Des impressions plutôt que des souvenirs. J’ai conservé peu de souvenirs organisés des hivers de ma petite enfance à Black Lake. Et je ne dispose que de rares photos de ma présence, pendant cette saison si froide, au sein du clan Côté.
Ce qui demeure gravé, par ailleurs, ce sont des impressions, des émotions. Rien d’organisé, de structuré, de songé. Mais l’empreinte de ce que représentait la saison hivernale est bien inscrite dans ma mémoire affective. L’absence de bruits extérieurs car la neige agissait comme une sourdine, une impression de silence sidéral. Le froid, le contraste entre le dehors et l’intérieur des maisons. Les journées écourtées. Rien de triste ni d’affligeant, par ailleurs. Un apaisement.
Les bébés font la sieste dehors, été comme hiver! À l’époque, on recommandait de sortir les bébés à l’extérieur pendant leur sieste, douze mois par année. Et, la nuit, de garder les fenêtres ouvertes dans leur chambre. L’été, on suggérait même de les exposer au soleil, afin que leur peau absorbe la vitamine D! Était-ce la peur de la tuberculose, qui poussait ainsi les mamans, encouragées par les médecins, dont mon père, à adopter ces pratiques? Je suis portée à croire que tel était le cas. La psychose des sanatoriums était présente. Dans le texte d’une conférence prononcée par mon père alors qu’il était directeur de l’Unité sanitaire de Saint-Maurice, dans les années 1943, et destinée aux parents, je relève la recommandation suivante, sous sa plume :
« Des résultats probants vous ont démontré l’importance de la régularité des repas, l’avantage bienfaisant du sommeil en plein air et des rayons solaires. (…) N’est-il pas vrai que dans nombre de foyers le jeune enfant se couche à une heure tardive et s’endort dans une chambre aux fenêtres closes? » Source : Archives personnelles
L’hiver, donc, sieste à l’extérieur mais à l’abri du froid! Le grand air est bénéfique pour l’enfant, ça tue ainsi les microbes, renchérissait la sagesse populaire!
On emmitouflait le jeune enfant dans plusieurs couches de vêtements, on lui protégeait la tête d’un bonnet afin de prévenir les otites. Ses mains étaient impérativement glissées dans des moufles. Comme les matériaux synthétiques que l’on connaît aujourd’hui n’existaient pas, ces pièces de vêtement étaient nécessairement de laine. La plupart du temps tricotées maison. Et qu’il fallait laver régulièrement, puis suspendre sur la corde à linge, car les sécheuses électrique n’existaient pas! Ah! l’odeur de la laine mouillée!
Il faisait vraiment froid! Puis, hop, dans le carrosse! Lequel était recouvert d’une peau de mouton. Du moins dans ma famille. Même si on me protégeait avec d’épaisses couches de couvertures, la structure de métal du carrosse finissait toujours par devenir extrêmement froide, d’autant que le matelas du dessous n’était pas assez molletonné. De cela, j’ai conservé un souvenir vif et grelottant!
Sur une des rares photos de bébé Édith dont je dispose, j’apparais en compagnie de ma mère, pour ce qui semble selon toute une évidence une promenade en carrosse. Je suis de bonne composition, joufflue à souhait. Mes yeux, que j’ai très sombres, à l’instar de ma mère, ressemblent à « deux boutons de bottine », comme on disait à l’époque. Maman, elle, porte un manteau de fourrure et un chapeau que je qualifierai à tout le moins de bizarre! Il est orné d’un semblant de panache qui se dresse au-dessus de sa tête! Je suppose qu’il s’agissait du dernier chic!
Ma cousine Anne, fille de Michèle et Tonio en aura passé, elle aussi, des après-midi sur la véranda des Côté, à faire la sieste! Et Michel, Andrée, Dominique, Renée, Lucie, Claude, Charlotte, Roch, y goûteront tous, chacun à son tour! La déclinaison des « sommes » des uns et des autres, petits-enfants, serait longue et répétitive! Mais le sentiment de sécurité jouait certainement dans l’effet réparateur que procurait le dodo de l’après-midi. Accompagné des cajoleries et autres marques d’affection qui ne manquaient jamais.
« Mon » carrosse a suivi quand nous avons déménagé à Québec. Il rouillait tranquillement dans un coin de la cave et ma mère s’en servait pour cacher des pots de confitures… le tout recouvert de la fameuse peau de mouton!
Tout le monde sur ses skis… ou presque! Au sein du clan Côté, les jeunes (entendons par là les gens de la génération de mes parents et les plus jeunes) s’adonnaient à la pratique du ski. Un moyen terme entre le ski alpin et le ski de fonds, rien de sophistiqué. On partait à pied, il n’y avait qu’à marcher quelques centaines de mètres, et on se retrouvait en pleine forêt. Pour les plus téméraires, dont oncle Roger, époux de tante Cécile, il s’agissait de gravir les montagnes d’amiante, sans remonte-pente il va sans dire, puis de profiter de l’inclinaison de plus en plus prononcée, au fur et à mesure des déversements de poussière d’amiante, des monticules gelés.
Même Napoléon Paul Morin, demi-frère de Julia, ma grand-mère, dont les talents de skieur n’étaient vraisemblablement pas des plus affirmés, se mettra à la pratique de ce sport, ne serait-ce que pour la forme si on en juge par l’accoutrement qu’il affiche! Il pose, accompagné de sa femme, Patricia Loubier. Les vêtements ne semblent pas chauds, et certainement pas thermiques! Mais on semble relax et heureux!
Couleurs multicolores en plein milieu du jardin. Le souvenir le plus vif que je conserve des hivers à Black Lake, et dont je ne dispose pourtant d’aucune photographie, est celle du sapin de Noël qu’Alfred installait immanquablement dans le jardin sur le côté de la maison, pendant la période des Fêtes. Les lumières en étaient rondes, multicolores, et assez volumineuses. Un phare dans la nuit, que nous pouvions admirer, assis sur les genoux de notre grand-papa, en écoutant à la radio des chants de Noël en provenance de la station de Sherbrooke.
La magie de Noël chez Alfred et Julia. Après notre déménagement à Québec, nous séjournions en général quelques jours chez mes grands-parents pendant le temps des Fêtes. Mon père nous accompagnera parfois, ma mère et moi, mais pas toujours.
Existe-t-il un enfant qui ne rêve pas de la distribution des cadeaux, dans l’atmosphère festive qui en général teinte l’événement? De l’attente enfin récompensée, quand enfin il peut palper, toucher et apprécier le présent qui lui est destiné? Un plaisir décuplé quand on est entouré de ses cousines et cousins, tout aussi comblés! Noël chez mes grands-parents maternels était une fête pour nous, les petits-enfants.
Pour avoir le droit d’ouvrir nos cadeaux, il nous fallait avoir préalablement survécu au supplice du repas de famille! On nous obligeait à un comportement civilisé, sous peine de sanctions. Les adultes prenaient le repas dans la salle à manger. Une table avait été dressée dans la cuisine, pour nous, les enfants. Tante Micheline était en charge de la discipline. Il fallait filer doux! Nous nous dandinions sur nos chaises, avalant du bout des lèvres un peu de nourriture. Dès que les regards se détournaient de nous, nous filions regarder ce qui était sous l’arbre! Mais tout n’y était pas… La paire de skis que l’on avait achetée pour mon cousin Alain avait été dissimulée derrière le piano du salon!
Beaucoup d’animation, de surexcitation, de rires, d’exclamations de joie! Puis, une fois la parenté repartie, on s’écroulait de sommeil. J’ai souvenir d’une nuit où, couchée avec ma mère dans le lit de Julia, j’avais vomi à répétition pendant la nuit. Trop d’émotions! Mais que de beaux souvenirs!
La santé d’Alfred décline. Alfred, de santé de plus en plus fragile se retirait souvent dans sa chambre. Lui, qui nous avait tant baladés en auto, supportait de plus en plus mal le tintamarre que produisait la marmaille Côté. Il décédera juste avant le Noël de mes 12 ans.