Louisette atteinte d’un cancer qui l’emportera. On a expliqué précédemment combien Urbain et Louisette formaient un couple uni et épanoui et à quel point la naissance de leurs quatre enfants les avait comblés (voir chapitre 164 Louisette et Urbain des parents comblés et chapitre 165 Urbain un photographe heureux). La famille venait de quitter Amqui pour déménager à Shawinigan, où mon père avait été nommé directeur de l’Unité sanitaire. Puis, au début de l’année 1940, c’est la catastrophe : Louisette reçoit un diagnostic de cancer probable. Il s’agissait vraisemblablement d’un cancer de l’utérus ou des ovaires qui se généralisera et obligera la jeune femme à effectuer de nombreux séjours à l’hôpital à Québec, loin de ses jeunes enfants.
Ce cancer provoquera des métastases osseuses extrêmement douloureuses au bassin et à la colonne vertébrale qui la tiendront alitée pendant les derniers mois de sa vie. Louisette décédera finalement le 19 septembre 1943 à l’Hôpital-du-Saint-Sacrement de Québec où elle était hospitalisée depuis le 16 janvier de la même année, donc depuis huit mois. Une infirmière privée était à son chevet de façon permanente.
Un drame éprouvant. La lente mais inéluctable détérioration de l’état de santé de Louisette, qui s’échelonnera de 1940 à l’automne 1943, constituera un drame pour Louisette elle-même, pour mon père et pour leurs jeunes enfants, et tout autant pour la famille Bédard qui s’était mobilisée pour épauler le jeune papa de toute évidence débordé et soutenir moralement la maman. La maladie de Louisette fut éprouvante pour tous. Et sa mort, quand elle survint après ces années difficiles, ne fut pas un soulagement. Elle fit davantage l’effet d’une onde de choc. La famille mit des années pour s’en remettre, et encore… Pour certains, dont mon père et les enfants, la blessure ne se refermera jamais.
Et lorsque mon père se remariera avec ma mère, quelques années plus tard, l’ombre de Louisette continuera de planer sur la famille. Pourquoi? Parce qu’elle était aimante, digne et qu’elle fit preuve d’un courage exemplaire. Ce qui lui conféra un statut d’icône dans la famille… Une succession particulièrement difficile à assumer pour ma mère.
Des écrits et des lettres en abondance. Urbain et Louisette écriront beaucoup pendant ces années. Leurs enfants également, de même que Lizzie, la mère d’Urbain. Du début de la maladie de Louisette jusqu’à son décès, et même après, ils échangeront par écrit au sujet de la gamme de sentiments qui les anime, les uns et les autres. Louisette consignera de plus par écrit ses états d’âme dans ce qui pourrait tenir lieu de journal intime.
Aux premières manifestations de la maladie de Louisette, on entretient l’espoir que la jeune femme guérisse. Il le faut, il ne peut en aller autrement! Avec en corollaire la conviction que cela sera le cas surtout si on multiplie les prières, les dévotions et les sacrifices. Les enfants sont particulièrement mis à contribution, avec une insistance qui frôle souvent l’exagération et l’embrigadement. Avec les mois qui passent alors que l’état de santé de Louisette se détériore et laisse présager le pire, la colère et le désespoir prennent le pas sur l’espoir. Louisette est particulièrement amère, et on la comprend. Une seule issue finalement : l’acceptation. Dans les derniers mois de sa vie, Louisette consacrera le peu d’énergie qui lui reste à graver dans la mémoire et le cœur de ses enfants un legs inaltérable : celui de l’amour d’une mère.
Urbain, quant à lui, ne cessera au cours de ces années de consigner consciencieusement dans les Livres de bébé des enfants ce qu’il advient de ses petits oiseaux, comme il se plaît à appeler les enfants. L’entrée à l’école, les premiers mots, les premières dents, les maladies enfantines. Il ira jusqu’à résumer, lors du décès de Louisette, les dernières étapes de sa maladie. On aurait envie de lui suggérer de mieux contrôler ses émotions et de cesser de faire ainsi peser sur ses enfants le poids d’une telle souffrance. Mais, surtout, Urbain continuera de prendre des photos des enfants. Leurs regards et leurs mines sombres parleront d’eux-mêmes.
Le miroir de ce qu’ont vécu bien des familles à cette époque. Nous consacrerons les quatre prochains chapitres à la mort de Louisette, telle que vécue chez les Bédard. Un miroir de ce que pouvait représenter, à cette époque, la perte d’un être cher, exprimée ou non dans des mots. Ce qui compte, ultimement, c’est ce qui est ressenti.