De 1940 à 1943 Urbain, les enfants et la famille Bédard se mobilisent autour de Louisette, gravement malade. On souhaite tellement qu’elle guérisse. On implore Dieu de ne pas leur ravir cette mère et cette épouse que tous considèrent comme un modèle et chérissent tendrement. Mais qu’en est-il des sentiments de la principale intéressée? On la verra, au cours des quatre années de la progression de son cancer, cheminer et passer de l’espoir au désespoir. Le goût de se battre tant elle est convaincue que Dieu exaucera ses prières fera ultimement place à l’acceptation de sa mort imminente, après avoir ressenti des sentiments bien légitimes de colère et de révolte. Ce qui ultimement l’animera? Laisser à ses enfants un legs : celui de l’amour d’une mère.
Louisette aimait écrire. Louisette avait toujours aimé écrire. Elle tenait un journal intime dans lequel elle notait non pas les événements anodins du quotidien mais réfléchissait plutôt sur ce que lui suggéraient les lectures auxquelles Urbain et elle se livraient. Elle écrivait également de courts textes qu’elle soumettait aux journaux et périodiques de l’époque. Ses talents avaient été reconnus lorsqu’en décembre 1942 elle s’était vue attribuer le Prix Raymond-Casgrain, décerné par l’université Laval, pour une nouvelle qu’elle avait publiée. Le prix était accompagné d’une bourse de 100 $. Pour une jeune femme issue d’un milieu modeste et dont le père était sans doute analphabète, il s’agissait sûrement d’un honneur qui reflétait le chemin que la jeune écolière de Saint-Pascal-de-Kamouraska avait parcouru.
Louisette consigne ses états d’âme. Au fur et à mesure de l’évolution de sa maladie, alors que progressivement la colère et le désespoir l’envahissent, Louisette consignera par écrit ses sentiments et ses états d’âme dans un dernier carnet, qui semble couvrir uniquement la période de sa dernière hospitalisation, de janvier à octobre 1943. Elle n’entretient plus aucune illusion quant à l’issue finale qui l’attend. Et se confie à une amie, une certaine Lucie, dont on ignore si elle a bien existé ou si elle était le fruit de son imagination : « Chère Lucie, seule amitié compréhensive qui aie fleuri mon existence je remets entre tes mains le testament de mon cœur. » / « Le soleil, comme un vrai feu de joie, illumine ma chambre. Juin follement paré de sa beauté jeune et lumineuse. Juin glorieux qui m’emportera dans les ténèbres. Je vais bientôt mourir, Lucie. Ce n’est pas une vraie surprise pour toi certes! Ce sera un chagrin, mon amitié le sait. » / « Je pensais au début de mon hospitalisation que j’apprendrais dans la réflexion l’art de vivre. C’est l’art de mourir que j’ai pratiqué quotidiennement. Je remercie ceux et celles qui m’ont doucement aidée à le comprendre. » / « Mon enfance ne fut pas heureuse. J’ai pâti de la faiblesse du cœur. Toute ma vie en fut influencée. Je ne ferai ici le procès de personne. Je m’arrête simplement à observer, à (illisible) le passé pour le relier au présent, à chercher des causes, des effets… ».
Ainsi la Louisette rieuse, et qui semblait tant s’amuser au bras de son frère et de sa mère ou en compagnie de mon père, recelait-elle en elle un bagage de tristesse durement assumé. S’était-elle ouverte à Urbain, son fiancé puis mari puis père de ses quatre enfants? Pas une fois il n’est question de lui dans ce carnet, non plus que des enfants d’ailleurs. Elle livre son moi intérieur le plus intime mais sans désirer le partager avec d’autres, sauf cette imaginaire Lucie.
François Mauriac, Charles Péguy et Pierre l’Ermite. Louisette cite François Mauriac et Charles Péguy comme si elle cherchait un ancrage dans sa quête de réassurance. Le tout est, avouons-le, assez recherché, voire trop recherché, et ne correspond pas aux canons d’ici, à l’époque! Elle a même découpé un article consacré aux réflexions de Pierre l’Ermite sur la vie et sur la mort. Pierre l’Ermite était un moine français du XIe siècle qui harangua ses compatriotes afin qu’ils se lancent dans les Croisades pour délivrer le tombeau du Christ. On a l’impression qu’elle cherche à apprivoiser ce qui l’attend : « … la plus grande réalité de la vie, c’est la mort. / (… )Terrible certitude de la mort!… / Terrible incertitude de son heure et de sa modalité! »
Un profond désespoir. Vient un moment où ses forces l’abandonnent. Elle est clouée au lit, souvent incapable même de parler tellement elle souffre ou est assommée par la médication. Elle n’écrit plus que sur des bouts de papier ou au dos d’une enveloppe. Il lui arrive de plus en plus de ne pas terminer ses réflexions. Son écriture est presqu’illisible. Urbain lui a écrit en novembre 1942 alors qu’elle est hospitalisée à l’Hôtel-Dieu de Québec. Au dos de l’enveloppe, Louisette a écrit ceci : « L’hôpital ce n’est plus une vie. C’est le vestibule de la mort. Plusieurs ne franchissent pas l’enceinte. Plusieurs sortent du vestibule par la porte d’où ils sont venus mais ils ont senti la grande faux tout près … » (incomplet). Et encore, sur ce feuillet ci-contre : « Après demain, ce soir peut-être, ma prison s’ouvrira. J’irai respirer l’air de la liberté… »
Les messages d’amour d’une maman à ses enfants. Louisette écrira de nombreuses lettres aux enfants au cours des quatre années de sa maladie. Ces lettres sont empreintes d’affection et de tendresse. Jamais elle ne s’ouvrira auprès d’eux sur l’ampleur de son désarroi. Il s’agit dans un premier temps de les rassurer et de les inviter à prier très fort le Seigneur pour qu’elle se rétablisse sans leur dissimuler le fait que parfois elle est très souffrante. Louisette s’attache surtout à leur rappeler les beaux moments où la complicité entre la mère et l’enfant était au rendez-vous comme si elle voulait que les petits fassent le plein de tendresse et d’amour.
Surtout, ne m’oubliez pas… Ultimement, quand elle sait la fin proche, Louisette réaffirme combien elle aime ses enfants, car elle est convaincue, comme elle l’écrit dans son Journal intime, que la tendresse et l’amour sont aussi importants pour leur développement qu’une saine alimentation. Dans une autre lettre, elle implore Charlotte, l’aînée, de parler d’elle aux plus petits plus tard et de ne jamais douter qu’elle sera toujours là pour ses chers petits oiseaux.
Force est de reconnaître que, devant la mort qui s’annonce et malgré le désespoir qui l’anime, Louisette sait demeurer une maman aimante et responsable. Cela, en soi, est admirable.