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170 – La mort de Louisette

17001Le dernier tournant. Minée par un cancer incurable depuis 1940, Louisette, la première femme de mon père, passera les huit derniers mois de sa vie hospitalisée et alitée à l’hôpital-du-Saint-Sacrement de Québec. Elle décédera finalement le 19 septembre 1943 en présence d’Urbain, son mari, au terme d’une douloureuse maladie. Une consolation, néanmoins, pour la maman si aimante. Pendant les quatre mois précédant son décès, ses quatre petits oiseaux étaient enfin réunis, à Charlesbourg, chez Lizzie, et venaient fréquemment lui rendre visite à l’hôpital.

Été 1943 : les quatre enfants chez Lizzie. L’existence des quatre enfants du couple avait été passablement perturbée par la maladie de leur mère. Urbain avait essayé de maintenir un semblant de vie de famille à Shawinigan entre 1940 et 1942, malgré les nombreuses hospitalisations de sa femme. Il avait finalement dû se résigner en janvier 1943 à confier la garde de Charlotte et d’Andrée à son frère Lucien, notaire à Rivière-du-Loup, et à la femme de celui-ci, Françoise. Michelle et Jean-Hughes avaient quant à eux été confiés à Lizzie, leur grand-mère paternelle, à Charlesbourg. Mais les enfants souffraient d’être ainsi séparés les uns des autres. Et leur mère leur manquait terriblement.

Au début de l’été 1943, Charlotte, Michelle, Andrée et Jean-Hughes sont enfin réunis chez leur grand-mère Lizzie, à Charlesbourg, qui veille sur eux avec tendresse et compassion. Tante Thérèse et tante Élizabeth partagent avec Lizzie les nombreuses tâches qu’impliquent les soins à prodiguer à quatre enfants, dont l’âge s’échelonne alors de cinq à huit ans.

On rend visite à la maman hospitalisée. Chaque dimanche de cet été 1943 « réunissait les enfants et papa avec maman que le ciel devait nous ravir à la tombée des feuilles », note Urbain dans le Livre de bébé de Charlotte. Urbain prend des photos. Sur l’une d’entre elles on aperçoit Andrée et Jean-Hughes au chevet de leur mère. Celle-ci est alitée, le visage émacié, manifestement en fin de vie. On est à des années lumières de la maman éclatante de bonheur qui, il y a quelques années à peine, posait fièrement avec ses enfants (voir chapitre 165 Quand il ne reste plus que quelques photographies). Le garçonnet regarde sa maman avec amour. Andrée, elle, fixe l’objectif de son regard pénétrant. Comprennent-ils la gravité de la situation? Sûrement.

17002Septembre 1943 : les trois fillettes pensionnaires au couvent du Bon-Pasteur de Charlesbourg. Le premier septembre 1943, les trois fillettes entrent comme internes au Couvent des religieuses du Bon-Pasteur de Charlesbourg, là même où cinquante ans auparavant leur grand-mère, Lizzie, avait vraisemblablement exercé la fonction d’enseignante, si on en juge par la photo où elle posait en 1899 au milieu d’un groupe d’élèves (voir chapitre 77 Joseph-Arthur Bédard, itinéraire d’un enfant gâté). Le Couvent n’est qu’à un demi-kilomètre du domicile de leur grand-mère. Et tante Élizabeth travaille à quelques centaines de mètres du Couvent, à la poste, qui a toujours pignon sur rue dans le magasin général de Ferdinand Verret. Mais le cœur n’y est pas. Urbain note dans le Livre de bébé d’Andrée que les filles se résignent à leur inscription au couvent, mais « sans trop de spontanéité ». Une photo des fillettes prise par Urbain chez Lizzie, dans l’allée centrale qui mène de la première avenue à la maison, parle d’elle-même…

Le décès et les funérailles de Louisette. Louisette décède dix-neuf jours après l’entrée des trois filles au pensionnat. Ses funérailles se déroulent à Charlesbourg le jeudi 23 septembre 1943, en présence des membres des familles Bédard et Desjardins, de notables et d’amis de Charlesbourg, ainsi que de collègues d’Urbain et de Louisette. Une assistance importante. Outre l’incontournable notice nécrologique d’usage parue dans les journaux, une description des « imposantes obsèques de Mme J.U. Bédard » paraît dans l’Action catholique et dans l’Événement de Québec.

17003C’est Urbain qui a minutieusement découpé et collé dans les dernières pages de chacun des Livres de bébé des enfants ces documents. Il avait donc dû se procurer quatre exemplaires de ces journaux afin de réussir ces collages.

On a utilisé pour réaliser la carte mortuaire de Louisette la photo d’elle prise chez Montminy, le photographe professionnel, vers 1936 et sur laquelle elle semblait si heureuse (voir chapitre 165 Quand il ne reste plus que quelques photographies). On y indique qu’elle avait trente-neuf ans. Or cela est inexact. Elle avait en réalité quarante-trois ans, donc quatre ans de plus qu’Urbain. Mais à l’époque on taisait en général le fait qu’une femme ait été plus âgée que son mari. Ferdinand Verret, dans son Journal, note qu’Urbain a acheté un lot dans le nouveau cimetière « où sa femme dormira » (Journal de Ferdinand Verret, entrée du 20 septembre 1943).

Ultime message subliminal. Mais surtout Urbain a consigné dans le Livre de bébé de Charlotte le récit des derniers mois et des derniers moments de Louisette. Le texte ne comporte aucune rature. Comme s’il avait d’abord rédigé un brouillon qu’il aurait ensuite minutieusement retranscrit. Tout y est indiqué : la maladie dont elle souffrait, l’heure du décès, le numéro de la chambre d’hôpital, les derniers moments. Il nous indique que Louisette ne pesait plus que soixante livres à son décès, comparativement aux 150 qu’elle affichait précédemment.

Son texte est manifestement destiné aux enfants. Il leur rappelle combien leur mère a souffert, comme elle était croyante et combien elle les aimait. Il les enjoint à penser « à elle jusqu’à votre dernier jour et surtout en priant pour elle».

Des enfants marqués à jamais. Léguer un tel devoir de mémoire à des enfants, n’est-ce pas leur faire porter un poids disproportionné? Urbain ne se laisse-t-il pas emporter par ses propres émotions? En général dans un Livre de bébé il est davantage question de l’apparition des premières dents et des premières facéties. Dans ce cas-ci, le point culminant de cet itinéraire de l’enfance s’attache à la description de la lente disparition d’une maman adorée. Le message subliminal de fonds en est le suivant : n’oubliez jamais.

Mission réussie : ils ne l’ont jamais oubliée. Et ils ne s’en sont jamais remis.

171 - Un veuf et des enfants inconsolables

 

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