Nous avons vu au chapitre 136 (Mais où est passée Nathalie Dorion?) que je croyais avoir retrouvé la trace de Nathalie Dorion à Québec, quelques années après ses démarches avortées en justice pour ne pas être tenue solidairement responsable des dettes de son mari, Hugh O’Neill. J’ai même cru qu’elle était morte internée à l’asile de Beauport et que son fils, Patrick, s’était lancé dans le commerce des marchandises sèches, rue Buade. Ces hypothèses ont volé en éclat quand j’ai obtenu la preuve irréfutable que mon arrière-arrière-grand-mère était bien vivante, mais pas à Québec. Où était-elle, alors? À Rapides, en Louisiane, à des milliers de kilomètres d’ici. Qui plus est, elle y habitait en compagnie de son mari, Hugh O’Neill!
Il y a fort à parier que sa stratégie, devant les tribunaux de Québec, avait été une feinte et que Hugh O’Neill en était complice. Un stratagème identique à celui qu’avait utilisé sa sœur, Julie, mariée au docteur Bernard Murray (voir chapitre 123 Julie Dorion épouse Bernard Murray… A curious story…). Était-ce le notaire Panet qui suggérait à ses clientes de procéder ainsi? Mystère.
Nathalie, installée à Rapides, en Louisiane, avec Hugh O’Neill! Nathalie refait donc surface en décembre 1838, alors qu’elle entreprend des démarches en justice afin de récupérer un montant de 250 livres que lui doivent Thomas Cary et George Desbarats, suite à la reconnaissance de dette que ceux-ci avaient signé devant le notaire Panet, à Québec, le 11 avril 1835. Notons surtout qu’elle s’y désignait comme : « madame Marie-Nathalie Dorion, de Québec, marchande publique, épouse de Hugh O’Neill, dont elle est légalement séparée ».
Nathalie Dorion et Hugh O’Neill déclarent Rapides, en Louisiane, comme leur lieu de résidence. Le 23 décembre 1838, Mary Nathalia O’Neill et Hugh O’Neill mandatent un magistrat du comté de Rapides, George Thomas Waters, afin qu’il prenne les mesures appropriées pour que les sommes qui sont due à Nathalie à Québec, par Cary et Desbarats, lui soient finalement remboursées. Cet acte notarié, dûment authentifié par le gouverneur de la Louisianne, A.B. Roman, le 14 janvier 1840, et dont l’original est conservé aux Archives nationales du Québec, certifie qu’ils sont bien résidents de Rapides. Et qu’ils sont mariés. En corollaire le couple donne pleins pouvoirs à Peter Dorion, frère de Nathalie, par l’intermédiaire du notaire Panet, afin qu’il agisse comme leur fondé de pouvoirs à cet égard: « … a resident of Quebec City in the Province of Canada, thus true and lawful agent and attorney to collect for them any sum of money (…) which is at present in the hands of Thomas Cary and George Desbarats.»
Nathalie Dorion récupère ce que lui doivent Thomas Cary et George Desbarats. Les choses finissent par se régler et le 15 février 1840 Pierre Dorion signe une quittance d’un montant de 104 livres à Cary et Desbarats, laquelle sera suivie le 19 août 1840 d’une deuxième quittance, d’un montant de 102 livres. Le solde, de quarante-quatre livres et cinq shillings, sur la dette totale de 250 livres, sera finalement récupéré, quatre ans plus tard, le 28 octobre 1844, tel que consigné là encore par le notaire Panet.
On en déduit que Nathalie a gardé des liens avec Québec, à tout le moins avec son frère Peter Dorion, qui est son mandataire. On suppose que les liens avec son beau-frère, Thomas Cary, sont moins harmonieux… puisqu’elle a dû s’adresser à la justice pour récupérer ce qui lui est dû. On sait qu’elle ne dédaigne pas les querelles publiques et les empoignades juridiques, si besoin est!
Rapides, fondée par des Français. Rapides est une paroisse de la ville d’Alexandria, en Louisiane, au nord-ouest de la Nouvelle-Orléans, de Bâton-Rouge et de Lafayette. Elle est située sur le bord de la rivière Rouge (Red River), un affluent du fleuve Mississippi, et qui coule sur 2 190 kilomètres. Rapides, dont le nom original était « Rapide », fut fondée par des Français. En 1763, le gouverneur de la Louisiane, Louis Billouart de Kerlerec (1704-1770) autorise l’établissement de tribus appalachiennes, expulsées de la Floride par les Britanniques. On y accueillera également des Acadiens après le Grand Dérangement de 1755. Puis diverses administrations, pour ne pas dire dominations, se succéderont en Louisiane, qui sera tour à tour possession espagnole, française, britannique et américaine. Une société mixte à tous égards. Les noms de lieux reflètent encore aujourd’hui, même dans l’agglomération d’Alexandria, cette hétérogénéité raciale et linguistique.
Louis Billouard de Kerlerec (1704-1770)
Né à Quimper, en Bretagne, Kerlerec sera gouverneur de la Louisiane de 1753 à 1763. Il démontrera de l’ouverture en accueillant non seulement les déportés de l’Acadie mais également des tribus amérindiennes, chassées de Floride par les Britanniques. Accusé faussement de malversations, il devra rentrer en France où il sera emprisonné pendant quelques mois. Il sera finalement exonéré et relaxé. Une triste fin de parcours pour un homme qui avait démontré de la générosité et de l’humanité.
Un mode d’accès par voie fluviale. La Louisiane n’était pas une destination prisée des Canadiens vers 1840, qu’ils aient été aventureux ou aventuriers. Ce n’était pas à la porte non plus. Une ligne de chemin de fer desservait la Nouvelle-Orléans depuis 1835, mais ne se rendait pas dans l’intérieur des terres. Les voyageurs qui venaient du Nord-Est du continent prenaient en général le train d’est en ouest jusqu’à Cleveland. De là ils empruntaient des bateaux qui descendaient la rivière Ohio, laquelle croise le fleuve Mississippi. Les fameux steam boats. C’était exciting and precarious, selon les chroniqueurs de l’époque! De nombreux bateaux à vapeur desservaient également la Rivière Rouge, pour le transport des personnes autant que des marchandises.
Nathalie Dorion emprunta probablement la voie fluviale pour y rejoindre Hugh O’Neill, à une date que je n’ai pu déterminer. Mais il est sûr qu’elle était accompagnée de ses deux enfants, Patrick et Mary-Ann, comme nous pourrons le confirmer plus loin. Déterminée et opiniâtre, notre Nathalie!
Une agglomération prospère. Rapides était alors un centre d’équarrissage et d’entreposage du bois, qui servait à construire des bateaux. La situation économique y était sans doute bonne puisqu’entre 1830 et 1840, la population y passera de 7 575 à 14 132 habitants. Un dénommé William Hugh O’Neill figure au Recensement fédéral de 1840 comme habitant Rapides. Comme le recensement ne mentionne que le nom des chefs de famille, impossible de confirmer hors de tout doute qui sont les personnes, femmes et enfants, qui habitent sous son toit.
De quoi vivaient-ils? Nathalie tenait-elle commerce, commerce similaire à celui qu’elle avait exploité à Québec? Était-elle simple employée ou femme au foyer? Et lui, travaillait-il dans une des fonderies que comptait la ville, car on disait dans la famille qu’il était ingénieur en fonderie? Mystère.
Ce qui compte, pour nous, c’est de constater que Nathalie Dorion a réussi à rejoindre Hugh O’Neill et à reprendre la vie commune avec lui. Elle a alors plus de quarante ans. Quelle énergie!
Consultez l’arbre généalogique des Dorion
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