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113 – Quatre enfants, nés avant mariage, qui n’existent pas

On a vu au chapitre 112 que Pierre Dorion et Jane Clarke avaient présenté à l’église, à l’occasion de leur mariage célébré le 19 mai 1794, leurs quatre enfants : Mavis (ou Marie), Barbe, Geneviève et Nathalie. Qu’advint-il d’elles? Et d’abord : quel était leur statut juridique?

Enfants anonymes, légitimes, adultérins et illégitimes. En Nouvelle-France, et après la conquête, en ce qui concerne le statut juridique des enfants, tous les cas de figure existaient. Les enfants nés de mariages célébrés en bonne et due forme étaient qualifiés de « légitimes ». Comme le taux de mortalité infantile était élevé et que dans la foi catholique un nouveau-né qui n’avait été ni ondoyé ni baptisé ne pouvait accéder au paradis, les sages-femmes ondoyaient à domicile les nouveaux nés dont la survie était problématique. Si on en avait le temps, le nourrisson était porté devant les fonts baptismaux où le curé le baptisait avant qu’il ne décède. On qualifiait ce nouveau-né, dans le registre de baptême, qui constituait en corollaire un certificat de décès, d’ « anonyme ». Les noms de ses parents étaient cependant indiqués, puisque l’enfant était « légitime ».

Malgré les pressions exercées par le clergé catholique qui essayait d’obliger les habitants à se marier devant l’Église, un enfant sur cinquante en Nouvelle-France était né hors mariage, selon les données révélées par Claude Lavoie sur le site de la Société de généalogie de Saint-Eustache. Il avait alors le statut d’ « illégitime ». Ceux nés de la relation entre deux personnes, dont l’une était mariée, étaient considérés comme « adultérins », et tout autant « illégitimes ».

Dans les registres de baptême de l’époque, quand un enfant « illégitime » était présenté à l’Église afin d’être baptisé, seul son prénom était indiqué. Les noms des parents n’étaient jamais fournis. Avec de la chance, les noms et prénoms du parrain et de la marraine étaient indiqués, ce qui constituait en général un bon indicateur de l’identité de la famille biologique de l’enfant. Si celui-ci était ainsi présenté à l’Église, c’est parce qu’on allait l’élever au sein de la famille ou du clan. J’ai précédemment mentionné (voir Chapitre 59, Joseph-Urbain et Olivette Bédard mes arrière-grands-parents) la naissance au sein de la famille Bédard, en 1820, d’une enfant illégitime portée devant les fonts baptismaux par Jean-Baptiste Bédard et Françoise Pageot, laquelle était la mère de mon arrière-grand-père paternel.

Les enfants dont les familles ne voulaient pas étaient abandonnés à la crèche, ou déposés à l’Hôtel-Dieu de Québec, qui disposait d’un système de guichet anonyme. Ce ne fut pas le cas des quatre enfants du couple.

Les enfants illégitimes n’existent pas. Les généalogistes omettent souvent délibérément de mentionner les noms d’enfants nés hors mariage. Le généalogiste P.G. Roy, dont quelques notes manuscrites relatives à la généalogie des Dorion ont été conservées aux Archives nationales du Québec, reconnaît l’existence de quatre enfants préalablement au mariage du couple Dorion-Clarke, mais les qualifie d’ « illégitimes ». Au moins, les quatre fillettes existent à ses yeux!

En revanche, dans un article, fort documenté par ailleurs, dont il est également l’auteur et qui fut publié dans The French Canadian and Acadian Genealogical Review (Genealogy and Family History, the Dorion Family in Canada, éditions Quentin, Québec, 1971, vol III, numéro 3, pp. 151 à 179 incl.) il passe complètement sous silence les quatre enfants nés avant mariage du couple. Ils sont absents de la nomenclature. Seuls sont énumérés ceux nés après le mariage.

Le déni de l’existence de ces quatre fillettes m’a laissée songeuse. D’où venaient-elles? Qu’advint-il d’elles? La chose m’intéressait d’autant que je descends directement de la dernière des filles « illégitimes » du couple, Nathalie!

Mavis et Barbe, décédées à Québec. Je n’ai pu retracer la preuve de la naissance ni de Mavis, ou Marie, ni de Barbe, du moins à Québec. Mais celle de leur décès à l’une et à l’autre, survenu le 28 octobre 1796 pour Mavis et le 8 septembre 1794 pour Barbe, donc dans les mois qui ont suivi le mariage du couple Dorion-Clarke, a été dûment consignée dans le registre des décès de la paroisse Notre-Dame-de-Québec. Dans un cas comme dans l’autre l’acte indique qu’elles sont les filles de Pierre Dorion et de Geneviève Clarke. On est ainsi sûr qu’elles sont décédées à Québec, mais sans détenir la preuve qu’elles y soient nées!

Mon sentiment est qu’elles n’étaient pas nées ici et que, comme leur mère, elles venaient d’Irlande. Et qui était leur père biologique? L’annexe manquante (voir chapitre 112) nous aurait sans doute fourni la réponse.

11302Geneviève et Nathalie, nées à Québec. J’ai retrouvé ce qui me semble constituer les preuves de la naissance de Geneviève et de Nathalie, les deux plus jeunes filles du couple, à Québec.

Il y a d’une part l’acte de baptême d’une fillette illégitime, née de parents inconnus, le 22 mai 1791 et baptisée le 27 mai à la paroisse Notre-Dame-de-Québec. Dénommée « Geneviève », sa marraine est une certaine Marie Gagnon, épouse Miville. Puis j’ai mis la main sur un deuxième acte de baptême, celui d’une autre fillette illégitime, née elle aussi de parents inconnus, le 11 mars 1793 et baptisée «Nathalie» le même jour, toujours dans la même paroisse. La marraine est, là aussi, Marie Gagnon. Comme les naissances ont eu lieu dans la paroisse Notre-Dame-de-Québec, que les dates des naissances correspondent à l’âge déclaré des deux fillettes par le couple Dorion-Clarke lors du mariage, que les prénoms coïncident, et que la marraine est la même personne dans les deux cas, je crois qu’il s’agit des deux plus jeunes filles du couple.

Geneviève, un destin inconnu. Je perds ensuite la trace de Geneviève, la troisième du quatuor. Je n’ai trouvé aucune information pertinente à son sujet. Mourut-elle en bas âge elle aussi, sans qu’on ait pu mettre la main sur le certificat attestant du décès? Possible. Le noir complet. Il ne reste que Nathalie.

Nathalie, mon arrière-arrière-grand-mère. Donc, des quatre fillettes nées avant le mariage de Pierre Dorion et de Jane Clarke, une seule semble avoir passé le cap de la petite enfance. Il s’agit de Nathalie, mon arrière-arrière-grand-mère paternelle.

Elle sera élevée au sein de la famille Dorion-Clarke, avec les autres enfants légitimes que produira le couple, et dont nous parlerons abondamment au cours des prochains chapitres. N’en déplaise aux généalogistes, elle aura une vie bien remplie, trop même aux goûts de certains! Mariée deux fois, la seconde fois alors que son premier mari est toujours bien vivant et que le divorce n’existe pas… Marchande publique, comme bien des femmes du clan Dorion. J’ai suivi sa trace jusqu’à Natchez, Mississippi, où elle décédera le 28 août 1843, y laissant une enfant orpheline : Mary-Anne O’Neill, mon arrière-grand-mère paternelle, qui sera la mère de Mathilde, ma grand-mère paternelle, donc la grand-mère de mon père.

Réf. : Pour vous y retrouver avec la famille Dorion, consultez l’arbre généalogique des Dorion
114 - L'internement de Pierre Dorion

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