Jacques Dorion, patriote de 1837 (2 de 3)
Un médecin apprécié et un citoyen respecté. Jacques Dorion se révélera un médecin dévoué, qui s’est imprégné des valeurs progressistes de celui qui l’avait formé, le docteur Charles-Norbert Perreault. Il se bâtit une fidèle clientèle à Saint-Ours mais également dans les villages avoisinants de Saint-Denis et de Saint-Charles-sur-Richelieu. Il inspire la confiance. En corollaire, il démontre des valeurs sociales libérales et veut contribuer à faire évoluer la société.
Député de 1830 à 1838 et fondateur de la Société Saint-Jean-Baptiste de Saint-Ours. Ses concitoyens le sollicitent pour qu’il se présente en politique et il accepte. Il est élu et siégera comme député du comté de Richelieu à la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada du 26 octobre 1830 au 27 mars 1838. Pierre-Antoine Dorion, son grand-oncle paternel, fils de Noël Dorion et de Barbe Trudel, y siège lui aussi, comme représentant du comté de Champlain. Les deux se connaissent sûrement, d’autant que Pierre-Antoine Dorion a agi comme co-liquidateur de la succession de Marie-Anne Dorion (voir chapitre 110 Marie-Anne Dorion, un sacré caractère), décédée en 1823, et qui avait à toutes fins pratiques élevé Jacques Dorion.
En cours de mandat, en 1835, Jacques Dorion crée la Société Saint-Jean-Baptiste de Saint-Ours, dont il sera le président pendant plusieurs années.
Une frustration qui croît. Il s’éveille à la chose politique. Et comme plusieurs Canadiens qui se frottent au régime parlementaire qui a cours, sa frustration croît. Le Haut et le Bas Canada sont alors régis par la constitution de 1791, qui concentre entre les seules mains des autorités coloniales britanniques le pouvoir législatif et exécutif. Les députés élus du Bas-Canada ne disposent dans les faits d’aucun pouvoir. Or, ils le réclament haut et fort. La tourmente de 1837 en est la résultante logique.
Les origines de la révolte des Patriotes. La Rébellion de 1837 a été abondamment exposée et sa genèse amplement documentée. Un des premiers moments forts de notre émergence comme nation. C’est le refus obstiné des autorités britanniques de concéder le moindre pouvoir exécutif aux membres élus du Bas-Canada, dont était Pierre Dorion, qui allait faire déborder la coupe. Historiquement, les autorités britanniques avaient manifesté une partialité non dissimulée à l’égard de leurs propres ressortissants au détriment des Canadiens, en excluant ces derniers des postes de responsabilités, en s’attribuant les meilleures terres, en exerçant un monopole sur le commerce. La table était mise pour un affrontement majeur.
La goutte qui fait déborder le vase. Il ne manquait qu’un prétexte pour mettre le feu aux poudres. Il en surgit un, et de taille! Le 6 mars 1837, le dépôt à la Chambre des communes britanniques d’une proposition de Lord John Russell, secrétaire d’État aux colonies, consacrant le refus des autorités britanniques d’accéder aux revendications des parlementaires canadiens, attise la colère. Un mouvement, appuyé sur un raisonnement clair et implacable de rigueur, soit le droit de pouvoir administrer ses institutions, émerge. Ses promoteurs sont des leaders jeunes, lucides et convaincants. Ce sont en plus de bons tribuns. On n’y compte pas que des francophones de souche, mais également des anglophones, irlandais ou écossais d’origine, qui se souviennent que leurs ancêtres ont goûté naguère à la médecine britannique.
La déclaration de Saint-Ours. Jacques Dorion s’investit pleinement dans le mouvement politique de revendication, qui devient rapidement un mouvement organisé d’opposition civile au pouvoir en place. Le 7 mai 1837 se tient à Saint-Ours la première d’une série de grandes assemblées publiques de protestation contre les résolutions Russell. Cette première assemblée est présidée par un ami de Jacques Dorion, Côme-Séraphin Cherrier, député de Montréal. 1 200 électeurs du comté de Richelieu y assistent et réagissent avec enthousiasme aux discours prononcés par les divers orateurs qui y prennent la parole.
L’assemblée adopte une série d’énoncés extrêmement revendicateurs connus sous l’appellation de Déclaration de Saint-Ours. Cette Déclaration servira de canevas à la brochette de résolutions qui seront à leur tour adoptées lors des assemblées qui se tiendront à Saint-Marc-sur-Richelieu, Saint-Laurent, Saint-Hyacinthe, Sainte-Scholastique et Montréal.
Elles dénoncent toutes Lord Russell et les autorités britanniques.
L’effet boule de neige : les 92 Résolutions des Patriotes. Le mouvement gagne en ampleur. On convient de boycotter l’achat de produits et denrées britanniques, qui sont soumis à des droits de douane, ce qui prive le gouvernement de revenus appréciables tout en constituant un symbole tangible d’opposition. Jacques Dorion sera du nombre des signataires des 92 Résolutions des Patriotes et prend officiellement la tête des Patriotes de Saint-Ours.
Lors de l’ouverture de la 4e session du Parlement par le gouverneur Gosford, le 18 août 1837, plusieurs députés arrivent à Québec habillés en Patriotes et arborant la ceinture fléchée. La tenue « paysanne » qu’ils arborent est demeurée ancrée dans l’imaginaire collectif. Mais qu’on ne s’y méprenne pas: les Patriotes ne se réclament pas que de la tradition et du devoir de mémoire. Ils regardent l’avenir. Ce sont des leaders éduqués, libéraux, progressistes qui, à bien des égards, indisposent le clergé qui trouve qu’ils jouent avec le feu.
L’Assemblée adopte le texte d’une adresse au gouverneur dans laquelle elle réaffirme ses prises de position. La réplique des autorités ne se fait pas attendre. Le 26 août, le gouverneur proroge la session. On ne siège plus.
Pression et répression. La pression continue de monter. Les autorités militaires sont sur un pied d’alerte. Les Patriotes et les troupes gouvernementales s’affrontent, dans plusieurs villages, surtout au cours des mois de novembre 1837. Des centaines de militants, notamment des députés, sont arrêtés et emprisonnés. Beaucoup de blessés, et de morts. Une véritable insurrection. Un des affrontements qui reste gravé dans les mémoires est celui de Saint-Eustache où les Patriotes avaient trouvé refuge dans l’église : Les autorités y mettent délibérément le feu et plus de 70 Patriotes sont tués.
Jacques Dorion arrêté et inculpé pour haute trahison. Jacques Dorion est arrêté le 12 décembre 1837 et accusé de haute trahison par le shérif Édouard-Louis-Antoine-Juchereau-Duchesnay. Sa maison de Saint-Ours est pillée pendant son incarcération. On peut visiter la Maison Dorion, au 2583 rue de l’Immaculée-Conception, à Saint-Ours, devant laquelle se tint le 7 mars 1837 la première assemblée des Patriotes.
L’implication et la bravoure de Jacques Dorion lui vaudront d’être considéré comme un des héros de la rébellion. Au grand dam de sa famille immédiate qui considérera qu’il est allé trop loin. La correspondance qu’échangeront les deux sœurs de sa femme, Eliza-Sara, mariée à l’Honorable Joseph-Frédéric Allard, seigneur de Chambly, et Cordélia, mariée à Pierre Dorion, son propre frère, révèlent d’une part la grande affection que les trois sœurs se portaient et leur conviction que le docteur Dorion s’était laissé entraîner : « Ma chère Kitty, J’ai reçu avec plaisir la lettre de cette bonne Eliza, j’avais tant hâte de recevoir des nouvelles, je savais que le docteur était détenu à Montréal, je pensais bien dans quel état tu pouvais être ma bonne sœur. Je sais comme cela doit t’être sensible mais comme tu vois c’est le sort de tous ces hommes qui se sont mêlés de Politique. Mais je t’assure que je n’étais pas bien inquiète pour le Docteur parce que je sais qu’il a trop d’esprit pour s’être laissé entraîner comme tant d’autres. Mais seulement qu’il s’est rendu suspect ayant figuré aux assemblées » (Correspondance de Cordélia Dorion à sa sœur Élisa-Sara, citée par Azarie Couillard-Després, Histoire de Saint-Ours, Montréal 1917, 473 pages, p. 287).
Il faut sauver Jacques Dorion! Même le curé de Saint-Ours, l’abbé Bélanger, s’en mêlera. Voici un extrait de sa lettre adressée au gouverneur du Bas-Canada, début janvier 1838, dans laquelle il implore rien de moins que la grâce de Jacques Dorion : « … Celui qui paraissait le plus coupable à vos yeux était le Dr Dorion, accusé d’avoir fait tirer sur le Steam-boat, et d’avoir assisté à l’assemblée de St-Charles. Quant à l’action du Steam-boat, j’ai prouvé par un écrit adressé aux autorités à Montréal, que le Dr Dorion était parfaitement innocent de cette accusation; qu’il n’était allé au Steam-boat que pour offrir protection. Quant à l’assemblée de St-Charles, il en a refusé la vice-présidence, il n’a pris part à aucune résolution, qui ne disait rien en elle-même. En un mot, je crois, sur ma conscience et mon honneur, le Dr Dorion trop franc et trop honnête pour avoir jamais voulu être un traître ou un rebelle. Je puis, sans hésiter, me rendre sa caution, que jamais dans la suite on ne pourra l’accuser de déloyauté envers son gouvernement, m’engageant à le dénoncer aux autorités aussitôt que je le verrais forfaire à son devoir de sujet loyal et fidèle.» (Correspondance de l’abbé Bélanger au gouverneur du Bas-Canada, citée par Azarie Couillard-Després,dans Histoire de Saint-Ours, op. cit., p. 291).
Sauvé par sa belle-famille! Jacques Dorion sera libéré le 3 mars 1838 grâce à l’intervention de François-Roch-de-Saint-Ours, seigneur de Saint-Ours et son cousin par alliance. Après avoir pendant quelques années soutenu Papineau, le leader des Patriotes, François-Roch de Saint-Ours, reconnu pour être un modéré qui privilégiait la négociation plutôt que la violence, avait pris ses distances à l’égard du mouvement. Il était même devenu shérif et directeur de la prison de Montréal.
Les tentatives des uns et des autres en vue de démontrer que Jacques Dorion n’a jamais réellement voulu contester les autorités sont presque gênantes. Une belle entreprise de sauvetage et de récupération qui n’a rien d’impressionnant! D’autres Patriotes n’auront pas la même chance que Jacques Dorion. Ils croupiront un certain temps en prison, seront exécutés ou exilés. Lui, pas.
La vie reprend son cours. La paix reviendra petit à petit, à la faveur des timides concessions des autorités britanniques. Jacques Dorion rentrera dans le rang, comme le souhaitait sa famille immédiate, et deviendra un citoyen exemplaire. Il poursuivra sa carrière de médecin et de juge de paix à Saint-Ours. Le 18 septembre 1838, il sera nommé Commissaire de la cour itinérante qui jugeait les Petites Causes dans la paroisse de Saint-Ours.
De nombreux enfants. Catherine-Louise Lovell et Jacques Dorion auront onze enfants dont sept décéderont en bas âge ou dont le destin demeure imprécis :
– Catherine-Élizabeth (14 avril 1825- ???);
– Pierre-Alexandre (24 janvier 1829-ler août 1829);
– Thomas (9 juin 1834-12 août 1835)
– Cordélia (11 mars 1838-11 septembre 1839);
– Elaiza (1836-16 mars 1840);
– Caroline (ler avril 1843- ???);
– Eugénie (12 août 1847-16 août 1847).
Ceux qui passeront le cap de la petite enfance feront de brillantes carrières :
– Edmond-Jacques (3 juin 1827-18 juillet 1848), médecin et journaliste;
– Eugène-Philippe (6 août 1830-ler juillet 1872), juriste et chef des traducteurs français aux Communes;
– Dominique-Charles-Frédéric (28 avril 1840-27 décembre 1901), avocat à Sorel et juge de district;
– Joseph-Adolphe (1832-24 octobre 1900), notaire, coroner et juge de paix ainsi que député et conseiller législatif. Il épousera Henriette-Amélie-de-Saint-Ours, fille du seigneur de Saint-Ours.
Détail savoureux. Marie-Amélie-Catherine Dorion, petite-fille de Jacques Dorion, épousera en 1900 Joseph-Georges-Elzéar Taschereau, seigneur de la Beauce. Leur fils Eugène-Alexandre Dorion, agronome de son métier, fera quant à lui officiellement changer son nom, de Dorion à Dorion de Saint-Ours (arrêté en Conseil du 26 mars 1902). On est loin du métier traditionnel des Dorion, soit celui de boucher!
Un portrait de Jacques Dorion. Il existe un portrait de lui au fusain qui a été reproduit dans un numéro du périodique l’Opinion publique, un hebdomadaire à tendance libérale fondé par G.E. Desbarats et J.A. Mousseau et publié à Montréal. Il s’agit d’un numéro consacré aux héros de 1837 (Vol. 9, no.6, du 7 février 1878, p. 63), publié en 1878. Une partie du numéro lui est consacrée, notamment la page deux au complet. On résume sa carrière, son engagement, son caractère déterminé mais attachant.
Un Registre paroissial révélateur… Jacques Dorion décède 30 décembre 1878 et est inhumé le premier janvier. Selon l’acte d’inhumation, extrait du greffe de Sorel, il a soixante-dix-sept ans. Il serait donc né en 1801 et non en 1797 comme le croient ses biographes. Mais surtout une mention dans le registre paroissial de Saint-Ours, au sujet de l’identité de ses parents, mérite qu’on s’y arrête : « père et mère non déclarés ».
Consultez l’arbre généalogique des Dorion
Consultez le tableau des descendants de Pierre Dorion et de Jane Clarke