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117 – François Dorion et ses descendants, la fin d’une tradition

11700On a vu au chapitre précédent que François Dorion et Magdelaine Albreck croulaient sous les dettes. Ils quittèrent Québec vers les années 1842 et s’installèrent à Trois-Rivières, où ils finiront leurs jours. Un repli stratégique voulu ou obligé. Ils y rejoignirent leur fils cadet, François-Pierre, né en 1826 à Québec, qui y exerçait, le contraire nous eût étonné, le métier de boucher!

La tradition se poursuivra donc, mais en Mauricie. On continuera d’être boucher de père en fils et en plus on attribuera immanquablement les mêmes prénoms aux garçons : François, Pierre ou une combinaison des deux!

Une cinquième génération de bouchers chez les Dorion. Le 12 juin 1849, François-Pierre Dorion avait épousé Georgine Betté ou Bettez, fille mineure de Frederic Beaty, anglophone, cultivateur et vraisemblablement de confession protestante. Sur l’acte de mariage, célébré selon le rite catholique, il est mentionné que le marié, majeur, exerce le métier de « boucher ». Et que son père, François Dorion, l’est également. Ce qui semble indiquer que ce dernier, âgé maintenant de cinquante-cinq ans, est demeuré professionnellement actif.

L’enracinement à Trois-Rivières se confirme. Les données du recensement fédéral de 1851 pour l’est du Canada nous confirment que François-Pierre exerce le métier de « boucher » et que sa femme et lui sont déjà les parents d’un enfant, né en 1850. Quel est le prénom de cet enfant? Pierre!  

Toujours selon les données du même recensement, François Dorion et Magdelaine Albreck, déclarent habiter eux aussi à Trois-Rivières mais à une autre adresse que leur fils. Deux de leurs filles vivent avec eux : Euphémie, âgée de vingt ans, qui épousera le 3 mars 1862 Louis Lampron, un menuisier. Et Cordélia, âgée de seize ans, qui épousera le 26 mars 1874 Adolphe Larue, cultivateur. Quel est le métier déclaré de François Dorion? Boucher !

On note que les filles du couple Dorion-Albreck marient ainsi des garçons issus d’un milieu plus humble que celui dont provenaient leur père ou les frères de celui-ci. Des gens moins éduqués également, et dont la plupart seront incapables d’apposer leur signature au bas de leur acte de mariage.

La Mauricie, une région en pleine expansion. La Mauricie connaissait depuis le début des années 1850 un essor économique certain grâce au développement de l’industrie forestière. L’exploitation de la forêt avait pris son envol. La demande en provenance du pays voisin, les États-Unis, qui faisait face à un afflux important d’immigrants et à une demande de bois pour la construction de maisons pour ces nouveaux arrivants, était forte.

L’industrie forestière d’ici devait se moderniser. Voilà pourquoi le gouvernement provincial annonce en 1850 l’amorce de travaux d’aménagement et d’harnachement de la rivière Saint-Maurice. L’objectif est de faciliter l’acheminement (la « drave ») du bois en provenance des chantiers de la région vers Trois-Rivières, grâce à l’aménagement d’estacades et de glissades sur la rivière. À Trois-Rivières même, les moulins à bois et les scieries se multiplient et la technologie se modernise. Si bien qu’en 1860 la Mauricie est devenue le deuxième centre forestier de la province.

11706Ce n’était donc pas une mauvaise décision pour un jeune boucher que de s’installer à Trois-Rivières. Mais notre Pierre n’était pas le seul à y exercer ce métier! Son nom figure dans le Guide Rowen de la cité et du district de Trois-Rivières pour 1867-1868, de même que celui de six autres confrères bouchers! Son commerce était situé rue Bonaventure, une rue commerçante du centre-ville.

Quatorze enfants qui décèdent tous en bas âge! François-Pierre Dorion et sa femme Georgine concevront de nombreux enfants, mais qui mourront à peu près tous nourrissons ou en très bas âge. J’en ai dénombré quatorze!

  • 1-François-Pierre (11 septembre 1850-17 septembre 1853);
    2-Eugène (28 juillet 1852- date du décès incertaine);
    3-Georges-Raphaël (25 octobre 1853-ler février 1854);
    4-Henry-Paul (27 janvier 1859- 27 avril 1859);
    5-Joseph-Théophile (10 janvier 1860-5 mars 1860);
    6-Louis-Arthur (3 février 1861-9 juillet 1861);
    7-Marie-Amanda (2 août 1862-9 août 1862);
    8- Jean-Baptiste (24 juin 1863- 28 juin 1863);
    9-Wilbrod-Alexis (17 juillet 1864-19 juillet 1864);
    10-Joseph-Albert (12 juillet 1865- 18 août 1865);
    11-Marie-Rose-Emma (25 septembre 1866-29 septembre 1866);
    12-Joseph-Édouard-Napoléon (22 janvier 1868-6 février 1868);
    13-Marie-Émélie-Clara (5 février 1869-15 février 1869);
    14-François-Xavier-Eugène (8 mars 1873-22 mars 1873).

Georgine menait à terme chaque grossesse, perdait en général son enfant dans les deux mois suivant sa naissance, puis redevenait immédiatement enceinte. Elle devait être épuisée. Mais, ce faisant, se conformait aux prescriptions de l’Église. Seul Pierre-François Onésique, Onésiphore et Marie Victorine, ou Mary survivent. Marie-Victorine épousera Charles Dion, de Trois-Rivières, barbier puis tailleur, le 26 avril 1876, mais décédera le 24 octobre 1889, à l’âge de 31 ans.

On sait qu’à cette époque il était plus fréquent qu’aujourd’hui que des enfants décèdent en bas âge. Mais dans le cas du couple Dorion-Albreck, qui avait lui-même perdu de nombreux enfants (voir Chapitre 116) et surtout dans celui du couple Dorion-Betté, il y a de quoi s’interroger. Était-on porteur d’une maladie génétique qu’on se transmettait d’une génération à l’autre?

Mort de François Dorion et de Magdelaine AlbreckQu’advint-il du couple Dorion-Albreck? François Dorion mourut le 14 décembre 1860, à Trois-Rivières. Il y eut un rapport du coroner, qui conclut à une mort subite. Il en est fait mention dans l’acte de décès. Signe, sans qu’on en sache davantage, que le décès survint de façon inopinée et, possiblement, dans un lieu autre que leur domicile. Sa femme, Magdelaine, lui survivra treize ans et décédera le 24 mai 1873, à l’âge de 73 ans.

Une sixième génération de bouchers chez les Dorion. Le fils aîné de Pierre Dorion et de Georgine Betté, François-Pierre-Onésiphore, dénommé Pierre, poursuivra la tradition familiale et deviendra boucher à son tour! Il épousera le 18 mai 1870 Adeline Descoteaux, âgée de dix-huit ans et originaire de la région. Là encore le père et le fils déclareront être bouchers. Ils auront au moins quatre enfants, tous nés à Trois-Rivières, dont Pierre-François-Onésiphore, né le 28 juin 1871. Sur le registre de leur mariage et sur chacun des actes de baptême des enfants, on désignera immanquablement la profession du père comme étant celle de  « boucher ». 

La tradition se perd… Puis on constate en consultant les données du recensement fédéral de 1891 que le couple Dorion-Descoteaux est maintenant installé à Montréal, dans le quartier Hochelaga. Le métier de Pierre-François-Onésiphore? Boucher, cela va sans dire! Le couple déclare avoir huit enfants qui habitent le domicile familial. Leur fils Pierre-François-Joseph-Onésiphore, âgé de vingt ans, déclare être chauffeur et leur fils Henri, seize ans, plombier. Adeline décédera le 17 mars 1928 et sera inhumée dans le cimetière de l’est de Montréal. Son mari, Pierre Dorion, désigné comme « artisan », lui survivra jusqu’au 12 mai 1936, alors qu’il décède à l’âge de quatre-vingt-six ans.

Savait-on d’où l’on venait? C’est ainsi que prendra fin, dans une relative obscurité, l’exercice d’une profession chez les Dorion, celle de boucher, transmise sur plusieurs générations et qui remontait aux débuts de la Nouvelle-France.

La persistance manifestée par François Dorion et ses descendants à choisir les mêmes prénoms pour les fils aînés et à poursuivre dans la pratique d’un métier dont ils n’hésitaient pas à se réclamer est pourtant assez remarquable. En même temps force est de constater que socialement ils ne gravissent pas les échelons mais au contraire rejoignent des couches plus humbles de la société.

Que connaissaient-ils de leurs origines? Savaient-ils que le prénom de « Pierre » remontait jusqu’à l’ancêtre Pierre Dorionne (Chapitre 100, Pierre Dorionne, le premier de cordée) ? Que depuis Jean-Marie Dorion et en descendant jusqu’à eux on avait été bouchers? Et qu’ils étaient les seuls du clan Dorion à avoir porté le flambeau, pour ne pas dire le couteau, de la profession? Questions qui demeureront pourtant sans réponse.

Une branche de la famille occultée? J’avoue avoir ressenti, en compulsant les documents qui les concernent, un malaise, pour ne pas dire une pointe de culpabilité, en réalisant combien cette branche de la famille Dorion aura été rayée de la mémoire collective des Dorion et des Bédard. Pourquoi ne parlait-on jamais d’eux dans ma famille? Les avait-on délibérément occultés de la mémoire familiale ou s’étaient-ils d’eux-mêmes éloignés? Enfant, je n’ai jamais entendu tante Élizabeth ni ma grand-mère Mathilde mentionner quoi que ce soit au sujet de cette famille Dorion de Trois-Rivières. Était-ce parce ses membres n’étaient pas assez bien au plan social? La chose ne m’étonnerait pas!

J’ai en revanche entendu parler à maintes reprises de Peter Dorion, marchand à l’aise de Québec, celui-là même qui était devenu le débiteur de son frère François et de Magdelaine Albreck, et dont nous parlerons au prochain chapitre.  Et tout autant de Jacques Dorion, frère des deux autres, médecin et héros des soulèvements de 1837, dont on parlera dans un chapitre ultérieur. Deux personnages incontournables, on doit le reconnaître. Et qui, pour reprendre une expression consacrée, portaient haut.

Consultez l’arbre généalogique des Dorion
Consultez le tableau des descendants de Pierre Dorion et de Jane Clarke
118 - Peter Dorion, du sommet jusqu’à la déchéance

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