Nathalia O’Neill est décédée à la fin août 1843 (voir chapitre 140 La mort de Nathalie Dorion). Son fils, Patrick, est alors âgé de vingt ans, puisqu’il est né le 27 novembre 1822, à Québec. Ce n’est plus un enfant et il est, au sens de la loi, majeur. Mais qu’en est-il de Mary-Ann, la fillette née du mariage de Nathalie et d’Hugh O’Neill, désormais orpheline? Elle n’a que dix ans, puisqu’elle est née à Québec, le 5 février 1833. Qu’adviendra-t-il d’elle?
Francis Ketteringham nommé liquidateur de la succession de Nathalie Dorion. Le 4 décembre 1843 Francis Ketteringham dépose une demande devant le juge Thomas Fletcher de la Cour d’homologation du Adams County, dont relève Natchez, afin d’être désigné comme liquidateur de la succession de la défunte Nathalie Dorion. Ketteringham est celui-là même qui a vendu à Nathalie Dorion sa propriété, quelques mois avant qu’elle ne décède. Avait-il noué des liens d’amitié avec la défunte? Se préoccupait-il sincèrement du sort de Mary-Ann? Ou, plus prosaïquement, souhaitait-il le moment venu remettre la main sur la propriété de Ste-Catherine’s Street?
Sa requête est acceptée et les procédures de liquidation de la succession s’enclenchent. L’ensemble des documents visés ont été conservés et versés dans les archives d’Adams County, d’où le généalogiste, monsieur Vaughan, les a extraits et photocopiés. C’est grâce à ceux-ci que j’ai pu reconstituer le fil des événements, tels que rapportés ci-dessous.
Inventaire des biens et actifs de la défunte. La nouvelle de la disparition de Nathalia s’est sûrement rendue jusqu’à Québec car Peter Dorion, le frère de Nathalie, qui habite Québec, se manifeste rapidement auprès de Francis Ketteringham et des autorités judiciaires du Mississippi. La chose est tout à son honneur car son épouse, Cordelia-Louise Lovell, vient de décéder, le premier décembre 1843, quelques jours avant le décès de leur fille, Jane-Elmire-Corinne, décédée le 20 novembre à l’âge de vingt jours. La suite des événements démontrera combien il se préoccupera du sort de sa petite-nièce au cours des années qui suivront et prendra à sa charge son éducation.
Un tuteur intérimaire pour Mary-Ann O’Neill. Francis Ketteringham obtient également des autorités l’autorisation, le 4 décembre 1843, d’être désigné comme le tuteur légal (guardian) mais sur une base intérimaire de Mary-Ann O’Neill, alors âgée de dix ans. Il est appuyé dans sa démarche par Patrick Gilroy fils, décrit comme le demi-frère de Mary-Ann. Celui-ci déclare ne pas vouloir agir comme tuteur de sa sœur et décline officiellement cette responsabilité. Il déclare également que des actifs, appartenant à sa défunte mère, sont disponibles à Québec et qu’ils pourront servir à l’éducation de sa demi-sœur… à Québec!
Ainsi Francis Ketteringham est-il chargé non seulement du règlement de la succession de Nathalie Dorion mais également du sort de la fillette, du moins dans l’immédiat, puisque le demi-frère de celle-ci ne veut pas la prendre à sa charge. Le juge Thomas Fletcher intime à Francis Ketteringham l’obligation de lui faire rapport, dans les trois mois qui suivront, de sa gestion de la tutelle et de l’état de santé de l’enfant. Si la tutelle devait se poursuivre, il devra faire rapport, sur une base annuelle.
Pierre Dorion désigné comme représentant légal des deux enfants de Nathalie Dorion. On se perd dans les méandres des actes, requêtes, démarches, menés tant à Québec qu’à Natchez pour régler cette situation problématique. Il y a concertation entre Québec et Natchez. Pourtant, ni le téléphone ni le télécopieur n’existent! Le 30 janvier 1844 Frank Ketteringham, tuteur de Mary-Ann, ainsi que Patrick Gilroy déposent devant le juge Thomas Fletcher une pétition afin que Peter Dorion soit désigné comme représentant légal, et procureur, des enfants de Nathalie Dorion au Canada.
Pourquoi une telle démarche? Pour libérer les quelques fonds, théoriquement disponibles à Québec et auxquels Patrick Gilroy a fait d’ailleurs référence dans sa pétition appuyant la désignation de Francis Ketteringham comme tuteur de sa demi-soeur. On parle alors sûrement des sommes encore dues à la défunte par Thomas Cary et George Desbarats. Ce qu’obtient finalement Peter Dorion puisqu’une quittance finale, d’un montant de quarante livres et quelques shillings, est signée devant le notaire Panet, le 28 octobre 1844. Ce document est disponible aux Archives nationales du Québec (Étude du notaire Louis Panet, Acte no 9993 du 28 octobre 1844).
La propriété de Nathalie Dorion vendue sur la place publique. En même temps que le règlement de la succession se poursuit et qu’un tuteur est nommé pour Mary-Ann, les deux dates (le 19 octobre 1843 et le ler avril 1844) prévues pour le remboursement de l’emprunt qu’avait contracté Nathalie Dorion pour acquérir sa propriété sont venues à échéance. Le premier versement, échu le 19 octobre 1844, a-t-il été acquitté en partie ou en totalité, grâce à la diligence de Peter Dorion? Possible. Mais le deuxième ne l’a sûrement pas été. Car le 18 mai 1844, James Noyes, celui qui avait financé les deux emprunts contractés par Nathalie Dorion, procède à la vente à la criée de la propriété acquise un an auparavant par mon arrière-arrière-grand-mère pour cause de non-paiement. Le montant demandé est de 550 $. L’avis de mise en vente est publié dans The Free Trader et The Natchez Gazette, de Natchez.
Qui en est l’acquéreur? Francis Ketteringham, lui-même! Le nouvel acquéreur fait une bonne affaire : il récupère la propriété à un coût moindre que le prix pour lequel il l’avait vendue à la défunte. Noyes et Ketteringham sont-ils de connivence? Qui sait…
Francis Ketteringham produit un premier rapport d’inventaire de succession. La propriété a été, on l’a déjà mentionné, vendue à la criée en mai 1844 et l’usufruit de la vente a été récupéré par le créancier. Nathalie Dorion-O’Neill n’a à peu près rien laissé comme biens à Natchez.
Des vêtements de première nécessité pour la petite orpheline. En juillet 1844 Francis Ketteringham se représente devant le juge Fletcher et demande l’autorisation de poursuivre son mandat de tuteur de l’enfant orpheline, informant le juge que « someone from Canada » lui a confirmé qu’un montant d’argent transiterait sous peu de Québec vers Natchez. Il dépose un relevé des dépenses vestimentaires qu’il a encourues pour l’enfant depuis décembre 1843, alors qu’il avait été désigné comme son tuteur :
1 – Une paire de chaussures et un calicot;
2 – Une autre paire de chaussures en février, une troisième, en mai;
3 – Un bonnet, une robe de mousseline, deux paires de bas, en mai;
4 – Un calicot, en juin; et quelques autres effets.
Il y en a pour moins de 10 $. Le tout est d’une tristesse consommée. Finalement, le 27 octobre, Francis Ketteringham acquitte les frais juridiques de 9.12 $ que lui réclame le Adams Probate Court Office. Indication, probablement, que son double mandat de liquidateur et de tuteur est terminé.
Où est passée la petite orpheline? Il existait un orphelinat à Natchez, le « Natchez Protestant Orphanage », qui accueillait des orphelins démunis ou des orphelins pour lesquels un donateur ou un curateur acquittait les frais de pension. Les registres sont conservés au Dolph Briscol Center for American History de l’Université du Texas, à Austin. Les archivistes ont vérifié, à ma demande, si le nom de Mary-Ann y figurait, à compter de 1843. Nulle trace de l’enfant.
Qu’est-il advenu d’elle?
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