Sait-on exactement où était située la maison de Marie-Anne Dorion, rue Buade? Nous disposons de beaucoup d’éléments qui nous permettent de la localiser, par recoupement d’indices et d’informations. Sa résidence, ainsi qu’une maison dans laquelle elle gardait des logeurs, étaient situées à l’extrémité est de la rue, devant la Côte de La Montagne, dans une section qui a été complètement rasée en 1904 pour dégager la perspective dans le cadre de l’érection d’un monument à la mémoire de Mgr de Laval. Nulle esquisse ou photo de la maison, dûment identifiée, n’a survécu.
Rappelons pour mémoire que la maison lui avait été léguée par ses parents, François Dorion et Nathalie Trudel, le 30 avril 1805, quelques mois avant le décès de cette dernière. Eux-mêmes l’avaient acquise le 16 août 1777 d’un dénommé Pierre Lachaume, en vertu d’un acte notarié passé devant le notaire Panet.
La rue Buade dans les années 1804. À l’époque où Marie-Anne hérite de la propriété de ses parents, la rue Buade va de la façade du collège des Jésuites (1) (aujourd’hui démoli et remplacé par l’Hôtel de Ville) jusqu’au Palais épiscopal (5), en longeant la basilique (2). C’est une rue de commerçants et d’imprimeurs. Le Palais épiscopal, lui, est érigé au sommet de la Côte de La Montagne. Le plan relief de Québec dressé par l’arpenteur et cartographe Jean-Baptiste Duberger, en 1804, nous permet d’apprécier à sa juste mesure la disposition des maisons qu’on y trouvait, ainsi que leur hauteur. Celles qui étaient situées à l’extrémité est, vers la Côte de La Montagne, étaient plus hautes et semblaient créer une sorte d’étau. La propriété de Marie-Anne Dorion était située dans cette section. Comment le sait-on?
À proximité de la Porte Prescott. Le recensement de 1818, effectué par la paroisse Notre-Dame-de-Québec nous indique que sa propriété était sise au numéro 23 (numérotation de l’époque), à l’intersection de la rue Buade et de la Côte de la Montagne (3). Marie-Anne était de plus propriétaire d’un immeuble adjacent à sa résidence, où elle gardait des chambreurs, et qu’elle mettra en vente quelques mois avant son décès. En effet, dans une annonce qu’elle fera paraître le 2 avril 1821 dans La Gazette de Québec, elle décrit cette propriété comme spacieuse et bien située, « near Prescott Gate, well adapted for commercial purposes ». La Porte Prescott était située dans la partie supérieure de la Côte de la Montagne (6).
Vis-à-vis l’évêché… Suite au décès de Marie-Anne Dorion, sa maison sera mise en vente par les deux liquidateurs qu’elle avait désignés, son frère Joseph Dorion et son cousin Pierre-Antoine Dorion. Elle sera rachetée en 1824 par Charles Jourdain, qui était un parent éloigné des Dorion et, peut-être, plus qu’un simple ami de la défunte…On ne dispose pas de la séquence de la chaîne de titres après cette date.
Le rapport de règlement de la succession nous renseigne sur la localisation de la propriété. On y apprend qu’elle était de pierre, comportait des dépendances et était située devant l’évêché (ou palais épiscopal): « Un immeuble et les terrains entre la rue Buade et la Côte La Montagne, vis-à-vis l’évêché, va du pignon sud-ouest de la maison de Michel Clouet à aller au terrain des pompes bornes par devant à la rue Buade, par derrière au niveau de la rue Lamontagne, vers le sud -ouest au dit Michel Clouet avec qui le pignon de ce côté est mitoyen, et d’autre côté vers l’est au terrain des pompes, avec ensemble une maison construite en pierre circonstances et dépendances » (Inventaire des biens de la succession de feue Dorion déposé au greffe du notaire Louis Panet, le 10 février 1824, numéro 1002, page 21).
… et à proximité du local de la pompe à incendie No 1. La maison de Marie-Anne (3) était donc adjacente au local de la pompe No1 (4), du côté est. P.G. Roy décrit, dans en ces termes en quoi consistait cette pompe : « Dans la maison des pompes No1, qui se trouvait près de la porte Prescott, dans la côte La Montagne, on conservait une pompe qui appartenait à la compagnie d’assurances L’Alliance. Les accessoires, qui étaient également propriété de l’Alliance, consistaient en un traîneau, une paire de mémoires, dix-neuf seaux, quatre boyaux, deux gaffes, une torche, deux échelles pour monter au grenier, quatre barriques pour charroyer l’eau, et deux bouts de boyaux de succion. » (Le Bulletin des recherches historiques, vol. XXXI, janvier 1925, p. 99)
À l’époque, la ville de Québec ne disposait que de dix pompes à incendie. Il s’agissait de mécanismes rudimentaires à bras et non à vapeur. Le moindre sinistre par le feu causait d’importants dommages, détruisant souvent des quartiers entiers. La présence de bois, dont on se servait pour chauffer les maisons et qu’on entassait dans les cours, ainsi que celle de fourrage pour nourrir les chevaux, n’aidait certainement pas. Quand un feu se déclarait, les risques de propagation étaient élevés. Le fait d’habiter à proximité d’une pompe constituait certainement un atout.
La maison de Michel Clouet est voisine de celle de Marie-Anne (7). Un plan d’arpentage réalisé en 1831 par Joseph Hamel et Jos. Rosa, à la demande des autorités du Bas-Canada qui projetaient d’acquérir le Palais épiscopal afin d’y installer le Parlement du Bas-Canada, est encore plus éclairant pour nous : la localisation exacte de la maison de Michel Clouet, adjacente à celle de Marie-Anne Dorion, y est indiquée. Ainsi que celle de quelques autres citoyens connus, tels Jonathan Sewell, la veuve Baby, l’imprimeur John Neilson. On trouvera en consultant le Dictionnaire biographique du Canada en ligne, un exposé fort bien documenté sur chacun de ces citoyens, qui s’illustrèrent de diverses façons. … Tout cela pour indiquer que ce quartier était haut de gamme. Et qu’il disposait de latrines, ce dont Marie-Anne semblait avoir fait fi (voir chapitre 109)!
Une anecdote au sujet des Clouet. Quelques mots sur Michel Clouet, qui était le voisin immédiat de Marie-Anne. Marchand, capitaine de milice, fonctionnaire, homme politique et juge de paix, Michel Clouet était né à Beauport le 9 janvier 1770. Il tenait un magasin général dans la Côte de la Montagne, spécialisé dans la vente de fer et de quincaillerie. Il deviendra un citoyen très à l’aise financièrement mais également très impliqué au plan social.
Une anecdote au sujet de la femme de Clouet, tirée du livre des historiens Jean-Marie- Lebel et Genevieve Désy (Le Vieux-Québec, guide du promeneur, Septentrion, mai 1914, p. 108) : née Josephte Lépine dit Lalime, on la disait folle. Les gens qui empruntaient la Côte de la Montagne prétendaient l’entendre crier à tue-tête : « Couet! Couet! ». Elle aurait recouvré subitement la raison lorsqu’on lui apprit la mort de son mari!
Marie-Anne Dorion entendait-elle sa voisine? Qui sait…
La maison à l’éléphant : celle de Marie-Anne? (3) Parmi les vieilles maisons du quartier, l’une attirait particulièrement le regard. Située à l’extrémité est de la rue Buade, devant la Côte de la Montagne, elle comportait sur son côté une illustration connue et fort originale, représentant un éléphant à la trompe relevée, pour une publicité de la maison « Wm Jacques & Son, makers & Dealers in boots, shoes & rubbers ». Y apparaissait également le nom de Victor Lafrance, un relieur renommé qui avait ouvert un atelier, rue Buade, en 1889.
S’agit-il de la maison de Marie-Anne? Fort probablement, si on s’appuie sur les divers indices que nous avons accumulés.
Une photo retrouvée au Wisconsin. Il existe une photo connue de la « maison à l’éléphant » : Elle est l’œuvre du photographe Frédérick Christian Würtele, un résident de Québec féru de photographie et parent par alliance des Dorion. Elle est conservée aux Archives nationales du Québec.
Il en existe également une deuxième version, qui est de toute évidence également de Würtele, parce que la facture est exactement la même. Plus intéressante parce qu’on y voit également une voiture tirée par des chevaux. La société d’histoire qui la détient omet pourtant d’indiquer le nom de son auteur et exige des frais de reproduction. Pour en savoir davantage et l’admirer sans frais, cliquer ici.
Une section de la rue Buade tombée en désuétude. Avec les années, et bien après la mort de Marie-Anne Dorion, la section triangulaire du pâté de maison comprise entre les rues Buade, Port-Dauphin et des Remparts sera détruite en 1904 en prévision de l’érection d’un monument à la mémoire de Mgr de Laval dont on allait souligner le bicentenaire de la mort en 1908. Les urbanistes de l’époque considéraient important de dégager la perspective afin de mettre en valeur ce coin de la vieille ville qui offre une vue plongeante imprenable. La maison de Marie-Anne était incluse dans ce pâté de maisons.
Il semble également que les maisons qui s’y trouvaient étaient tombées dans un état de décrépitude avancé. C’est donc sans grand état d’âme que l’on décida de la disparition des « antiques constructions » (Le Soleil du 25 avril 1904, p. 4), qualifiées en même temps de « masures qui s’élèvent grimaçantes en face de notre Bureau de Poste » (Le Soleil, le 28 avril 1904, p. 4).
Réf. : Pour vous y retrouver avec la famille Dorion, consultez l’arbre généalogique des Dorion
.