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169 – Dans la tête et le coeur des quatre enfants…

16900aLes lettres qu’Urbain, Louisette et même que Lizzie avaient adressées à Charlotte, Michelle, Andrée et à Jean-Hughes entre 1940 et 1943 (voir chapitre 167 Urbain sur tous les fronts et chapitre 168 Le désespoir de Louisette) nous ont permis de prendre la mesure de l’évolution de la maladie de Louisette et tout autant de l’évolution de l’attitude des membres de la famille. Au début, il s’agissait de se battre contre la maladie et de ne pas perdre courage. Puis d’accepter l’inéluctable et de se rendre à l’évidence : Louisette allait mourir.

Mais qu’en était-il des perceptions des enfants eux-mêmes face à l’évolution du mal qui allait ultimement emporter leur maman? Jean-Hughes n’avait pas encore appris l’écriture. Il en allait autrement de ses sœurs, surtout les deux aînées, Charlotte et Michelle. Les lettres qu’elles écriront à Louisette ou qu’elles échangeront les unes avec les autres refléteront combien elles étaient conscientes de la gravité de la situation. Elles exprimeront le souhait que leur maman guérisse. L’idée de devoir grandir sans elle les effrayait sans doute beaucoup. Le message subliminal qui en découle est plus ou moins le suivant : « Maman, ne nous quitte pas ». En même temps, leur retenue et leur courage sont remarquables. Jamais elles ne se laisseront aller à se plaindre de leur sort.

Chronique de la vie quotidienne sans maman. Qu’est-ce qu’une enfant raconte à sa maman, hospitalisée à Québec? Elle décrit les événements, petits et grands, de l’existence de la petite famille à Shawinigan, où les enfants habitent avec Urbain. La réussite scolaire étant particulièrement prisée dans la famille, Charlotte n’omet pas de mentionner qu’elle réussit bien à l’école même si elle s’excuse des fautes d’orthographe que comportent souvent ses lettres à sa maman chérie. Elle mentionne également que « tout va bien à la maison » et termine sa lettre en indiquant combien elle a hâte que sa maman revienne à la maison.

Charlotte « stooleuse » désignée. Louisette avait sans doute investi l’aînée, Charlotte, d’une mission toute particulière pendant ses séjours à l’hôpital : rendre compte à sa mère de la façon dont les choses se passaient à la maison en son absence. Charlotte s’acquittera consciencieusement de sa mission. Elle adresse ainsi à sa mère une lettre pour le moins décapante au sujet d’une dénommée « Hélène », chargée de s’occuper des enfants et de la bonne marche de la maison en l’absence d’Urbain, leur papa, et qui reçoit son amoureux. Quand cela est le cas, elle intime alors à Charlotte l’ordre de rester dans sa chambre. Nul doute que Louisette en fut troublée. Je me souviens d’avoir entendu cette anecdote racontée par Andrée quand j’étais moi-même enfant.

Charlotte et Andrée chez oncle Lucien; Michelle et Jean-Hughes chez Lizzie. Après quelques essais infructueux en vue de trouver une remplaçante de confiance pour prendre soin des enfants, lors des nombreux séjours de Louisette à l’hôpital et des absences d’Urbain, il fut décidé de confier les enfants à des membres de la famille. Charlotte et Andrée prirent le chemin de Rivière-du-Loup, où oncle Lucien et sa femme Françoise les accueillirent, alors que Michelle et Jean-Hughes étaient pris en charge par Lizzie, leur grand-mère paternelle, à Charlesbourg. En plus d’être séparés de leur mère, les enfants se trouvaient donc séparés comme quatuor. Une souffrance de plus dans leur vie déjà passablement chaotique.

Michelle écrit à ses sœurs. Durant l’hiver et le printemps 1943, Michelle écrit fréquemment à ses deux sœurs, Charlotte et Andrée, qui voient peu leur maman puisqu’elles habitent chez oncle Lucien et tante Françoise, à la Rivière-du-Loup, c’est-à-dire fort loin de Québec. La maison ancestrale de Charlesbourg, où Michelle et Jean-Hughes vivent désormais, ne comporte ni chauffage central, ni eau chaude, ni salle de bain digne de ce nom! Il y fait très, très froid. On ne se lave pas beaucoup et pas question de se shampouiner les cheveux! Les poux sont monnaie courante. Je tiens ces détails de mes demi-sœurs qui, devenues adultes, se remémoraient avec un dégoût certain les conditions d’hygiène minimales qui prévalaient alors chez les Bédard.

Jamais Michelle n’aborde ce sujet dans ses lettres. Elle ne se plaint pas, jetant plutôt un regard somme toute positif sur leur quotidien. Elle s’attarde ainsi sur le fait que tante Thérèse est partie aux Vêpres, que tante Lisette (Élizabeth) l’aide à écrire. Lizzie quant à elle prépare les lits des enfants pour la nuit. Qu’entendait-on par cela? Il faisait tellement froid dans la maison qu’avant de se mettre au lit on passait entre les draps des bouillotes de caoutchouc remplies d’eau chaude qu’on avait préalablement fait chauffer sur le poêle à bois. Même les chats de la maison trouvaient refuge sous les draps, en compagnie des enfants!

Michelle se concentre plutôt sur le récit des fréquentes visites qu’elle rend à Louisette, en compagnie de Jean-Hughes. Ce sont soit Lizzie, soit Thérèse, soit Urbain qui les y mènent. Michelle ne manque pas de souligner combien leur maman est heureuse de voir ses chers petits.

16906aJean veut écrire à sa maman. Témoignage touchant s’il en est un : dans une autre lettre à ses deux sœurs, datée du 28 avril 1943, Michelle dit d’une part combien elle était heureuse de voir ses deux sœurs, dont on suppose qu’elles ont été conduites à Québec par oncle Lucien pour une courte visite. Elle explique également que Jean-Hughes veut apprendre l’écriture afin, lui aussi, d’écrire à sa maman. Il n’a pourtant que cinq ans et demi.

On souhaite tellement le rétablissement de Louisette. On semble vouloir exorciser le destin même si l’issue finale semble se confirmer de plus en plus. Charlotte et Andrée adressent à leur chère maman une carte de vœux à l’occasion de la Fête des mères. Elles lui souhaitent « une marche rapide vers la guérison ». Quelques jours plus tard Charlotte écrit à sa maman : « Le Bon Dieu te guérira, c’est certain, car nous espérons tellement en sa bonté divine ». À l’été 1943, les quatre enfants sont enfin réunis pour de bon, chez Lizzie. Une photo d’eux, prise à l’hôpital par Urbain en juillet 1943, nous révèle quatre enfants sérieux. Le regard intense des deux plus jeunes nous frappe. Sans doute ont-ils compris…

Les prières n’y changeront rien. Louisette a entamé le dernier virage…

170 - La mort de Louisette

 

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