Jacques Dorion, patriote de 1837 (3 de 3)
L’acte de baptême de Jacques Dorion : introuvable? J’ai mentionné au chapitre 119 que les biographes de Jacques Dorion n’ont pu déterminer la date exacte de sa naissance parce qu’ils n’avaient pu mettre la main sur son acte de baptême. Ils posent néanmoins l’hypothèse que ses parents biologiques sont Pierre Dorion et Jane Clarke. Or, cela est inexact.
La filiation de Jacques Dorion à ses parents présumés n’a jamais pu être démontrée, et pour cause : il n’était pas leur fils, mais leur neveu. Il était illégitime, l’enfant naturel de Paul Dorion, un des frères de Pierre Dorion. Paul, jamais marié avait confié son fils naturel à Marie-Anne Dorion, sa sœur (voir chapitre 110– Marie-Anne Dorion un sacré caractère). Celle-ci l’élèvera et gérera une tutelle crée par Paul Dorion au décès de celui-ci.
Jacques Dorion lui-même ne crut jamais utile ou opportun de remettre publiquement les pendules à l’heure. Et ses proches, sûrement au fait de la situation, tinrent le sujet clos. C’est ainsi que naissent les secrets de famille que certains qualifieront de beau mensonge!
Des indices qui nous mettent sur une piste… Je m’étais moi-même interrogée quant aux origines de Jacques Dorion, après avoir compulsé, des centaines et des centaines d’actes de baptêmes de la famille Dorion, sans succès. Les enfants Dorion-Clarke défilaient, de même que leurs cousins et cousines. Mais nulle trace de Jacques Dorion, leur fils avéré. Comme s’il n’avait jamais existé! J’ai ensuite constaté que le texte de son mariage avec Catherine Louise Lovell, célébré à Saint-Ours, le 30 juin 1824, contenait deux éléments troublants, qui me laissèrent songeuse. Premièrement, contrairement au texte narratif que l’on retrouve en général dans un acte de mariage, où les noms des mère et père des époux sont mentionnés, dans ce cas-ci la seule indication au sujet du futur époux est qu’il est un « garçon majeur, médecin en cette paroisse ». Nulle référence à Pierre Dorion non plus qu’à Jane Clarke.
Deuxièmement, on remarque que le marié avait choisi Pierre Dorion comme témoin, futur mari de Cordélia Lovell, et son frère avéré si l’un et l’autre avaient bien les mêmes parents. Comment Pierre Dorion y est-il décrit? Pas comme son frère, mais bien comme son « cousin germain »!
Autre indice : Le répertoire des mariages et des décès de la paroisse de Saint-Ours pour la période 1718-2004 indique ceci au sujet du décès du docteur Jacques Dorion, décédé le 30 janvier 1877 et inhumé le premier janvier 1878 ( voir chapitre 120–Jacques Dorion, un des Patriotes de 1837): « Père et mère non déclarés Ép. : Catherine Lovell ». (Source : Paroisse de Saint-Ours, diocèse de Saint-Hyacinthe, répertoire des décès et sépultures de 1681 à 2004, p. 282).
Tout est là. Clair et non équivoque. Mais non encore résolu!
La solution à l’énigme : dans le testament de la dame aux latrines. C’est en prenant connaissance du règlement de la succession de Marie-Anne Dorion, la dame aux latrines (voir chapitre 110– Marie-Anne Dorion, un sacré caractère), sœur de feu Paul Dorion et tante dudit Jacques, que j’ai pu lever le voile sur les origines de Jacques Dorion. Sentant la mort approcher, ne s’étant jamais mariée et n’ayant elle-même jamais eu d’enfant, du moins officiellement, Marie-Anne Dorion avait rédigé son testament devant le notaire Panet, le 13 novembre 1823, quelques semaines seulement avant de décéder, le 23 décembre 1823, à l’âge de 55 ans.
Précisons d’entrée de jeu que la défunte avait couché sur son testament ses deux frères, Nicolas et Joseph, ainsi que ses nièces et petites nièces, mais aucun de ses neveux et aucune de ses belles-sœurs! Sauf Jacques Dorion, un de ses nombreux neveux, médecin confortablement installé à Saint-Ours, certainement moins dans le besoin que François Dorion, réfugié à Trois-Rivières, ou que Jane Clarke. Pourquoi lui?
Une quittance et une décharge signées par Jacques Dorion. Une quittance, signée en 1824, est qui est partie prenante du règlement de la succession de Marie-Anne Dorion, nous fournit la réponse. Jacques Dorion y reconnaît que sa tante a agi comme sa tutrice et l’a élevé, sans jamais tirer quelque avantage financier que ce soit de ce qu’elle avait administré en son nom. Aux Archives nationales, on a aimablement sorti la dite quittance des boîtes. Munie de gants de coton, soulevant et parcourant délicatement chacune des pages, j’ai pu en prendre connaissance. Signé devant le notaire Panet, le 16 mars 1824, le document indique ceci: « Jacques Dorion, Écuyer, Médecin et Chirurgien demeurant à St-Ours, (…), lequel a par les présentes reconnu et confessé que feue Demoiselle Marie-Anne Dorion sa tutrice, lui a de son vivant rendu compte fidèle et exact de l’administration qu’elle avait eue de ses biens et affaires en qualité de sa tutrice élue en Justice le vingt-six Avril mil-huit cent treize duquel compte le dit comparant était alors, et dont il se déclare encore maintenant parfaitement satisfait et content, reconnaissant que la dite Marie-Anne Dorion ne lui était alors reliquataire d’aucune somme d’argent ni choses quelconques.
C’est pourquoi il acquitte et décharge par ces présentes la succession de la dite feue Marie-Anne Dorion (… ) de toute reddition ultérieure de compte de tutelle et de toutes choses quelconques y relatives. »
Cinq ans plus tard, le 8 octobre 1829, Jacques Dorion signera une décharge finale, acquittant sa défunte tante et tutrice et la succession de celle-ci de toute responsabilité. (décharge signée par Jacques Dorion devant le notaire Panet, acte numéro 3598, Bibliothèque et Archives nationales du Québec).
Marie-Anne Dorion, tutrice de Jacques Dorion, son neveu… Ainsi Jacques Dorion avait bénéficié d’une tutelle créée à son intention, que la défunte avait eue à administrer. Mais pour quels motifs? Que contenait la requête pour la reconnaissance en justice de cette tutelle qui avait été déposée par Marie-Anne Dorion devant les juges de la Cour du Banc du Roi de Québec le 26 avril 1813? Là encore, ce document a été aimablement sorti des boîtes d’archives gouvernementales. J’ai pu le consulter. On y explique que tante Marie-Anne avait été instituée tutrice légale du jeune Jacques, alors âgé de dix ans et étudiant au Petit Séminaire de Québec, au moment de la mort de son frère à elle, Paul Dorion, décédé le 23 novembre 1811, et dont Jacques était le fils naturel.
… fils de Paul Dorion… Paul avait donné pleins pouvoirs à sa sœur Marie-Anne au moment où, vraisemblablement malade, il avait rédigé son testament, le 9 novembre 1809, devant le notaire Jacques Voyer qui s’était rendu à son chevet, dans la maison du couple Rode chez qui Paul Dorion habitait. Dans ce testament, que j’ai également pu consulter, il réaffirme son appartenance à l’Église catholique, apostolique et romaine, indique qu’il a « recommandé son âme à Dieu et le supplie de la recevoir dans le Royaume des cieux lors de sa séparation d’avec son corps ». Avait-il vécu comme un païen? Avait-il mené une vie dissolue pour requérir ainsi la clémence divine? On sait qu’il était célibataire et ne s’était jamais marié. Comment vivait-on, à l’époque, une telle situation? Comme tout cela est plein de sous-entendus!
… qui le reconnaît comme son fils naturel. Paul Dorion désigne Jacques, son « fils naturel », comme légataire universel de ses biens, à l’exception d’une somme d’argent qu’il lègue à Pierre Rode, son exécuteur testamentaire et menuisier de son métier, et à son épouse, dont il vante la bonté et la mansuétude. Il laisse également ses biens meubles et meublants à dame Marie Martin, veuve de Joseph Rode. Je n’ai aucun indice me permettant de comprendre les motifs pour lesquels il habite chez ces personnes, et non chez son frère Joseph ou chez sa sœur Marie-Anne. Ce qui m’intéresse surtout c’est la mention relative au fait que son fils naturel, Jacques, habite chez sa sœur demoiselle Marie-Anne Dorion, comme en fait foi d’ailleurs le Recensement paroissial de 1818. Et qu’il devra être inscrit au Petit Séminaire de Québec pour les six années qui vont de 1810 à 1815 inclusivement, comme en fait foi le registre des inscriptions de l’institution.
L’acte de baptême de Jacques Dorion? Je crois l’avoir trouvé. En fouillant les registres des naissances d’enfants illégitimes, baptisés à la paroisse Notre-Dame- de-Québec, je suis tombée sur l’acte de naissance d’un enfant né de parents inconnus, le 22 novembre 1798. Prénommé « Jacques », il fut porté la journée même aux fonts baptismaux par une sage-femme, du nom de Thérèse Thibaut. Son parrain, qui était suffisamment éduqué pour pouvoir signer son nom, était « Nicolas Trudel », né à Saint-Augustin de Desmaures, le 16 novembre 1755, lui-même fils de Nicolas Trudel. Le même parrain que Pierre Dorion, fils Dorion-Clarke, né quant à lui deux ans plus tôt, en 1796. J’avais trouvé mon Jacques!
Ce qu’il importe de constater c’est que cet enfant semble avoir été, à partir du moment de sa naissance, bien accueilli et traité. On sait qu’il fut donc élevé par sa tante et éduqué au Petit Séminaire. Illégitime peut-être, mais pris en charge et, semble-t-il, aimé.
Un héritage substantiel. Quelle est l’importance des biens que Paul Dorion laissait à ce fils unique, qu’il ne semble pas avoir élevé? Il lui lègue un patrimoine substantiel. D’abord une « maison construite en pierre, à deux étages, sise et située en cette ville de Québec, rue Lamontagne (…) avec ses circonstances et dépendances ». Cette maison sera rachetée plus tard par son frère Joseph, époux de Marianne Cartier. Il lui lègue également le fruit de la vente de trois maisons, avec leurs terrains, situées dans le Faubourg Saint-Jean et dont il s’est dessaisi le 11 décembre et le 29 décembre 1908, donc quelques semaines avant son décès. Les actes notariés, signés devant le notaire Jacques Voyer, nous renseignent sur la localisation des immeubles et des terrains qu’ils comprennent. Ils sont situés sur la face sud de la Nouvelle Rue Saint-Jean. Il en est copropriétaire avec son « frère Nicolas Dorion, cy-devant négociant de cette dite Ville de Québec, demeurant actuellement à Portland dans l’État du Massachussets… ». Les acheteurs sont Paul Thibodeau et François Robitaille. Le prix convenu pour chacune des deux transactions est de 2 300 livres.
Qui était la mère de Jacques Dorion? Qui était la mère de Jacques Dorion? Aucune mention d’elle dans aucun des actes notariés. Se pourrait-il que sa mère ait été Marie-Anne Dorion? Ce qui expliquerait qu’elle l’ait élevé? Auquel cas, le père ne serait pas Paul, son propre frère à elle. Espérons que Jacques, à tout le moins, apprit qui elle était. Nous, nous n’en saurons rien. Mystère.
Consultez l’arbre généalogique des Dorion
Consultez le tableau des descendants de Pierre Dorion et de Jane Clarke