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115 – Le legs de Jane Clarke reflète bien une société en mutation

Comme on l’a vu au chapitre 113, Pierre Dorion et Jane Clarke avaient eu quatre enfants avant leur mariage. De ce nombre, seule Nathalie (mon arrière-arrière-grand-mère) a survécu et passé le cap de la petite enfance. Elle devient ainsi l’ainée des sept enfants du couple. Savait-elle même qu’elle était illégitime? On peut en douter.

Seule avec sept enfants à élever. Qu’advint-il de Jane Clarke et de ses enfants, suite à l’internement de son mari puis à son décès en 1810? Elle se retrouvait seule avec sept enfants à élever :

  • – Nathalie, née en 1793;
  • – François, né en 1794 (chapitre 116);
  • – Pierre, né en 1796;
  • – Jacques, né en 1797;
  • – Marie-Anne, née en 1799;
  • – Julie, née en 1801;
  • – Joseph, né en 1804.

Jane Clarke éleva-t-elle ses enfants seule? On ignore si Jane Clarke éleva seule ses sept enfants, à partir de l’internement de Pierre Dorion en 1804 puis de son décès en 1810. En 1804, l’aînée, Nathalie, n’avait que dix ans. Et le plus jeune, Joseph, était un nourrisson. Elle ne semble pas avoir été hébergée par Marie-Anne Dorion, sa belle-sœur, qui avait pourtant hérité de la maison familiale, suite au décès de François Dorion en 1806 précédé par celui de Nathalie Trudel en 1805. Comment une femme sans conjoint, sans revenus, sans aide de l’État comme on peut en recevoir aujourd’hui réussissait-elle à survivre? La plupart des veuves de l’époque se remariaient, rapidement d’ailleurs. Cela ne semble pas avoir été son cas. Mystère.

Elle décède en 1845. Il ne semble pas qu’elle se soit remariée. Encore que… Le 5 octobre 1832, à Québec, un certain William Lacken, « bachelor », avait bien épousé selon le rite presbytérien une dénommée Jane Clarke, qualifiée de « veuve ». S’il s’agit bien d’elle, elle avait soixante-quinze ans au moment de son remariage! Ce qui semble peu probable, d’autant qu’elle décédera le 23 décembre 1845 des suites d’une longue maladie, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, selon ce qu’écrit La Gazette de Québec. On mentionne qu’elle est la veuve de Pierre Dorion et qu’elle a été au cours des quinze dernières années affectée d’une grave maladie qu’elle a supportée avec « a christian fortitude ». Ses funérailles seront célébrées selon le rite catholique, dans la paroisse Notre-Dame-de-Québec, à deux pas de la rue Buade, le fief des Dorion.

Des enfants qui prennent tôt leur envol. Impossible donc de déterminer quelle fut l’existence de cette femme et de ses sept enfants, entre 1804 et 1818, et après. On indique dans le Recensement paroissial de 1818 qu’elle habite rue D’Aiguillon en compagnie de son fils de quatorze ans, Joseph. Celui-là même qui était né le jour de l’internement de Pierre Dorion. Elle déclare avoir alors cinquante-et-un an, ce qui signifie qu’elle serait née en 1767. Mais aucun autre de ses enfants, sauf Joseph, ne vit avec elle.

Toujours selon le Recensement, son fils François est inscrit comme résidant lui aussi rue D’Aiguillon mais chez ses beaux-parents (les Albreck). Deux autres des enfants de Jane Clarke, soit Jacques et Julie, qui sont célibataires, habitent chez leur tante Marie-Anne (la dame aux latrines), rue Buade. Pierre, lui aussi célibataire, habite Côte de la Montagne, chez son oncle Joseph Dorion, qui est marchand et marié à Marianne Cartier. Marie-Anne (à ne pas confondre avec sa tante, qui porte le même prénom) habite également rue Buade, mais chez son mari, qu’elle vient d’épouser : Thomas Cary. Sa sœur aînée, Nathalie, mon arrière-arrière-grand-mère, qui est encore célibataire, habite chez le jeune couple.

Il est ensuite fait mention dans le Recensement de 1825 d’une « veuve Clarke », habitant le quartier Saint-Roch dans une maison (non identifiée) dont elle serait propriétaire. Mais encore?

Relations entre Jane Clarke et ses enfants : distantes? Difficile de ne pas remarquer qu’aucun de ses enfants, surtout les fils, ne signera l’acte d’inhumation de leur mère, en décembre 1845. Les six signataires sont sans doute des amis ou des personnes qui la connaissaient et l’estimaient. Ceci, en plus du commentaire élogieux qui paraît sur elle dans La Gazette de Québec, semble indiquer qu’elle était respectée et relativement connue. Mais qu’en était-il de l’affection que lui portaient ses enfants ou ses beaux-frères et belles-sœurs par alliance? Là encore, mystère.

L’examen des certificats de baptême des nombreux petits-enfants dont elle est la grand-mère biologique nous révèle qu’en aucune occasion son nom n’est mentionné comme marraine de l’un d’entre eux.

Cap sur la diversité. Quel que soit le bagage que Jane Clarke traînait avec elle et quelle qu’ait été la qualité de la relation qu’elle entretenait avec ses enfants, il est indéniable qu’avec son arrivée dans la famille une nouvelle fenêtre d’opportunités, pour les Dorion et pour les enfants qu’elle enfantera, s’ouvre. Avec elle la diversité s’installe dans la famille. Tous ses enfants feront « de bons mariages », pour reprendre l’expression consacrée. Certains se marieront selon le rite protestant, mais à Québec, avec des anglophones, britanniques ou irlandais. D’autres choisiront de le faire mais selon le rite catholique, soit avec des francophones, soit avec des anglophones. Il semble qu’à l’époque la tendance était de se marier selon la confession à laquelle appartenait l’époux, quand le couple était de provenance mixte.

Qu’advint-il de Joseph, né en 1804? Le seul dont la destinée demeure une énigme est Joseph, celui-là même né le jour de l’internement de son père. Même Pierre-Georges Roy, dans ses notes manuscrites sur la famille Dorion conservées aux Archives nationales, déclare forfait et n’indique que la date de sa naissance. Se pourrait-il qu’il soit demeuré handicapé suite à de mauvais traitements que lui aurait infligés son père le jour de sa naissance? Ou qu’ayant été élevé par sa mère et étant demeuré coupé du reste de la famille, il ne se sentit jamais partie du clan, et inversement?

Joseph serait-il François Dorion, aux contours incertains? J’ai compulsé des centaines, voire des milliers de dossiers émanant du fonds Drouin sur Ancestry à la recherche de ce Joseph Dorion. Aucune trace d’un mariage ou d’une inhumation à son nom. Mais un avis de décès, en provenance de la paroisse Notre-Dame-de-Québec et pour le moins ambigu, a piqué ma curiosité. Il porte sur un certain François Dorion, journalier, décédé le 27 janvier 1848 à Québec, donc trois ans après la mort de Jane Clarke. Bien que son nom de famille soit révélé on indique qu’il est « de parents à nous inconnus ». Aucun témoin autre que le fossoyeur et le prêtre officiant ne signe le registre. Une telle formulation, qui souffle à la fois le chaud et le froid, a de quoi étonner. De plus, elle ne reflète pas les normes de rédaction de l’époque. Car quand on était né de parents inconnus, on ne portait pas de nom de famille. Pourrait-il s’agir du plus jeune fils du couple Dorion-Clarke, qu’on avait rejeté ou qui s’était rejeté lui-même?

Un melting pot représentatif de l’époque? Les fils réussiront bien au plan professionnel, à l’exception de l’aîné, François, qui éprouvera des difficultés financières. Certains des enfants de Jane Clarke s’installeront à Québec. Mais d’autres quitteront la ville, sinon le pays. Tous parlaient vraisemblablement autant l’anglais que le français. Un melting pot qui reproduit parfaitement à bien des égards ce qui se passait dans la société de cette ville de Québec, colonisée d’abord par des francophones mais dont une portion importante, et masculine, de sa population à partir de 1760 sera anglaise, écossaise, irlandaise. Beaucoup d’hommes à marier! D’ailleurs, Marie-Anne, Julie et Nathalie, les trois filles du couple, épouseront des anglophones, notables de surcroît.

Et tout cela simultanément, sur une seule génération! Quel déblocage! Il suffit de mettre côte à côte sur un tableau les alliances matrimoniales et les choix professionnels des enfants de Jane Clarke pour prendre d’un seul coup d’œil la pleine mesure de la diversité qu’ils représenteront! J’ai de la difficulté à l’imaginer en femme chauvine et réactionnaire!

Nous consacrerons au cours des prochaines semaines un chapitre à l’itinéraire personnel et professionnel de chacun des enfants de Jane Clarke. Quelques trouvailles intéressantes nous y attendent!

Réf. : Pour vous y retrouver avec la famille Dorion, consultez l’arbre généalogique des Dorion
116 - François Dorion poursuit la tradition...

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