Nathalie Dorion alias Nathalia O’Neill achète une propriété à Natchez… Suite au décès d’Hugh O’Neill, le 16 décembre 1841, Nathalia O’Neill, car c’est ainsi qu’elle se fait dorénavant appeler, se retrouve veuve et seule à Natchez (Mississippi) avec ses deux enfants, Patrick et Mary-Ann. Elle aurait pu décider de rentrer à Québec. Elle choisira plutôt de demeurer à Natchez, puisqu’elle y fait l’acquisition d’une propriété. Ce n’est certainement pas la décision que l’on prend lorsqu’on compte quitter un endroit.
… dans un quartier qui ne paye pas de mine. Le premier avril 1843, elle achète un terrain situé à quelques pas du secteur commercial de Natchez, donc en plein cœur de l’activité marchande, sur Ste-Catherine’s Street. Les vendeurs sont un dénommé Francis Ketteringham et sa femme Élizabeth. C’est alors un quartier modeste, sinistre à la limite, où on trouve notamment des pensions pour les travailleurs. La propriété fait quarante-six pieds de façade sur deux-cents quatre de profondeur. A-t-elle trouvé du travail dans un des commerces avoisinants? Mystère.
Deux ententes notariées. Deux ententes notariées enregistrées au greffe du comté d’Adams du district de Rapides, dont relève Natchez, et dont le généalogiste, monsieur Vaughan, m’a fait parvenir une photocopie, attestent de la transaction (Adams County, Deed’s Book, PS 614 et 616). La première porte sur le prix d’achat de la propriété, qui s’élève à 700 $, et sur sa localisation exacte. On n’y précise pas si le terrain comporte une maison. J’ai pu en consulter l’original au greffe de Natchez, en 2011.
Le deuxième acte notarié, signé lui aussi le premier avril 1843, porte sur le financement de cette acquisition. On y apprend que mon arrière-arrière-grand-mère emprunte le montant total d’achat de la propriété ainsi que le montant des intérêts! Elle signe deux billets, de $ 375 chacun. Le premier billet viendra à échéance six mois suivant la date de la transaction, le premier octobre 1843; l’autre, douze mois plus tard. N’était-ce pas téméraire de sa part?
La corde autour du cou. Son prêteur, ou endosseur, est un dénommé James Noyes. Coïncidence : la femme qu’épousera Thomas Cary, en mars 1835 à Québec, suite au décès de Mary-Ann Dorion, s’appelait Eliza Heath Ellen Noyes veuve Würtele. Je n’ai pu déterminer s’il existait un lien entre les Noyes de Natchez et les Noyes de Québec, si jamais il en existait un. Trois personnes sont signataires de l’entente : Nathalia O’Neill, James Noyes mais également Francis Ketteringham.
Les conditions du prêt sont strictes et les conséquences, pour défaut de paiement, claires. Comme si a priori on ne lui faisait pas confiance. Ainsi, si elle fait défaut de payer les montants dus à leur échéance, sa propriété pourra être vendue à la criée par Francis Ketteringham: « But if the said Mary-Nathalie O’Neill shall fail, neglect or refuse to pay and satisfy (…) one or both of the said promissory notes when they shall respectfully mature and become payable (…) upon being requested by the said Francis Ketteringham, or who else may hold the said promising notes, to give six months notice in any newspaper published in said city, that he will sell for cash at the Door of the Court of House of Adams County at public Outcry, to the highest bidder… » (Adams County, Deeds Book, P.S. 616)
Nathalia O’Neill décède le 28 août 1843. Elle ne profitera pas longtemps de sa nouvelle acquisition puisqu’elle décède le 28 août 1843, soit quatre mois plus tard. Le médecin qui signe l’acte de décès, un certain docteur C.H. Stone, indique qu’elle a cinquante ans et que la cause de sa mort est : dropsy, c’est-à-dire de l’hydropisie, liée à l’accumulation de liquides dans l’abdomen, et dont les causes peuvent être multiples. Il s’agit des suites d’une maladie chronique, pas d’une mort subite. Ces informations la concernant sont consignées dans les Sexton Records, un consolidé des registres tenus par les sacristains et fossoyeurs de Natchez, auxquels sont intégrés, le cas échéant, les avis parus dans les journaux. J’ai obtenu cette liste aux Archives nationales de l’État du Mississippi, à Jackson, où je m’étais rendue.
Le bas de gamme pour son inhumation. Nathalia O’Neill est inhumée dans le cimetière de Natchez, comme le confirme le Livre de comptes du fabricant de cercueil et fossoyeur de Natchez, Robert Stewart, celui-là même qui avait mis en terre Hugh O’Neill, en décembre 1841. On y apprend que c’est Patrick, son fils né de son mariage avec le docteur Gilroy à Québec, en 1822, qui se charge des formalités. Il vit soit avec elle, soit à proximité, car tout se déroule dans des délais très courts.
Ni la mère ni le fils ne semblent rouler sur l’or car il choisit le bas de gamme pour le cercueil de sa mère, le jour même du décès de celle-ci. Le tout, incluant la mise en terre, s’élève à 12 $! La commande inclut également le coût de creusage de la fosse et de la mise en terre. Une mention additionnelle ajoutée à la main sur la facture nous indique qu’un montant de 10 $ sera acquitté le 4 novembre 1843, donc plusieurs mois plus tard.
Pour illustrer l’ordre de grandeur de ce que représentait un montant de 12$ à l’époque, disons ceci : un esclave valait environ 1 500 $, un séjour à l’hôpital de Natchez coûtait 3 $ par jour, une coupe de cheveux chez le barbier, 25 sous. Le maire de la ville touchait un salaire annuel de 575 $, et l’abonnement au Natchez Daily Courier s’élevait à 8 $ pour l’année (Source : Sansing, Callon et Vance Smith, Natchez, An Ilustrated History, Plantation Publishing Company, Natchez, 1992, 192 pages, p. 102).
J’ai pu consulter l’original du Livre de comptes du fossoyeur de Natchez à la Hill Memorial Library, sur le campus de l’Université d’État de Baton Rouge, où il est conservé. Un avis de décès confirmant la mort de Nathalie O’Neill est publié dans le Natchez Daily Courier, le 6 septembre 1843. On y lit ceci : « Died-on the morning of the 27th instant, after a long and painful illness of dropsy, Mrs Nathalia O’Neill, aged about 50 years old, a native of Quebec, Lower Canada. The Buffalo and Quebec papers will please copy ».
C’est donc à des kilomètres de Québec que Nathalie Dorion terminera sa vie, âgée d’à peine cinquante ans. Une question allait rapidement occuper une place centrale dans la suite des événements : qu’adviendrait-il de Mary-Ann, mon arrière-grand-mère, qui n’avait alors que dix ans?
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