquablement planté sur la tête! Il semblait éternellement de bonne humeur.
La seule chose que je n’aimais pas vraiment de cette émission était le thème musical qu’on entendait au début, avec le générique où Davy Crockett dévalant une montagne en courant littéralement au-devant de la caméra. Sur un tempo imitant le bruit du sabot d’un cheval, un duo de voix masculines entonnait un air en majeur, que je trouvais ronchonnant. Il me semblait que cet air pépère n’allait pas avec le personnage! Comme si rien de tout cela n’était sérieux. Or, je l’ai appris plus tard, ce héros avait bel et bien existé et pas vraiment comme coureur de bois.
Hopalong Cassidy m’emballait encore plus. J’adorais le voir s’élancer à la poursuite de ses ennemis, monté sur son cheval, sur l’air de l’ouverture de l’opéra Guillaume Tell de Strauss! C’était emballant! Il se battait, poursuivait et traquait des malfaiteurs. Bref il rétablissait la justice. Contrairement à Davy Crockett, Hopalong Cassidy était un personnage de fiction, créé en 1904 par un Américain du nom de Clarence Mulford, qui gagna des fortunes avec son personnage surtout avec les versions filmées pour la télévision. Cela, je l’ignorais quand j’étais enfant!
Une vérité historique occultée. Ces deux héros américains des grands espaces ont meublé mon enfance. Ce que j’ignorais alors, c’est que les plus intrépides des coureurs de bois auront été des Canadiens-français! Ils quittèrent notre sol parce que l’appel des grands espaces et de l’aventure les avait amenés à gagner l’Ouest américain. Cette réalité historique a été savamment occultée par les historiens américains. Et, plus récemment, par le cinéma américain. En effet le héros qu’incarne Leonardo Di Caprio dans le film d’Alejandro Gonzalez Inarritu, Le Revenant, était un francophone! Eh oui!
Les Canadiens-français sont partout… Des coureurs de bois en provenance de la colonie de la Nouvelle-France, il y en eut un nombre significatif! En fait, on retrouve leur trace partout aux États-Unis, avant et après la conquête de 1760. Imperméables au brassage géopolitique que connurent les anciennes colonies britanniques suite à l’accession à l’indépendance américaine, assez indifférents aux changements de frontières, aux passations de pouvoir entre les Espagnols, les Français, les Britanniques et les nouveaux Américains, dans la mesure où ils pouvaient poursuivre leurs affaires, reconnus pour leur débrouillardise et leur connaissance du territoire et des peuplades indiennes, ils semblent s’être faufilés partout. Avec une facilité et une mobilité déconcertantes.
Qu’est-ce qui les attirait hors de la colonie? La soif de l’aventure, le goût de quitter le cadre trop strict que les autorités et l’Église d’ici avaient érigé et de poursuivre ce que leurs ancêtres pas si lointains avaient entrepris : découvrir le nouveau continent. Et comment se déplaçait-on? Par voie fluviale. Le seul moyen de transport sur de longues distances, à l’époque.
… et en grand nombre! Un site généalogique sur internet, Historica Dominion, évalue à 500 le nombre de ces aventuriers d’ici qui déjà avaient gagné l’Ouest en 1680, malgré tous les efforts déployés par les autorités pour les en empêcher! Après la Conquête et avec la Proclamation Royale de 1763, moyen par lequel les autorités britanniques entendaient procéder à une réallocation générale des territoires sous contrôle britannique, la tendance ne fit que se confirmer. L’immense territoire de la Louisiane française devint un territoire réservé pour les Indiens. Or depuis des lunes ce territoire était connu des trappeurs et commerçants canadiens qui y avaient même établi des postes de traite. Il suffit de se pencher sur une carte de l’Amérique de Nord, en essayant d’estimer les distances, les barrières géographiques et de relief, les détours qu’empruntent les cours d’eau, pour prendre la juste mesure de l’immensité de ce continent et pour comprendre combien il fallait d’énergie et de débrouillardise pour entreprendre de si longs périples.
Souvent les premiers Blancs à pénétrer dans ces espaces et ces lieux. Ces « Frenchmen », on les retrouve partout. En fait ils ont souvent été les premiers Blancs à explorer les territoires du nouveau monde, si on exclut les indigènes qui y vivaient déjà depuis de millénaires. Et à nommer les lieux, les cours d’eau, les accidents géographiques, les montagnes, etc., au fur et à mesure qu’ils les découvraient : Rivière du Bon-Homme, Rivière la Femme Osage, Crève-Cœur, Charrette, La Loutre, Bourbeuse, Grande Bonne Femme, La Charbonnière, La Bénite, Rivière Plate, des Grenouilles, du Loup, L’eau-qui-Pleure, Corne de Cerf, Pomme de Terre, Belle Fourche, Rouge, La Roche Jaune, de la Poudre, du Serpent, de la Grande Ronde, Barrage Bonneville, Rivière Drouillard, Rivière Cruzatte, Rivière Labiche, Rivière Lepage, Ruisseau Touchet, Des Deux Charretiers, du Chien, etc.
Ils ont désigné par leur nom de famille des rivières et des cours d’eau qu’ils ont sillonnés, de même que des villages et des villes, qu’ils ont contribué à créer. Qu’on en juge : Village Charbonneau, Ruisseau Charbonneau, Village de Cho(u)teau, Rivière Drouillard, Rivière Cruzatte, Rivière Labiche, Rivière Lepage, Ruisseau Touchet, Rivière Dubois. Ils se comptent par centaines.
La toponymie reflète leur emprise sur l’espace. La toponymie reflète l’emprise de ces « Frenchmen » sur l’espace. L’anglicisation ultérieure par les Américains, qui était une forme active d’assimilation, n’a pu tout occulter. Une carte ancienne de la Louisiane et des régions voisines, qui est conservée aux Archives nationales d’outre-mer, en France, et dont une partie seulement est reproduite ici, illustre notre propos.
Le congé de traite. Comment procédait un petit Canadien de Québec pour quitter la colonie ? Il devait théoriquement demander par écrit au gouverneur de la colonie un congé de traite. S’il l’obtenait, il avait statut de « voyageur ». Ce qui n’était pas nécessairement facile à obtenir. Car l’Église et les autorités étaient très réticentes à voir les hommes partir ainsi. L’Église, parce qu’elle trouvait le mode de vie des coureurs de bois incompatible avec les bonnes mœurs. Les autorités parce qu’elles préféraient voir les Indiens transbahuter eux-mêmes leurs fourrures jusqu’à Lachine, après avoir sillonné à travers leurs propres pistes, car ainsi on déboursait moins pour les très recherchées peaux de castor. Mais ces mêmes autorités durent progressivement se résoudre à organiser des expéditions de plus en plus profondément vers l’Ouest.
La lecture des originaux de quelques contrats d’engagement signés devant le notaire Voyer de Québec, dans les années 1809, nous renseigne sur les modalités d’embauche des « voyageurs » et sur ce qui était attendu d’eux.
Considérés comme des parias. La perspective de partir ainsi à l’aventure et d’être fort bien rémunéré attirait sûrement son lot de jeunes hommes forts et musclés. Mais c’était à bien des égards un travail d’esclave dans des territoires difficiles et hostiles. Les Canadiens étaient peu considérés par les Britanniques et même par les Américains. On appréciait leur énergie, leur bonhomie, mais on les considérait comme des inférieurs. Les Indiens eux-mêmes éprouvaient du mépris à l’égard des Canadiens. Ils se moquaient de leur barbe abondante et foncée, semblable à des « cheveux sur la bouche », et de leurs cheveux hirsutes et mal taillés qui tranchaient avec l’allure plus soignée des Anglais et des Américains.
Des coureurs de bois chez les Dorion. Par un heureux hasard, dans le cadre de mon périple généalogique, j’ai découvert que la famille Dorion avait compté au moins cinq coureurs des bois. L’un d’eux sera associé à une fameuse expédition d’exploration, dirigée par Lewis et Clark. Ceux-ci avaient reçu du président Jefferson le mandat d’atteindre par voie terrestre l’océan Pacifique, en partant de l’embouchure du fleuve Missouri. En contrepartie, les deux explorateurs devaient procéder à la recension la plus complète possible de la topographie, de la flore et de la faune. Et nouer des liens amicaux avec les populations indigènes, dont on savait encore fort peu.
Son nom? Pierre Dorion. Comme mon arrière-arrière-arrière-grand-père dont il était d’ailleurs l’oncle paternel. Qui était ce Pierre Dorion au juste?