(Nathalie Dorion 4 de 6)
Nathalie Dorion, libre de nouveau. À partir de 1827, il semble bien que le destin de Nathalie Dorion et celui du docteur Gilroy aient pris des directions opposées. Avaient-ils divorcé? Pas au Canada, où le divorce n’existait pas. J’ignore ce qu’il advint d’elle entre 1827 et 1829, tout comme j’ignore qui étaient ces « mauvaises fréquentations », auxquelles son mari avait fait allusion lors de leur querelle publique à Washington. À l’époque le poids que les conventions sociales et les contraintes de toutes sortes, notamment l’absence de moyens de contraception, faisaient peser sur les femmes, était énorme. Il devait être d’autant plus difficile pour une femme de vivre pleinement sa vie. Surtout si elle était douée d’un caractère fougueux, voire enflammé. Et, en plus, ce qui semble se confirmer, instable.
Hugh O’Neill est entré dans sa vie. Depuis 1830, et peut-être avant, un nouvel homme est entré dans la vie de Nathalie. Il s’agit d’un Irlandais du nom d’Hugh O’Neill. Il semble que les choses soient devenues rapidement sérieuses entre eux. Et dire que deux ans auparavant elle pourchassait publiquement le docteur Gilroy à Washington! Il se peut qu’elle ait fait la connaissance de Hugh O’Neill à New-York. J’appuie mon hypothèse sur le fait que leur mariage sera célébré à New-York, mais quelques années plus tard, par le vicaire général du diocèse de New-York, Mgr John Power.
Un Irlandais, lui aussi… La recension des passagers arrivés d’Irlande au port de New-York en 1828, dans un ouvrage colligé par Elizabeth Bentley en 1999, mentionne un Hugh O’Neill, âgé de 31 ans. Le patronyme et le prénom « Hugh O’Neill » sont très fréquents chez les Irlandais. On nomme ainsi les enfants en référence à un héros de l’histoire irlandaise, Hugh O’Neill (1550-1607). Héritier du duché de Tyrone, en Ulster, il s’opposa dans les années 1585 aux Anglais, mais également à certains de ses pairs, pour établir une juridiction palatine sur le territoire dont il s’estimait être le souverain héréditaire. Aidé par le roi d’Espagne qui, en pleine guerre contre Élizabeth première d’Angleterre en 1601, lui envoya quatre mille hommes pour se battre contre leur ennemi commun : les Anglais. Bref, un héros irlandais. Voilà pourquoi des Hugh O’Neill, on en trouve tant et plus chez les Irlandais d’hier et d’avant-hier.
… accepté au sein du clan Dorion. À Québec, une foule d’événements surviennent au sein du clan Dorion. Julie, la sœur de Nathalie, vient elle aussi d’épouser un Irlandais, le docteur Bernard Murray, le 5 août 1828 … mais a déjà demandé la séparation légale après à peine six mois de mariage (voir chapitre 123 Julie Dorion épouse Bernard Murray… a curious story). Son autre sœur Marie-Anne, épouse de Thomas Cary, accouche d’un nouveau-né presque chaque année. Mais elle décédera bientôt, le 22 août 1832, victime du choléra. Parmi les témoins aux obsèques, outre Nathalie, figure le nom de Hugh O’Neill. Il était donc considéré comme faisant partie de la famille, comme cela avait été le cas dix ans auparavant avec le docteur Gilroy. On était moins regardant côté moralité du côté Dorion que du côté Bédard ou Gosselin!
UN CONTRAT DE MARIAGE EN BONNE ET DUE FORME
… Mais en séparation de biens. Nathalie semble vouloir sérieusement refaire sa vie si on en juge par le contrat de mariage, qui est passé chez le notaire Panet le 19 juin 1830, entre elle et Hugh O’Neill. Celui-ci déclare être originaire de Magherafelt, en Irlande du Nord, et être le fils de Michael O’Neill et de Catherine Mannon. Son occupation : foundry draftsman , qui équivaut plus ou moins à la dénomination d’ingénieur.
Ce contrat a ceci de particulier que les futurs époux déclarent qu’il n’y aura aucune communauté de biens entre eux, non plus qu’aucun autre usage de ce type, comme cela est généralement le cas avec le vieux droit coutumier français. En d’autres termes, ils renoncent à la « coutume de Paris », cet ensemble de lois civiles régissant les droits des individus, en particulier leur statut personnel, les régimes matrimoniaux ainsi que la propriété et la transmission de bien en cas de décès, ce qui était la norme en Nouvelle-France depuis 1664.
Nathalie Dorion demeure propriétaire de ses actifs… Il est précisé que dame Marie Nathalie Dorion conservera l’entière gestion et l’administration de ses biens, immobiliers et autres (moveable and inmoveable) et que les usufruits, intérêts ou bénéfices découlant de la vente de l’un ou l’autre de ces biens demeureront les siens. En contrepartie, aucun douaire ne sera versé à Nathalie Dorion ou aux enfants qui pourraient naître de cette union, par la succession de son mari en cas de décès de celui-ci. Mais le futur époux s’engage à lui verser, comme promesse de mariage et une fois le mariage célébré, la somme de six cents livres qui serait déposée en quelque sorte en fidéicomis. Il semble que Nathalie Dorion ait été autonome financièrement. Il est vrai que dans sa famille on était marchands ou locateurs. Mais il n’existe aucun document permettant de déterminer avec précision en quoi consistaient les biens de Nathalie Dorion.
… et s’assure de protéger son fils. Par ce choix Nathalie Dorion voulait peut-être protéger son fils Patrick Gilroy, qui avait alors sept ans et qui était né de son mariage avec le docteur Gilroy, au cas où elle mourrait. Car en vertu de la coutume de Paris, en cas de décès d’un des conjoints, le survivant avait droit à la moitié des biens du mariage, même si ceux-ci avaient été acquis avant le mariage ou lors d’un précédent mariage. On recensa ainsi plusieurs cas d’anciens soldats qui au XVIIe siècle épousèrent des veuves et purent ainsi profiter des biens acquis par le premier mari. Il semble également que, comme à cette époque près de 40% des futurs époux n’étaient pas nés ici et étaient considérés comme étrangers, la précaution que prenait la future épousée n’était pas exceptionnelle. La bourgeoisie marchande, souvent anglophone, choisissait généralement lors de l’établissement des contrats de mariage de ne pas adhérer à la coutume de Paris et de ne pas convenir de douaire, préférant instaurer une rente que l’époux ou l’épouse toucherait après le décès de l’autre conjoint. Une chose est sûre : Nathalie Dorion garda la tête froide, cette fois!
Le docteur Bernard Murray signe le contrat de mariage comme témoin! Outre la signature de Nathalie Dorion et de Hugh O’Neil sur le contrat de mariage, on relève celle de son beau-frère, Thomas Cary. Mais également celle du docteur Bernard Murray, dont pourtant Julie Dorion avait demandé la séparation quelques mois auparavant! De quoi en perdre son latin! Ah si le notaire Panet avait pu rédiger ses mémoires, que de secrets sur la famille Dorion aurait-il pu nous révéler!
On peut à tout le moins affirmer que le clan Dorion approuvait le principe de cette union, sinon s’inclinait devant la volonté de Nathalie.
Décidément on ne s’ennuyait pas chez les Dorion!
Consultez l’arbre généalogique des Dorion
Consultez le tableau des descendants de Pierre Dorion et de Jane Clarke