EdithBedard.ca Mon arbre

EdithBedard.ca

143 – Mary-Ann O’Neill, une élève consciencieuse et appliquée

14301(Mary-Ann O’Neill 3)

Mary-Ann O’Neill, mon arrière-grand-mère, demeurera plusieurs années pensionnaire chez les Ursulines de Québec, grâce à la générosité de son oncle paternel, Peter Dorion. Elle y recevra une éducation à la fois soignée et « orientée » car les religieuses veillaient au grain. Elles firent de cette enfant sans repères, et nouvellement arrivée du Mississippi, une jeune femme capable de fonctionner dans la société d’ici. Et une jeune femme heureuse? Pas nécessairement, car cela ne faisait pas partie du contrat moral qu’avaient signé les religieuses…

Des convictions religieuses à consolider? S’agissant de son adhésion au catholicisme, il semble que Mary-Ann ait continué de cheminer à l’égard de ses convictions religieuses, bien après sa première communion (voir chapitre 142 De Natchez jusqu’au monastère des Ursulines, à Québec). Était-ce parce qu’elle entretenait des doutes à l’égard du catholicisme?

J’ai entre les mains un livre intitulé The Grounds of the Catholic Doctrine qui lui a appartenu. Cet ouvrage est en anglais, ce qui nous confirme que c’est encore dans cette langue qu’elle était le plus à l’aise. Il s’agit d’un livret de petites dimensions, du genre de ceux que l’on peut aisément glisser dans sa poche ou dans son sac. Il porte sur les fondements de la foi catholique. Et il s’accompagne d’une attaque en règle du dogme protestant, point par point. On y fustige Martin Luther, le réformiste, et l’église réformée d’Angleterre. Puis on expose, en douze points particulièrement « orientés », pourquoi un catholique romain ne peut adhérer à la religion protestante, rien de moins!

Une remarque, écrite de sa main en anglais et au crayon de plomb, à la toute dernière page du livret, est presqu’illisible. Il y est question de St-Thomas d’Aquin et de ce qu’il prescrivait au sujet du jeûne pour les jeunes. Et un autre commentaire, encore à la fin du livre, portant sa signature et presqu’illisible également, s’intitule : « Resolution ». Il se lit ainsi : « Will always say my night prayer before going out…”. La suite est impossible à déchiffrer.

14303Maryanne ou Marianne? Mon arrière-grand-mère a inscrit son nom, et l’a donc écrit deux fois, dans la page de garde : une première fois avec la mention « Ursulines » et son prénom francisé (Marianne O’Neill) avec la date, en anglais : « July 3rd, 1853 ». Et une seconde fois avec son prénom orthographié à mi-chemin entre les deux langues (Maryanne O’Neill) avec la mention, en anglais : « Quebec, /55. ». Elle alterne carrément entre les deux langues, mais avec une préférence pour l’anglais.

Un livre dont elle ne se séparera jamais. Mary-Ann devait y tenir à ce petit livre, considérant le fait qu’il l’a suivie toute sa vie, quand elle a quitté Québec pour La Malbaie, puis pour Chicoutimi, Cap-Santé et enfin Charlesbourg. Était-ce parce qu’elle ressentait le besoin de se convaincre que le catholicisme était bien « sa » religion? Sans doute fut-il récupéré par sa fille Mathilde, ma grand-mère, à un moment donné puis se retrouvera dans la maison ancestrale. C’est tante Élizabeth qui me l’avait offert, à l’adolescence. Je m’en souviens fort bien, d’autant que ma mère, qui était présente lorsque le livre m’a été donné et dont je reconnais l’écriture, a retranscrit une résolution de la main de Mary-Ann qui apparait presque effacée, à la toute dernière page du document. De tenir ce livre à mon tour dans mes mains, plus de cent-soixante-ans plus tard, est quand même émouvant. Moi non plus je ne m’en suis jamais séparée, d’ailleurs…

Un parallèle avec Esther Wheelwright. Je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle entre la situation de Mary-Ann, orpheline rapatriée de la Louisiane, recueillie chez les Ursulines et instruite dans la religion catholique, et le destin d’Esther Wheelwright, cette enfant née à Wells dans une famille puritaine, enlevée par les Abénakis, mise en pension par le gouverneur de la Nouvelle-France chez les Ursulines, dont elle deviendra supérieure au moment de la défaite de 1760. J’avais fait référence à son destin peu ordinaire au début de mon récit, lorsqu’il est question de la présence des Abénakis autour de la région de Thetford-Mines (voir chapitre 5 Un peu d’histoire). Dans un livre, intitulé Esther, qu’elle consacre à son aïeule, l’écrivaine britannique Julie Wheelwright décrit de façon éloquente combien l’influence des religieuses s’exerça de façon déterminante sur son aïeule, cette orpheline sans repères et sans famille. Donc aisément influençable et perméable à un discours apaisant. Comme l’écrit Julie Wheelwright : « … it gave Esther a needed sanctuary from her childhood trauma. Everything from the chapel and the convent rooms to the surrounding grounds suggests a severe and simple dignity” (Julie Wheelwright, The Remarkable True Story of Esther Wheelwright, Harper Collins, Toronto 2011, 242 pages, p. 136).

L’auteure décrit avec force détails l’approche pédagogique des religieuses, empreinte d’affection et de respect pour les enfants, le havre de paix que représente le Monastère avec ses jardins intérieurs coupés de l’extérieur, mais également le raisonnement soutenu, et bien dosé, par lequel on finit par convaincre l’enfant, provenant d’un milieu protestant, qu’en dehors du catholicisme point n’est de salut. Cette certitude s’implantera avec une telle fermeté dans l’esprit d’Esther qu’elle refusera, quand cela lui sera proposé, d’être réunie à sa famille biologique. Et que pendant trente ans elle n’aura à peu près pas de contacts, même épistolaires, avec celle-ci. De plus, elle ne reverra jamais ni son père ni sa mère. Parce qu’elle ne le souhaitait pas. On peut sans se tromper parler de conversion irrévocable.

Une approche semblable me semble avoir été utilisée avec Mary-Ann, qui se retrouvera confrontée à un code de conduite à l’opposé de celui auquel elle avait été exposée dans sa petite enfance. En ressentit-elle une forme de déchirement intérieur : ne se sentir ni d’ici ni de là-bas (à Natchez), où son père et sa mère étaient décédés?

Patrick Gilroy, son demi-frère, mort noyé. Mon arrière-grand-mère profita également, me semble-t-il, de cette immersion dans un univers à l’opposé de ce qu’elle avait connu, enfant, pour trouver une avenue commode de se dissocier de son demi-frère, Patrick Gilroy, qui l’avait à toutes fins pratiques abandonnée à son sort à Natchez. Elle racontera aux religieuses avoir rêvé de lui, pendant une nuit, mort noyé sous ses yeux. Une façon symbolique de l’évacuer à jamais de son univers? On sait que celui-ci s’installa à Wilkinson, en Arkansas, s’y maria et y exerçait la fonction de coroner dans les années 1870 (voir chapitre 133 Patrick Gilroy, Des descendants stupéfaits).

14304aÀ la recherche de photos de Mary-Ann O’Neill. J’ai voulu trouver des photos de mon arrière-grand-mère. Je n’avais pas oublié ce que me disait ma mère, quand j’étais enfant : « Édith, regarde les photos de classe sur les murs du Monastère : tu y verras sûrement ton ancêtre! » Ce que je ne fis jamais…

Les archivistes du Monastère m’ont permis de consulter une sélection d’albums portant sur les années qui m’intéressaient. Bien évidemment, j’étais sûre d’y trouver des photos de classe! Grosse déception : la tradition par les religieuses de prendre des photos des groupes d’élèves se développera bien après le départ de Mary-Ann de l’institution! Ainsi, quand je passais en trombe dans le corridor menant à l’escalier Saint-Augustin, des photos de sa classe n’y figuraient certainement pas!

Mais on commencera vers 1850 à conserver les photos que les étudiantes faisaient prendre, à titre personnel chez le photographe, et dont elles offraient un exemplaire aux religieuses. Cela s’appelait des « photos de cabinet », prises en studio. Et ces photos étaient offertes aux religieuses, qui les ont toutes conservées! Un véritable trésor.

La photo d’une jeune fille au regard sérieux et triste. J’ai compulsé des albums entiers. Et je crois avoir repéré mon arrière-grand-mère. Il s’agit d’une photo prise par Livernois, le photographe connu de Québec et dont le studio était à deux pas du Monastère. Non datée, la photo réunit quatre jeunes femmes de bonne famille. La période est la bonne, si on se fie au style des vêtements et des coiffures. Je crois que l’une d’entre elles est mon arrière-grand-mère. Elle ne sourit pas. Elle semble très réservée. Ses traits, assez grossiers, ressemblent beaucoup à ceux de Jacques Dorion, son oncle (voir chapitre 120, Jacques Dorion, acteur de la rébellion de 1837). Je crois qu’il s’agit de Mary-Ann.

La photo d’une femme d’âge mûr au regard tout aussi triste. La seule photo où Mary-Ann est dûment identifiée a été prise quelques années avant sa mort. Cette photo a été reproduite dans un article publié par Roger LeMoine, professeur à l’université d’Ottawa. L’article est consacré à son oncle, Félix-Antoine Savard, qui était le petit-fils de Mary-Ann. On y lit ceci : « Mary-Ann Nathalie O’Neill (Madame François-Régis Gosselin), grand-mère maternelle, avec un de ses petits-enfants, Quetton de Saint-Georges ». La ressemblance avec la photo de jeunesse de Mary-Ann est forte.

Cette photo a sans doute été prise à la fin de l’été ou au début de l’automne, à Cap-Santé où les de Saint-Georges habitaient, puisque l’enfant qu’elle tient dans ses bras et qui n’a que quelques mois est né le 30 avril 1899. Mary-Ann a environ soixante-sept ans, elle s’est épaissie. Elle est vêtue de noir. Sans aucun apprêt, les cheveux tirés vers l’arrière. Son regard est sévère et triste. Le même regard que dans la photo précédente.

La vie ne l’a certes pas épargnée. Une vie parsemée d’écueils et d’épreuves, jusqu’à la fin, comme si le sort s’était acharné sur elle.

Consultez l’arbre généalogique des Dorion
Consultez le tableau des descendants de Pierre Dorion et de Jane Clarke
144 - Une nouvelle épreuve pour Mary-Ann : la mort de son oncle Peter Dorion

 

Recherche
Merci de faire connaître ce site