(Nathalie Dorion 5)
Naissance de Mary-Ann, mon arrière-grand-mère. Quelques années passent. En 1833, Nathalie Dorion et Hugh O’Neill habitent Québec. Le 5 février, Nathalie donne naissance à une fille, qu’ils prénommeront Mary-Ann, sans doute en mémoire de Mary-Ann, épouse de Thomas Cary, décédée six mois auparavant. Il s’agit de mon arrière- grand-mère. Celle dont mon père avait consigné le nom dans mon Livre de bébé. Elle sera baptisée selon le rite catholique le 7 février en la paroisse Notre-Dame-de-Québec. Le parrain est un dénommé Martin Malherbes. Il s’agit d’un homme d’affaires. La marraine est sa jeune cousine, Geneviève (Mary-Jane) Cary, fille de Thomas Cary junior et de feue Mary-Ann Dorion.
Nathalie a ainsi deux enfants, nés de deux pères différents : Patrick Gilroy fils, âgé maintenant de onze ans et qui avait été baptisé selon le rite anglican, et Mary-Ann, baptisée, elle, selon le rite catholique.
Le couple Dorion-O’Neill tient commerce Côte de la Fabrique. En 1833, il semble bien que Nathalie Dorion et Hugh O’Neill habitent Québec. Ils se sont lancés en affaire, à moins qu’il s’agisse simplement de la continuation, mais en partenariat économique, d’un commerce que Nathalie possédait déjà. Ils sont propriétaires d’un magasin de tissus et d’articles vestimentaires, reflet de ce que l’on portait à l’époque : coiffes, chapeaux, bonnets de fourrure, etc. Le commerce était situé Côte de la Fabrique, à quelques centaines de mètres de la rue Buade. Avaient-ils repris le commerce de Marie-Angélique Dorion, situé lui aussi Côte de la Fabrique, marchande publique et épouse d’Étienne Gauvin, tante paternelle de Nathalie ? Je n’ai pu le déterminer. Cette tante décédera d’ailleurs en novembre 1834.
Hugh O’Neill poursuivi par des créanciers. Puis c’est le drame. En janvier 1834, Hugh O’Neill reçoit un « protêt faute de paiement » délivré par le notaire Panet relativement à une dette impayée de 41 livres contractée auprès du dénommé Bazaretti, un encanteur et associé de Thomas Cary. Puis, le 4 février 1834, il reçoit une sommation par le shérif de Québec relativement à une dette impayée de 44 livres contractée auprès d’un autre encanteur et prêteur du nom de William Dudley Dupont. Celui-ci, dans sa requête, argue que Hugh O’Neill lui a emprunté 44 livres en octobre 1833, que la somme devait lui être remboursée dans les trois mois et que l’intimé refuse de le faire.
Les biens du commerce et du logement saisis. Le 5 février, les huissiers procèdent à l’inventaire des biens de Hugh O’Neill, tant pour le commerce, situé Côte de la Fabrique, que pour le logement qu’il occupe avec sa famille, rue Buade. Tout y passe.
On évalue la dette totale de Hugh O’Neill à 121 livres, 12 shillings et 5 pences. Le contenu du logement du couple est également saisi. Là encore, tout est décrit, et tout y passe : sofa, chaises de paille, tapis, lampe, grand miroir, commode, poêle de fer double avec tuyau, chaises, table, 8 verres à pattes, fourchettes, cuillères, chaudrons, bouilloire, poêle à frire, sauteuse, lave-mains. Il n’y a que le lit, la table et les vêtements qui semblent être épargnés, sans doute parce que la loi est ainsi faite.
La lecture de cette énumération est d’une tristesse consommée. On imagine l’humiliation.
Nathalie Dorion demande la séparation… Mais Hugh O’Neill n’est pas au bout de ses peines! Le 12 février, Nathalie Dorion dépose une demande en séparation de biens devant la justice. Le notaire Panet produit un affidavit, signé par elle, dans lequel elle se « plaint du dit Hugh O’Neill » et rappelle les termes de leur contrat de mariage, ce que confirme le notaire. Nathalie Dorion déclare que « le défendeur ayant éprouvé de grandes pertes dans son commerce se trouve maintenant en faillite et déconfiture et que les effets de la demanderesse et notamment un fonds de magasin sont exposés à être saisis par les créanciers du défendeur qui l’ont poursuivi, qui le poursuivront encore (…) et que sans l’avantage d’une sentence de séparation la dite demanderesse est exposée à perdre non seulement ses droits matrimoniaux mais encore ses propres apports, se montant en valeur à plus de trois cents livres… »
La convention signée entre les futurs époux prévoyait la séparation de biens entre les époux et le versement de 600 livres par l’époux le jour du mariage, au lieu d’un douaire. On précise que le mariage fut célébré le 16 juillet 1831, dans un lieu non identifié et sans qu’aucune attestation officielle ne soit déposée. Une chose est sûre : cette cérémonie ne put avoir lieu à Québec, car c’est plutôt au docteur Patrick Gilroy qu’elle y avait uni sa destinée, dix ans auparavant. Et, comme on le sait, celui-ci était bien vivant, mais aux États-Unis!
… et désavoue son mari. Dans sa déposition, assermentée, Nathalie Dorion demande à la Cour de reconnaître que ses dettes à lui ne peuvent lui échoir à elle et que le « dit défendeur soit condamné à lui rendre et restituer la somme de six cents livres ». Ce montant correspond à la promesse signée par Hugh O’Neill dans leur contrat de mariage.
Mariée deux fois à Hugh O’Neill… Hugh O’Neill est sommé de se présenter en Cour le 17 février. Ce jour-là, maître Panet dépose un document, qui contient les deux exhibits suivants : Le contrat de mariage signé entre les deux futurs époux, le 19 juin 1830, dont nous avons parlé au chapitre 134. Mais surtout une déposition assermentée de Nathalie Dorion. Celle-ci y affirme qu’elle et Hugh O’Neill auraient contracté mariage non seulement le 16 juillet 1831, comme précédemment allégué, mais une deuxième fois, le 14 septembre 1833, devant le Vicaire Général du diocèse de New-York, Mgr John Power! Là encore aucun document officiel, à l’exception des déclarations de Nathalie Dorion, n’est déposé. Du Feydeau avant le temps…
… et vraisemblablement bigame. Pourquoi faire valoir le fait que Nathalie Dorion et Hugh O’Neill se sont mariés à deux reprises, qui plus est aux États-Unis? Une seule fois eut suffi… Non seulement Nathalie Dorion est-elle selon toute vraisemblance encore mariée au docteur Gilroy, mais elle prétend s’être mariée deux fois avec Hugh O’Neill! Le problème est que l’on doit s’appuyer sur la parole de Nathalie Dorion et sur rien d’autre.
Détail à ne pas négliger : si c’est le second mariage avec Hugh O’Neill était reconnu comme valide, alors Mary-Ann serait née avant le mariage de ses parents. Et si aucun des deux mariages n’était valide, ou n’avait jamais eu lieu, alors le père « légal » de Mary-Ann serait le docteur Gilroy!
Nathalie Dorion déboutée en cour. La requête de Nathalie Dorion est rejetée par la Cour le 19 février, celle-ci estimant que la séparation contractuelle alléguée par elle est inexistante. Pourquoi en est-il ainsi? Sans doute parce que comme Nathalie Dorion n’a pu faire la démonstration d’un mariage en bonne et due forme avec Hugh O’Neill, l’existence d’un contrat préalable de mariage et les obligations dont il était assorti deviennent nulles et sans fondement. Une logique implacable et douloureuse.
Mince consolation pour Hugh O’Neill qui, la veille, avait dû faire face à l’exécution sur ordre de la Cour de la saisie et dispersion de son fonds de commerce ainsi que des biens personnels du couple.
S’agirait-il d’une manœuvre bien orchestrée? Hugh O’Neill et Nathalie Dorion avaient-ils d’un commun accord décidé qu’elle demanderait la séparation de biens, afin de sauver les meubles, étant donnée leur situation financière plus que précaire? Il se pourrait bien que cela ait été le cas. Ce faisant, ils recouraient au même stratagème que celui utilisé par Julie Dorion et son mari, le docteur Bernard Murray (voir chapitre 123 Julie Dorion épouse Bernard Murray… A curious story…), mariés le 5 août 1828, séparés le 3 février 1829, mais néanmoins présents lors de la signature du contrat de mariage de Nathalie, le 10 juin 1830!
La suite des événements nous donnera raison…
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