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16 – Hampton Beach… et les cousines américaines

46fCoups de soleil et joie de vivre. À la plage, les adultes nous surveillaient à tour de rôle, tout en fumant leur cigarette. Nous prenions de solides coups de soleil et n’utilisions aucun filtre solaire. Dans un cas comme dans l’autre, la chose paraît impensable aujourd’hui! Je n’ai aucun souvenir de ce que nous faisions le soir. Je suppose que nous devions tomber de sommeil et que nos parents nous laissaient seuls dans nos chambres, une fois endormis. À l’époque, les parents ne se sentaient pas moralement tenus d’occuper les enfants à tout prix. On les nourrissait, on leur achetait quelques jouets, pour le reste on laissait porter.

Une histoire d’amour entre les Québécois et le Maine. Les Québécois étaient regardés avec un certain mépris à l’époque par les Américains. Ils constituaient le « cheap labor » de l’époque, l’équivalent des immigrants légaux et illégaux mexicains d’aujourd’hui. Ce préjugé s’accentua quand ils se mirent à descendre littéralement par hordes sur la côte est. Ils voyageaient souvent en famille élargie (comme chez les miens), n’hésitaient pas à s’empiler à plusieurs dans une chambre de motel et aimaient s’amuser, mais au moindre coût possible. Cela constituait rarement une bonne affaire pour un hôtelier de les avoir comme clients. Leur code vestimentaire était assez basique: Pour les hommes : bermudas souvent taillés à partir de vieux pantalons, chaussures de ville agrémentées d’hideuses chaussettes caca d’oie ou blanches. On ne voyait, au début de leur séjour, que leurs jambes blanches comme du plâtre! Le hâle aidant, les choses s’amélioraient. Pour les femmes, robes de soleil faites maison, bermudas dans les tons aqua ou lilas. Mais ils s’amusaient avec une telle spontanéité! Au cours des années l’afflux de Québécois allait augmenter de façon significative, dans le Maine notamment. Quand nous avons arrêté d’y aller, autour de ma dix-septième année, l’endroit était devenu le lieu de villégiature préféré des Québécois. Avec les années, ils apprirent à se vêtir, à laisser des pourboires honnêtes et surtout à explorer le reste de l’Amérique, puis de l’Europe. Ce sont maintenant des voyageurs entreprenants et expérimentés. Comme adulte je ne suis presque jamais retournée dans le 1601Maine. Le hasard m’a plutôt menée plus au sud, dans les Carolines, à la vraie chaleur.

Pratiquer la médecine à l’époque; une vocation. Le jour, mon père ne descendait pas à la plage. Il préférait rester à l’hôtel, à lire sur la véranda qui faisait face à la mer. Il portait, même en vacances, un pantalon pleine longueur de laine froide, une chemise à manches courtes sans cravate, sa seule concession vestimentaire, et gardait même ses chaussures fermées avec chaussettes. Je ne l’ai jamais vu mettre de maillot de bain. Pourtant, du temps de ses fiançailles avec ma mère, il se baignait, comme en témoignent des photos prises à cette époque.

Même en vacances, il ne chômait pas. Il était un médecin apprécié de sa clientèle. La nouvelle avait circulé que mon père prenait ses vacances à Hampton-Beach. De ses clients, de plus en plus nombreux, choisissaient Hampton-Beach fin juillet, ou les agglomérations voisines d’Old Orchard ou de Wells comme destination vacances parce qu’en cas de besoin mon père serait accessible. Je ne dis pas qu’il donnait des consultations à longueur de journée. Mais il se montrait toujours disponible. Et se faisait sûrement un peu d’argent liquide de cette façon. À l’époque les médecins pratiquaient leur métier comme une mission, non comme un emploi. Tout comme le curé, ils étaient rejoignables vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il n’existait pas encore de régime de santé universel, il fallait donc payer son médecin. Mais plus souvent qu’autrement celui-ci ne facturait rien aux gens peu fortunés. Chacun donnait ce qu’il pouvait. Je me souviens que mon père ramenait du beurre de ferme, de poisson, du gibier, à la maison. C’est ainsi que les gens peu fortunés le payaient.

1602_72dpiLa plupart des médecins affichaient une plaque sur le devant de leur maison, indiquant leur nom et leur profession. Mon père en avait une, que j’ai conservée. Il en allait de même de la plaque minéralogique apposée sur leur auto qui, outre le numéro d’immatriculation, portait la mention MD. On venait frapper à notre porte en cas d’urgence.

Ni portable, ni téléavertisseur et encore moins de 911! De nuit comme de jour. Il arrivait souvent, quand nous faisions le trajet Québec-Black-Lake, et inversement, que notre père s’arrête sur les lieux d’un accident. En fait, il s’arrêtait toujours. Il est même arrivé que l’on me confisque l’oreiller que l’on avait mis à ma disposition, sur la banquette arrière, pour donner un peu de confort à un blessé en attendant l’ambulance, ce qui pouvait prendre pas mal de temps. On ne disposait ni de téléavertisseurs ni de téléphone portable pour prévenir les secours. En ces circonstances, nul n’aurait pu deviner que cet homme serviable et compétent pouvait être en même temps extrêmement colérique et impatient avec ses proches! Sa vie, au plan public, était irréprochable.

Voyager sur le pouce. De même, il s’arrêtait systématiquement pour prendre des autostoppeurs. Ce qui nous déplaisait royalement, car il nous fallait nous entasser dans l’automobile. De nombreuses personnes, et même des familles, choisissaient ce mode de transport parce qu’elles n’avaient pas les moyens de faire autrement. Mon père avait un jour fait monter une femme accompagnée de ses trois enfants! Une autre fois, un homme seul, portant un manteau d’aviateur, et qui ressemblait à un bandit! Rien de mal ne nous arriva. Il avait fait installer un deuxième téléphone sur la table de chevet de sa chambre à coucher, pour pouvoir répondre plus rapidement aux appels la nuit, sans réveiller toute la maisonnée. Le téléphone sonnait souvent. Pendant la journée, j’appris très jeune à prendre les messages et à noter qui appelait, les coordonnées téléphoniques dûment consignées.

LES COUSINES AMÉRICAINES. Lors de la dépression de 1929 des hordes de Québécois avaient émigré dans la partie Nord-Est des États-Unis, à la recherche de travail dans les manufactures de textile. Un livre de Ringuet, intitulé Trente Arpents (Paris, Flammarion et Montréal, Les Éditions Variétés, 1938, 292 pages), relate assez fidèlement cet exode massif. Quatre cousines de ma grand-mère, quatre sœurs de la famille Savoie, avaient ainsi quitté leur village de Saint-Julien-de-Wolfestown pour Amesbury, dans le Massachusetts, où elles s’étaient mariées et avaient eu leurs enfants. 1603Deux d’entre elles étaient divorcées, c’est du moins ce que j’avais fini par comprendre. On ne commentait pas la chose, du côté québécois, car à l’époque, de ce côté-ci de la frontière, personne ne divorçait, ni même ne se séparait. On endurait son mal. Les trois travaillaient, ce qui était inhabituel pour nous. Au Québec, les femmes mariées restaient obligatoirement à la maison. Une veuve qui devait gagner sa vie devait obtenir, littéralement, l’autorisation du curé.

Le lien est fort… pour le moment. Chaque été, donc, ma grand-mère visitait ses cousines. Puis, plus tard, ce fut au tour de Michèle, de Cécile et de Marcelle (ma mère) de faire de même, à cette différence près qu’on en profitait pour s’installer avec les enfants dans une station balnéaire du bord de la côte au lieu d’habiter chez les cousines. Elles parlaient le français avec nous, un français entrecoupé d’anglicismes dont elles ne semblaient pas se formaliser et même, dirais-je, dont elles semblaient plutôt s’enorgueillir. Elles nous firent découvrir le premier centre commercial que nous eûmes jamais fréquenté, Peabody. Y étaient regroupés quelques grands magasins (Filene’s, Jordan Marsh, Macy’s). Nos mères profitaient de notre séjour pour faire provision de literie, serviettes, chemisiers pour l’école, qu’on trouvait en abondance et à bon prix. Nous, les enfants, nous morfondions mais n’avions d’autre choix que d’être patients et de les suivre à travers les étalages.

Les pères étaient restés à la plage. À l’époque on leur confiait rarement les enfants. Les mères traînaient leur marmaille avec elles, sauf si grand-papa Alfred était dans les parages!

Louis, le petit diable… Un incident est à jamais inscrit dans ma mémoire : le plus jeune fils de Michèle, Louis, qui devait avoir trois ans et qui était particulièrement coquin, s’était évaporé dans un de ces magasins où nos mères étaient occupées à comparer les prix des articles et à fouiller les étalages. Un moment d’inattention et Louis avait disparu! Panique, branle-bas de combat, on cherche Louis, on ne le trouve pas. Michèle est hystérique. Le gérant du plancher s’amène et finit par nous faire comprendre qu’on peut lancer un appel à tous car le magasin dispose d’un système de micros. Promptement, nous nous dirigeons vers le comptoir principal où trône ledit micro, qui sert généralement à annoncer les promotions. Le gérant s’apprête à prendre la parole pour indiquer qu’on recherche un enfant. Avant qu’il ait pu réaliser ce qui va se passer, tante Michèle s’est emparée du micro et, sans autre préambule, se met à crier : « Louis, maman te cherche, où es-tu? »! Sa voix survoltée retentit dans tout le magasin. Les têtes des acheteurs se lèvent, chacun se regarde avec stupéfaction, car rares sont les personnes qui comprennent le français. De quoi s’agit-il au juste? La chose est jugée de mauvais goût, le gérant est morfondu. Mais le procédé a fonctionné : le petit diable, qui avait plus d’un tour dans son sac, sort soudain mystérieusement de nulle part. Larmes, cris de joie et de soulagement, entrecoupés de reproches distribués à tous : à ma mère, à nous les enfants plus âgés, bref tout le monde y passe. On quitte le magasin, le cœur et le porte-monnaie plus légers.

Divorces, hamburgers au fromage… Nos cousines américaines et leur famille nous semblaient beaucoup plus décontractées que nous. Elles portaient des bermudas, des sandales, elles nous préparaient des hot chickens, des hamburgers au fromage, délices culinaires pour les enfants que nous étions et que nous n’avions jamais goûtés auparavant. Elles entretenaient chacune, par ailleurs, un potager et un jardin de petits fruits. L’arrière de leurs maisons, d’assez belle allure, comportait toujours une brochette d’arbustes et de plates-bandes dont elles prenaient grand soin.

… et French Kiss! Nous adorions les visiter. Lorsque j’avais quinze ans, on m’a présentée à un de mes petits cousins de là-bas, qui s’appelait Robert Savoie. Mes parents m’ont autorisée à sortir un soir en sa compagnie, sans jamais imaginer ce qui m’attendait. Ce fut tout un choc culturel pour moi. Nous avons rejoint ses copains et copines. Les garçons roulaient en voiture, des voitures d’occasion mais qui leur permettaient de se livrer à leur sport favori : le pelotage (en anglais : necking). J’eu droit à des avances non équivoques, auxquelles je répondis maladroitement par la négative : ce n’était pas faute de désir, plutôt le sentiment de ne pas être à la hauteur de certaines des jeunes filles qui, déjà, étaient teintes en blondes et portaient des soutien-gorge à balcon. Quand à mon cousin, j’avais réalisé qu’il comprenait parfaitement le français et qu’il lui arrivait, bien qu’avec réticence, de le parler avec sa mère. Il n’y eut pas moyen de lui faire articuler un seul mot en cette langue au cours de cette soirée, ce qui pourtant m’eût été fort utile étant donné que je parlais très peu l’anglais à cette époque. Il faisait partie de ce que les Américains de souche appelaient des Canucks (French Canadians), une étiquette peu élogieuse dont il se serait certes bien passé! Trente ans plus tard, je me suis arrêtée avec mon mari à Amesbury : nous avons consulté l’annuaire du téléphone. Son nom y figurait toujours. Je n’ai pas osé lui téléphoner. Le français avait certainement disparu de son patrimoine culturel depuis fort longtemps!

47a2Un bonheur fugace. J’ai trouvé dans mes cartons une photo prise à Amesbury, à l’été 1947, vestige d’une de ces nombreuses équipées chez les cousines. Celles-ci sont sur la photo, Julia ma grand-mère également. Mon père et ma mère aussi. Ils figurent au premier rang, presque accroupis, un genou sur le sol. Ils fixent l’objectif. Ils se touchent presque, alors que je ne me souviens pas les avoir vus une seule fois s’effleurer au cours de leur vie à deux. Ma mère semble heureuse et détendue, elle porte une jupe étroite qui semble être grise, un chemisier avec des motifs qui sont soit des fleurs, soit un dessin abstrait. Ses cheveux, bruns foncé, sont attachés et tressés, relevés, un peu à la manière de Simone de Beauvoir, dont elle n’avait sûrement jamais entendu parler. Elle est très belle. Mon père, portant habit, cigarette au doigt, fixe l’objectif et sourit ce qui, chez lui, n’était pas fréquent.

Je suis là… dans le ventre de ma mère! La photo a été prise quelques mois avant ma naissance. Je le sais parce que c’est ma mère un jour, en me montrant cette photo, qui m’avait dit : j’étais enceinte de toi. Alors, j’y suis, moi aussi, sur cette photo! Plutôt dedans que dehors! Dans la réalité, je ne me souviens pas d’avoir vu mes parents heureux ensemble, ni heureux tout court, sinon dans les premières années, du temps de ma petite enfance au Lac Noir. Mais cela demeure très approximatif comme souvenir. Et les couples de cette époque étaient moins démonstratifs en public que ce n’est le cas aujourd’hui.

17 – Les hivers à Black Lake

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