Trois génération d’imprimeurs et Marie-Anne Dorion (3 de 3)
UNE TROISIÈME GÉNÉRATION D’IMPRIMEURS CHEZ LES CARY : TRISTE FIN
En 1855, Thomas Cary fils avait cédé la direction du Quebec Mercury à son fils, Georges-Thomas. Qui était-il? George-Thomas était né à Québec, le 23 avril 1829, du mariage de Thomas Cary fils avec Mary-Ann Dorion, une des trois filles du couple Dorion-Clarke, dont nous parlerons au chapitre 127. Il fut baptisé selon le rite anglican en la cathédrale Holy Trinity de Québec, le 18 mai. Il n’était pas rare qu’il s’écoule plusieurs semaines, voire des mois, chez les protestants, entre la naissance d’un enfant et son baptême.
Un premier mariage selon le rite anglican avec une anglophone originaire du Haut-Canada. George-Thomas épouse à Québec, le 17 octobre 1855, selon le rite anglican, Charlotte-Isabella Poole, en la cathédrale Holy Trinity. Née à Amherstburgh, Haut-Canada, à une date non précisée, elle est la fille d’un haut fonctionnaire chargé de l’intendance au sein de l’administration militaire, James Poole, décédé. Sa mère se nomme Mary-Ann Brown, elle-même fille de James Brown, un marchand anglophone de Québec. Comment George-Thomas fit-il la connaissance de sa future épouse? Mystère.
Cinq enfants dont trois survivront. Le couple Cary-Poole aura cinq enfants, tous baptisés selon le rite anglican :
– Thomas-James, né le 17 mai 1859 et qui décédera en 1879 à l’âge de vingt ans;
– Emma-Louise, née le 14 avril 1861 (date de décès inconnue);
– Georges Elliot, né le 11 octobre 1863 et décédé, âgé de moins d’un an, le 22 juillet 1864;
– Matilda Jane, née le 8 novembre 1866;
– Francis Henry Bellean, né le 30 octobre 1867.
La famille habite Québec. Le recensement fédéral de 1861 indique que la mère de Charlotte-Isabella, Mrs Poole, qui est veuve et est âgée de 75 ans, vit avec eux. Georges-Thomas Cary y est désigné comme propriétaire du Quebec Mercury.
Les affaires semblent décliner… George-Thomas poursuit la publication du journal jusqu’en 1863. Les affaires semblent aller couci-couça, puisqu’il « loue » les locaux et l’équipement d’impression du Quebec Mercury à un certain Josiah Blackburn. Il signe avec celui-ci un bail devant notaire. En annexe de l’acte notarié, qui a été conservé aux Archives nationales du Québec, figure une esquisse de l’atelier de composition du journal, situé Côte de la Fabrique. On constate que le nouveau locataire semble à toutes fins pratiques occuper les lieux à lui seul, Georges-Thomas ne conservant qu’un espace symbolique.
L’esprit Tory s’émousse… En 1864, Georges-Thomas Cary est toujours propriétaire du journal. Les temps ont changé, les mentalités ont évolué. Il semble vouloir insuffler une nouvelle énergie au journal, à en juger par sa décision d’embaucher le journaliste et polémiste John Henry Willan, comme chroniqueur. Celui-ci, qui avait déjà œuvré au sein du Quebec Mercury comme directeur du journal, s’était fait à un moment donné le promoteur de l’idée d’union entre le Canada et les États-Unis.
Il s’agit cette fois d’appuyer le projet de confédération canadienne… bien loin de l’esprit Tory du grand-père Cary! George-Thomas dispose-t-il d’autres sources de revenus pour subsister et subvenir aux besoins de sa famille? On l’ignore.
Décès de Charlotte-Isabella Poole en 1870 : un testament au raisonnement tortueux. Charlotte-Isabelle décède le 14 mars 1870. Elle laisse derrière elle de très jeunes enfants, dont le plus jeune, Francis Henry Bellean, n’a que trois ans. Le 28 janvier, elle avait rédigé son testament devant notaire. Elle y réaffirmait qu’elle et son mari s’étaient soustraits à la coutume de Paris lorsqu’ils ont uni leurs destinées, en invoquant comme preuve à l’appui leur contrat de mariage signé devant notaire, le 16 octobre 1855, donc la veille de leur mariage.
Ils s’étaient plutôt soumis à la common law britannique, en vertu de laquelle chacun demeurait propriétaire de ses biens propres et même des biens acquis pendant le mariage. Elle ajoute qu’elle lègue ses biens, essentiellement constitués de matériel d’imprimerie, à ses enfants. Mais que son mari, lui, pourra en garder la jouissance tant que ce matériel ne sera pas liquidé! Était-elle véritablement propriétaire du matériel d’imprimerie du commerce de son mari? On peut en douter!
Pourquoi un tel argumentaire? Sans doute pour protéger George-Thomas contre d’éventuels débiteurs, en rendant à toutes fins pratiques insaisissable le matériel d’imprimerie. L’avenir allait lui donner raison… Je n’ai trouvé aucune information relative à la façon dont George-Thomas se débrouilla pour élever trois jeunes enfants et aucun indice de la façon dont se déroula la jeunesse ou l’adolescence de ceux-ci à Québec. Ils quitteront finalement Québec, comme on le verra plus loin.
Georges-Thomas Cary traîné en justice. Le 27 avril 1888, un dénommé James Gibb Ross s’adresse à la Cour supérieure du Québec afin de faire saisir les biens meubles contenus dans une résidence dont il est propriétaire, aux numéros 20 et 22, Côte de la Montagne, et qu’il loue à George-Thomas Cary, « editor, publisher and printer ». Ce dernier lui doit la somme de $252.63 en loyer impayé. James Gibb Ross obtient gain de cause mais il décède, le ler octobre 1888, sans que la décision de la Cour n’ait été mise en application.
Son frère, et exécuteur testamentaire, Frank Ross, revient à la charge devant la Cour supérieure quelques mois plus tard. Le dossier déposé en Cour est volumineux. Le demandeur rappelle que George-Thomas Cary avait signé un bail de location devant le notaire Jacques Auger, le 8 février 1884, et que ce bail était d’une durée de deux ans. Or, non seulement George-Thomas n’a pas payé les arrérages dûs, mais il continue d’habiter les numéros 20 et 22, Côte de la Montagne!
Georges-Thomas invoque le testament de sa défunte épouse… L’intimé, dépose notamment son contrat de mariage avec sa défunte épouse ainsi que le testament de cette dernière, comme preuve à l’appui du fait qu’il n’a que la jouissance du matériel d’impression du Quebec Mercury. Il invoque le fait que les propriétaires réels en sont ses trois enfants!
… et le fait que ses héritiers n’habitent plus au Canada. Or ceux-ci n’ont pu se déplacer à Québec, explique-t-il, et pour cause, car les trois habitent maintenant Springfield, au Massachusetts : Mathilda Jane y est mariée à un dénommé Robert Dennison, alors que sa soeur Emma Louise, quant à elle, est mariée à George T. Roberts. Leur frère, Francis Henry Bellean, encore célibataire, y habite également. George-Thomas semble vouloir gagner du temps coûte que coûte. J’ai effectivement vérifié l’existence du mariage des deux jeunes filles, en consultant les registres de mariage du Massachusetts. Emma Louise s’était mariée le 27 avril 1889 et sa sœur le 5 novembre 1889! Juste à temps pour invoquer l’éloignement et leur statut marital pour ne pas venir témoigner! Ce faisant, appuyaient-elles leur père dans sa démarche ou le laissaient-elles carrément tomber? Les enchères sont ouvertes…
Pourquoi choisir Springfield pour s’établir? Les trois Cary y avaient de la famille. Une Élizabeth Cary, vraisemblablement née à Québec, s’était installée dans cette région des États-Unis. À noter : elle avait agi comme marraine de George-Thomas des années plus tôt, en 1829, lors du baptême de celui-ci, à Québec. On trouve d’ailleurs trace de plusieurs Cary en Nouvelle-Angleterre, notamment à Fitchburg, Lovell, etc.
Georges-Thomas Cary débouté en Cour. La stratégie de Cary échoue. Le juge Honoré Casault rend son jugement et accueille favorablement la requête de Frank Ross. Le jugement final est rendu le 16 novembre 1889. Annexé au document se trouve l’extrait d’un avis paru en français dans le Journal de Québec et en anglais dans The Quebec Daily Telegraph annoncant que le matériel de presse et d’imprimerie saisis sera vendu à l’atelier de George-Thomas Cary, Côte de la Montagne.
Une sortie de scène peu honorable pour celui qui représentait la troisième génération d’imprimeurs à Québec. Son nom apparaît dans l’annuaire Marcotte de 1889-1890, comme habitant le 22, Côte de la Montagne, alors que les bureaux du Quebec Mercury logent au numéro 20. Puis, en 1890, nulle mention de Cary. En fait, il a quitté Québec. On verra pourquoi ci-dessous.
Georges-Thomas Cary se remarie avec une francophone, catholique de surcroît! George-Thomas Cary se remarie à Québec le 14 février 1888, en la paroisse Notre-Dame-de-Québec, pendant la période pour le moins turbulente de ses démêlés avec la justice. Sa nouvelle épouse s’appelle Marie-Élise Laliberté et est née à Sainte-Foy, le 14 mars 1857, dans une famille modeste. Elle a 29 ans, son nouvel époux, 59! Étant donné qu’il est anglican et elle, catholique, l’archevêque de Québec, le cardinal Elzéar- Alexandre Taschereau, leur a accordé une dispense afin qu’ils puissent se marier selon le rite catholique.
Deux cérémonies de mariage avec la même femme! Fait étonnant, le couple se mariera deux fois, à un an et demi d’intervalle et dans la même église : une première fois le 14 février 1888 et une deuxième fois, le 18 octobre 1889! Dans un cas comme dans l’autre une dispense est accordée par l’Église.
Deux enfants illégitimes en sus. On relève une différence de taille entre la première et de la deuxième cérémonie de mariage : à l’occasion de la première, George-Thomas et son épouse en avaient profité pour faire reconnaître par l’Église deux enfants, soit Clérina, âgée de six ans, et un enfant de deux ans et demi, non encore baptisé. Aucun témoin n’était présent à la cérémonie. On a l’impression d’assister à une reprise du mariage de Pierre Dorion et de Jane Clarke, grands-parents maternels du marié, des années auparavant (voir chapitre 112 Une Irlandaise investit le clan Dorion).
Puis le 18 octobre 1889, cérémonie identique, assortie d’une dispense, toujours en la paroisse Notre-Dame-de-Québec. À cette différence près qu’on n’y relève aucune mention des enfants du couple! Et que deux témoins signent le registre, dont le docteur Jean-Magloire Turcot. Qui était-il? Le mari de Joséphine Dorion, la seule fille de Peter Dorion et de Cordelia Lovell (voir chapitre 118 Peter Dorion, du sommet jusqu’à la déchéance). Signe qu’à tout le moins le marié avait conservé des liens avec la famille de sa mère, Mary-Ann Dorion.
George-Thomas Cary devient correcteur d’épreuves à Ottawa. Georges-Thomas avait subi un sévère revers financier et sa réputation en avait certainement souffert. Sa vie était sans doute devenue difficile à Québec, d’autant que ses déboires financiers étaient maintenant du domaine public.
Il prend alors la direction d’Ottawa, en y emmenant sa nouvelle épouse et leurs enfants. Il devient correcteur d’épreuves au « federal bureau », selon les données du Recensement de 1891. Un poste clérical sans grande responsabilité, de toute évidence. Le couple a maintenant trois enfants, dont une fillette de quatre mois, Mary.
Décès le 9 septembre 1897. Georges-Thomas Cary finit sa vie et sa carrière comme correcteur d’épreuves (voir le Registre des décès de l’Ontario). Son grand-père paternel, Thomas Cary père, fier, hautain, fondateur du Quebec Mercury et poète à ses heures, se retourna-t-il dans sa tombe? Lui-même n’avait-il pas dû se résoudre à devenir encanteur afin de joindre les deux bouts?
Les enfants nés de son premier mariage avaient-ils conservé des liens avec leur père? On peut en douter. D’autant que le fils, Francis Henry Balean, qui décédera à son tour en 1912, était devenu clergyman, donc pasteur protestant!
Élise, la deuxième épouse de George-Thomas Cary, trop tôt décédée. Élise Laliberté-Cary, qui a accouché de neuf enfants dont cinq ont survécu au-delà de la petite enfance, se retrouve donc seule pour élever les enfants du couple qu’elle formait avec George-Thomas Cary. Ses enfants la décriront comme une mère attentive et dévouée. Elle décède malheureusement à son tour, le 7 janvier 1900, après un bref séjour à l’hôpital. Elle n’avait que quarante-deux ans.
Ses deux fils, André et Laurent, seront recueillis par les Oblats et prendront eux-mêmes la robe quelques années plus tard. Les deux plus jeunes filles, Élizabeth et Maria, seront placées à l’orphelinat alors que Clérina se trouvera du travail comme teneur de livres.
Élizabeth sera adoptée à l’âge de douze ans par la famille Baillargeon, de Saint-Constant. Elle épousera Réal Bellefleur. Un des fils du couple, Fernand, est le père d’Élise Bellefleur, qui m’a généreusement transmis deux photos : l’une, représentant son arrière-grand-mère. L’autre, représentant ses cinq enfants. Elle m’a également transmis les notes consignées par Clérina, sa grande tante, sur l’histoire de la famille Cary. Un legs touchant…
Consultez l’arbre généalogique des Dorion
Consultez le tableau des descendants de Pierre Dorion et de Jane Clarke