162 – LA RENCONTRE D’URBAIN ET DE LOUISETTE
Urbain fait la rencontre de Louisette à l’Hôpital Saint-Michel-Archange-de-Québec. On a vu au chapitre 161 que Louisette Desjardins était née en 1899 au sein d’une modeste famille de Saint-Pascal-de-Kamouraska et qu’elle y avait étudié à l’École de sciences ménagères. Elle déménage ensuite à Québec, à une date que j’ignore, pour poursuivre des études en vue de devenir infirmière à l’Hôpital Saint-Michel-Archange de Québec, un hôpital psychiatrique qui accueillait des milliers de patients et desservait non seulement la grande agglomération de Québec mais l’est et le nord de la province. Une fois diplômée, elle y décroche un emploi comme infirmière. C’est là qu’elle fait la connaissance, sans doute en 1928-1929, de Joseph-Urbain Bédard, qui y effectue un stage en médecine psychiatrique car il songe un moment à devenir psychiatre.
Urbain, un bon parti. Urbain Bédard est plus jeune qu’elle, brillant et promis à un bel avenir. On trouve dans les archives de la Faculté de médecine de l’Université Laval confirmation qu’Urbain avait décroché à deux reprises, au terme de sa troisième et de sa quatrième années d’études, le prestigieux Prix Morrin décerné à l’étudiant en médecine le plus prometteur, au terme d’une épreuve écrite particulièrement ardue. Urbain termine sa cinquième année en 1929-1930 et est immédiatement recruté afin d’ouvrir la première unité sanitaire de la municipalité d’Amqui, dans le Bas-du-fleuve. Il en devient le directeur (Source : Benoît Sinclair, Amqui, Cent Ans à Raconter, Chapitre 1, Visages d’antan, Rimouski, 1989, 610 pages, p. 399).
Très rapidement les choses deviennent sérieuses entre les deux jeunes gens. Urbain est fort épris de Louisette, qui le lui rend bien. Louisette est bien accueillie dans la famille Bédard en particulier par Lizzie, dite Mathilde ma grand-mère paternelle, qui trouve qu’elle a mis du plomb dans la tête de mon futur père et lui a apporté la stabilité. C’est tante Élizabeth qui m’avait donné l’heure juste quant à l’appréciation des Bédard à l’égard de cette jeune femme.
Lizzie veille au grain et organise la réconciliation des deux amoureux. Au fil des années, des bribes de confidences grappillées au hasard d’une conversation, tant de tante Élizabeth que de mes sœurs, m’apprirent que mon père, tout comme ses deux frères cadets, Lucien et David, avait été grand amateur de femmes dans sa prime jeunesse. Ma mère, quant à elle, dira de lui qu’il adorait plaire aux femmes et savait manier efficacement le verbe pour les séduire. Venant d’elle, il ne s’agissait pas d’un compliment!
Or, à un moment donné, les fiançailles avaient été rompues: mon père avait eu une aventure avec une « femme de rien ». Le tout était venu aux oreilles de Louisette, qui avait mis un terme à sa relation avec Bene, comme elle appelait mon père. Il semble que ce soit ma grand-mère qui soit intervenue auprès de Louisette et ait été l’artisane de leur réconciliation. J’ignore comment elle s’y prit, mais cela fonctionna et les fréquentations de Louisette et de Bene reprirent de plus belle.
Bene immortalise sa belle sur des clichés qui parlent d’eux-mêmes. Mon père était amateur de photographie (voir chapitre 21 Urbain Bédard et la photographie). Il prendra de nombreuses photos de Louisette. Des photos qui nous révèlent sa joie de vivre et sa spontanéité. Papa l’immortalise seule ou avec des amis. Sur l’une d’entre elles, Louisette, dans une robe noire sans manches qui dévoile des bras et des jambes plutôt enrobés, tient tendrement collés contre elle mon père et un autre jeune homme, qui est sans doute son frère, Mendoza. Et puis une photo des deux tourtereaux, en patins, qui se tiennent la main. Ou enfin une photo d’eux allongés dans l’herbe et qui se regardent avec un sourire qui en dit long sur ce qu’ils éprouvent l’un à l’égard de l’autre.
Mais surtout il y a ces clichés presque osés pour l’époque, sinon révélateurs, où mon père l’a immortalisée en maillot de bain, les cheveux défaits. Offerte à l’objectif. Exactement comme il le fera plus tard avec ma mère. Sauf qu’avec Louisette l’expérience semble plus épidermique et sensuelle. Bien sûr, on est loin des critères esthétiques d’aujourd’hui. À nos yeux la jeune femme est trop enrobée, on comprend mal qu’elle porte des chaussures. Mais reportons-nous soixante-cinq ans en arrière! Et attardons-nous sur son sourire. Elle se donne à la caméra et à son Bene. Une générosité dont elle ne sera jamais avare.
La prochaine étape? …