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122 – S’intégrer à la société british d’ici

Julie, Marie-Anne et Nathalie Dorion, of course… (1 de 4)

L’immigration irlandaise, écossaise et loyaliste dans nos campagnes. Le Bas-Canada avait accueilli des Irlandais et des Écossais, chassés par les famines et la tutelle britannique, ainsi que des Loyalistes américains. La majorité d’entre eux s’installera dans nos campagnes ou dans nos petites agglomérations et vivra un apprivoisement, parfois difficile, avec les Canadiens, comme on les appelait alors. On se méfiera de l’étranger, on se toisera, puis on finira par s’accepter plus ou moins pour finalement s’apprécier mutuellement, à coup de querelles de clôtures ou de clochers, de batailles de gamins, d’empoignades entre commerçants, d’idylles amoureuses et d’alliances matrimoniales. Les uns et les autres seront partie intégrante de la classe des agriculteurs et cultivateurs. Des gens souvent peu éduqués, travaillants et opiniâtres et qui revendiquaient peu, si ce n’est la liberté et le droit de vivre en paix.

12201Mais dans une ville comme Québec, où une élite britannique détient dorénavant le pouvoirles choses se dérouleront différemment. Québec était, à sa manière, un village, dans la mesure où les grands notables, tant francophones qu’anglophones, habitaient dans un périmètre assez restreint, concentré entre dans les rues Saint-Louis, Garden Street, du Parloir, de la Montagne, Saint-Pierre, des Pauvres et… Buade! Impossible de ne pas se connaître quand on est voisins!

Malgré tout, l’apprivoisement entre cette élite anglophones et ses vis-à-vis francophones empruntera d’autres itinéraires que ceux des gens de la campagne.

La société britannique d’ici, aux commandes. On a peu écrit sur cette société anglophone de Québec, qui détenait le monopole du commerce et de la finance et dont les membres s’étaient vu confier les postes administratifs et exécutifs  les plus prestigieux et les mieux rémunérés. Ses membres détiennent notamment le monopole du bois de charpente qui représentait vers 1837 la grosse part des exportations, ainsi que celui des transports et des banques (The Quebec Banking Society et la Banque de Québec). Ils s’enrichissent dans l’import/export. Les représentants de l’élite britannique, à Québec et ailleurs au Bas-Canada, se sont vu attribuer les deux tiers des seigneuries du Bas-Canada, ce qui leur assure des revenus appréciables.

Protestants… et francs-maçons. La plupart sont protestants, de confession anglicane, méthodiste ou de la « Free Church of Scotland ». Quatre temples protestants ont alors pignon sur rue dans la Haute-Ville de Québec.

Ces anglophones, catholiques ou protestants, sont également fréquemment francs-maçons, ce qui ne leur pose aucun problème de conscience. Les premières loges maçonniques anglophones de Québec ont été créées par les officiers britanniques du général Wolfe peu après la conquête de Québec. Elles se composent de 12 loges militaires et une des marchands de Québec. Le temple maçonnique est situé au coin de Garden Street (aujourd’hui rue Desjardins) et de la rue Saint-Louis, dans un édifice qui existe encore. Pour en savoir davantage sur l’histoire de la franc-maçonnerie au Canada, consulter le site  www.glquebec.org.

12202aDes membres éduqués, cultivés et souvent raffinés. Les membres de cette société anglophone sont en général éduqués et se composent d’officiers de l’armée britannique, de médecins, de commerçants et de gens de lettre qui occupent des postes cléricaux dans l’administration du Bas-Canada. On aime lire, donc on fait venir de nombreux livres d’Angleterre ou de France, et on ouvre des bibliothèques de lecture, comme le Quebec Exchange and Reading Room. La Thespian Society of Quebec monte des pièces de théâtre, que l’on joue dans des pièces spécialement aménagées au-dessus des tavernes, quand ce n’est pas carrément dans les demeures. On fréquentera l’Hôtel Union. Construit en 1805 à l’initiative de l’ « Union Company of Quebec », l’hôtel Union était situé rue Sainte-Anne, devant la place d’Armes. Les marchands et hommes d’affaires anglophones s’y retrouvaient, pour partager un repas, un verre ou carrément s’adonner à une beuverie! Les Britanniques étaient reconnus pour leur goût pour l’alcool. On y organisait aussi des ventes aux enchères de marchandise importée d’Angleterre et d’ailleurs. Les francs-maçons s’y réunissaient également, car l’hôtel était situé à quelques centaines de mètres du temple maçonnique.

C’est l’entrepreneur d’origine irlandaise, Edward Cannon, qui obtint le contrat de construction de l’édifice, qui existe encore. Un de ses fils, Ambroise Cannon, épousera la fille d’Anne-Marie Dorion et de Thomas Cary, dont il sera question aux chapitres 124 et 125.

On fera également de la musique. À titre d’exemple, Jonathan Sewell, né aux États-Unis mais éduqué en Angleterre, et qui occupera de nombreux postes de commande dont celui de Solliciteur général, puis de Procureur général du Bas-Canada, avait créé un groupe de musique de chambre où lui-même et Archibald Campbell jouaient du violon, Louis-Édouard Glackmeyer de la flûte et un dénommé J. Harvicker, du violoncelle. Ils permettront à plusieurs jeunes, francophones ou anglophones, de se produire au sein d’un orchestre d’amateurs que Sewell avait mis sur pied.

12203aJonathan Sewell
Né aux États-Unis en 1766 mais éduqué en Angleterre, Jonathan Sewell acquiert sa formation d’avocat et de juriste auprès du Procureur général du Nouveau-Brunswick. Il s’installera à Québec en 1789 et n’en repartira pas, occupant diverses fonctions officielles au Bas-Canada : Procureur général par intérim de la province de Québec, Solliciteur général et inspecteur du domaine du roi, Procureur général à partir de 1796, juge en chef du Bas-Canada à partir de 1801, président du Conseil législatif en 1809. Il deviendra ainsi le plus puissant fonctionnaire de l’administration, après le gouverneur.
Un Libéral ouvert aux idées progressistes au départ, il évoluera progressivement vers une attitude plus rigide, ce qui lui vaudra de nombreux ennemis. Mu par le désir de protéger les intérêts britanniques, il proposera notamment des mesures en vue d’accélérer l’anglicisation de la colonie. On lui reprochera également d’avoir usurpé les pouvoirs de l’Assemblée législative en édictant certains règlements qui étaient dans les faits assimilables à des lois.
Intéressé par les arts et mélomane lui-même, Sewell accepte en 1808 de parrainer une société littéraire fondée par Philippe Aubert de Gaspé et d’autres jeunes hommes de Québec. Il essayera mais sans succès de faire lever l’interdit édicté par Mgr Plessis à l’égard du théâtre, pour les catholiques. Il décédera le 11 novembre 1839 à Québec. Un homme aux talents et facettes multiples.
Source : Dictionnaire biographique du Canada en ligne.

La mémoire préservée… La présence de cette société anglophone s’est estompée au fil des années et des siècles, alors que plusieurs de ses membres quittaient Québec ou se fondaient dans la communauté francophone. Il suffit pourtant de franchir le portail du Morrin College et de pénétrer dans la bibliothèque pour s’imprégner du rayonnement passé et encore vibrant de cette communauté. On y parcourt les rayonnages, où abondent des livres souvent peu connus de nous, francophones.

Ce qu’on y découvre? Un regard différent sur les événements de notre histoire commune, souvent teinté de paternalisme et de condescendance On est loin de l’attitude triomphaliste qui prévalait après la Conquête… mais plusieurs demeurent convaincus que l’assimilation, qualifiée poliment d’intégration, aurait été la meilleure solution à tous nos problèmes, nous, francophones.

12205Un témoin privilégié de cet apprivoisement des deux élites : Philippe Aubert de Gaspé. Qui pourrait, mieux que Philippe Aubert de Gaspé, nous faire saisir les subtilités de cet apprivoisement des représentants de ces deux élites qui ont en commun d’être éduqués et cultivés? Il les a tous connus et fréquentés.

On oublie souvent de mentionner que Philippe Aubert de Gaspé avait épousé Susanne Allison (17 août 1794-3 août 1847), fille de Thomas Allison, officier britannique et ancien capitaine du cinquième régiment d’infanterie ainsi que juge de paix pour le district de Québec. Cela a sûrement aidé…

Ses Mémoires, rédigés avec humour et vivacité, contiennent des anecdotes craquantes sur la jeunesse d’un jeune aristocrate (lui-même) qui, après s’être livré aux incontournables guerres de ruelle entre francophones et anglophones, développe des liens d’amitié avec des officiers britanniques de son âge. La description qu’il fait au chapitre VIII de sa participation à une partie de cricket, bien arrosée de madère et qui lui vaudra une cuite monumentale, vaut le détour! (Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, Bibliothèque québécoise, Montréal 2007, 591, pp. 214 à 218). On se rappellera sa narration de la rencontre entre trois petites Dorionnes et des officiers britanniques (voir chapitre 99 Trois Petites Dorionnes).

Les fils du couple Dorion-Clarke : résolument francophones… On a suivi, du chapitre 116 au chapitre 121, le cheminement des trois fils du couple Dorion-Clarke : François, boucher de son métier et dont les descendants poursuivront la tradition à Trois-Rivières, avant que celle-ci ne s’éteigne, dans une obscurité presque totale; Pierre, marchand, qui tâtera des affaires avec un succès inégal, décédera ruiné, mais qui sera néanmoins partie prenante de la bourgeoisie marchande et commerçante de Québec. Et finalement Jacques, qui n’était pas le fils biologique mais le neveu de Pierre Dorion et de Jane Clarke, et dont l’engagement politique et social se démarquera carrément.

On ignore par qui les deux fils biologiques du couple furent élevés. Leur mère, Jane Clarke, semble avoir été peu présente. On peut imaginer que, sans revenus, après l’internement en 1804 puis la mort de son mari en 1810, elle ait consenti à confier l’éducation de ses fils à des membres de la famille. Probablement à leur tante Marie-Anne, à leur oncle Joseph ou à leur tante Marie-Angélique Dorion, marchande publique qui opérait un commerce rue de la Fabrique.

… et urbains. Quelles qu’aient été les destinées inégales, et parfois malheureuses, des deux fils Dorion et de leur cousin Jacques, certains faits ressortent de leur itinéraire de vie. Ils seront urbains, contrairement aux Bédard de Charlesbourg qui demeureront longtemps des villageois et des agriculteurs. Ils feront des affaires, comme ce sera le cas pour Pierre (ou Peter), avec des anglophones. Mais ils se marieront selon le rite catholique et demeureront, eux et leurs descendants, résolument francophones.

Julie, Marie-Anne et Nathalie épousent des notables britanniques d’immigration récente. Il en ira tout autrement des trois filles du couple Dorion-Clarke : Julie (née en 1801), Marie-Anne (née en 1799) et Nathalie, mon arrière-arrière-grand-mère (née en 1793), dont nous parlerons au cours des six prochains chapitres. Leur mère était irlandaise et anglophone, ne l’oublions pas. Elles épouseront toutes trois des Britanniques, d’immigration récente, partie prenante de l’establishment anglophone qui avait pris les commandes, au plan politique, de la petite société d’ici. Deux d’entre eux sont médecins et l’autre, le fils d’un imprimeur très connu, Thomas Cary. Les enfants issus de ces alliances seront anglophones.

Trois jeunes filles éduquées… par qui? Les trois filles du couple Dorion-Clarke ne fréquentèrent pas les Ursulines, contrairement à leurs frères qui avaient étudié au Petit Séminaire. Peut-être furent-elles éduquées par un des nombreux précepteurs anglophones qui offraient leurs services à l’époque. Une chose est sûre. Elles ont contracté des unions avec des hommes d’un certain niveau, malgré le fait qu’elles aient été fort probablement sans dot.

On pense que Julie serait décédée en Irlande ou en Angleterre. Marie-Anne, elle, décédera à Québec en 1832, victime du choléra. Et Nathalie, mon arrière arrière-grand-mère, mourra à Natchez, au Mississippi, en 1843.

Nous voilà partis pour une belle équipée!

Consultez l’arbre généalogique des Dorion
Consultez le tableau des descendants de Pierre Dorion et de Jane Clarke
123 - Julie Dorion épouse Bernard Murray… A curious story!

 

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