Pierre Dorion s’établira avec sa femme et ses enfants le long de la Petite-Rivière-Saint-Charles, à Québec. C’est ce que démontre le réputé généalogiste Roland Auger, dans un article fort fouillé, publié en anglais à l’automne 1971 et consacré à la famille Dorion, dans le French Canadian and Acadian Genealogical Review et dont il était d’ailleurs le rédacteur en chef.
Il appuie son affirmation sur un acte notarié, passé devant le notaire Gilles Rageot, le 3 août 1688, en vertu duquel Pierre Dorion y faisait l’acquisition d’une terre, d’un certain Mathieu de Lagrange, pour un montant de 300 livres.
Le bassin versant de la rivière Saint-Charles. Ce bassin, et la Petite-Rivière-Saint-Charles qui s’y déversait, occuperont une place importante dans le développement de Québec. Ce sera le lieu où les Récollets, les Jésuites, et les Hospitalières de l’Hôpital-Général s’établiront.
Exception faite du fleuve Saint-Laurent, la rivière Saint-Charles est le principal cours d’eau de la ville de Québec. Elle prend sa source dans le lac Saint-Charles et sillonne langoureusement sur 33 kilomètres avant de se jeter dans le fleuve Saint-Laurent. Elle est dotée de plusieurs sous-bassins et de cours d’eau secondaires. Son nom autochtone est Akiawenrahk. Son nom officiel lui fut attribué par les Récollets, qui établirent une mission sur ses abords, entre 1615 et 1625, en l’honneur de leur protecteur, Charles de Boves, grand vicaire du diocèse de Rouen.
Des débuts de la colonie jusqu’en 1789, date de l’ouverture du premier pont enjambant la rivière, trois lieux de passage, munis de bacs avec passeurs et sous l’autorité des Jésuites, permettaient de la traverser. Le premier se trouvait à l’Hôpital-Général, le second au pied de la rue de la Couronne et le troisième à la hauteur du Palais de l’Intendant sur le site du parc Cartier-Brébeuf. Celui de l’Hôpital-Général était muni d’un câble et était réservé exclusivement aux fermiers. Le premier pont l’enjambant fut ouvert en 1782.
Quand j’étais enfant, au milieu des années cinquante, la rivière Saint-Charles était bordée de saules pleureurs majestueux, du moins dans la section proche de l’Hôpital-Général et du Parc Victoria.
En quoi consistait la propriété de Pierre Dorion? Le manuscrit original de la transaction entre Mathieu de Lagrange et Pierre Dorion, qui a plus de trois cents ans, est conservé aux Archives nationales du Québec. Il est fort difficile à décrypter pour un non-initié. Mais contient tous les éléments susceptibles de circonscrire les caractéristiques de la propriété ainsi que son historique. Rénald Lessard, archiviste en chef de la Direction du Centre d’archives de Québec, l’a parcouru et, en quelques instants, en a extrait l’essentiel : La terre fait un arpent et demi de front par quarante arpents de profondeur. Elle est bornée d’un côté par la terre d’un dénommé Samuel Vignier et de l’autre par celle de Jacques Hédouin, sans doute un frère de Jeanne Hédouin. Elle comporte une maison et une grange. Il sera permis à l’acquéreur de pêcher devant ladite terre.
La chaîne de titres de la propriété se décline ainsi : Mathieu de Lagrange, le vendeur, est veuf de Gabrielle d’Anneville, qui avait hérité de la propriété de son premier mari, décédé, Louis Blanchard, par contrat passé devant le notaire Duquet, le 22 juillet 1683. Le dit Blanchard l’avait acquise de Pierre Sicateau, le 27 novembre 1667, en vertu d’un acte notarié passé devant le notaire Rageot. Pierre Sicateau l’avait quant à lui obtenu de la veuve Guillemette Couillard, le 4 janvier 1665, en vertu d’un acte de concession passé devant le notaire Duquet.
Où était-elle située le long de la Petite-Rivière-Saint-Charles? Il est possible de localiser exactement où se trouvait alors cette propriété grâce aux travaux cartographiques réalisés par le sieur Robert DeVilleneuve, ingénieur du Roi, en 1685-1686. On peut accéder à cette carte, conservées à la Bibliothèque nationale de France en cliquant ici.
Robert DeVilleneveuve, né en France, avait été mandaté par le Roi de France pour dresser des cartes les plus précises possibles de la ville de Québec et même de Trois-Rivières et de Montréal. Il devait notamment procéder à des relevés précis du promontoire de Québec en vue de la fortifier, ultérieurement.
La carte de Québec qu’il produira est extrêmement précise, compte-tenu des moyens de mesure dont il disposait à l’époque. Intitulée « Carte des Environs de Québec en la Nouvelle France Mezuré sur le lieu très exactement en 1685 et 86 par le Sr DeVilleneuve Ingénieur du Roy », elle indique clairement les lieux de défrichement et, pour Québec même les maisons, indiquées à l’échelle. La carte est très instructive au plan topographique et fort belle au plan esthétique. Son degré de précision est impressionnant, compte-tenu du peu d’outils dont disposait le cartographe. Remarquons deux imposants voiliers sur le fleuve et les salves de canons qui en émanent. Un rappel de l’objectif stratégique de ces cartes destinées au Roy de France et à ses conseillers: Décrire les lieux afin de se prémunir contre les attaques, toujours possibles, des Anglais.
Pour le secteur de la Petite-Rivière-Saint-Charles, DeVilleneuve identifie clairement une zone de défrichement et fournit une liste complète des propriétaires-occupants, avec un numéro assigné à chacun d’entre eux. Mathieu de Lagrange occupe le lot 32. Il s’agit de la terre dont Pierre Dorion fera l’acquisition.
En se reportant sur la carte générale, il est facile de repérer ce numéro 32. La vaste terre que s’est attribuée Charles Aubert de La Chesnaye (1632-1702), le principal marchand de la colonie à cette époque, occupe un vaste périmètre du côté opposé. La résidence principale de ce marchand est cependant située ailleurs dans la Basse-Ville.
L’établissement à la Petite-Rivière se confirme. C’est sur cette terre que Pierre Dorion et Jeanne Hédouin élèveront leur famille. Cette dernière continuera d’y habiter après la mort de son mari, en avril 1724. Et, s’étant « donnée » à son fils Jean-Marie Dorion, elle accueillera celui-ci dans sa maison ainsi que sa femme, Thérèse Le Normand. Ces éléments se retrouvent dans le recensement de 1744. Sur la même page du registre du recensement, il est indiqué que Barbe Dorion, fille de Jeanne Hédouin et sœur de Jean-Marie, habite à quelques pas de son frère et de sa mère. Elle se déclare veuve de Jean Normand, originaire de St-Laurent de Nantes en Bretagne, qu’elle avait épousé le 31 août 1727 à Québec. Elle a 36 ans et est mère de deux enfants : Jean-Baptiste, 10 ans, et Marguerite, 12 ans.
Jeanne Hédouin, quant à elle, décédera le 21 septembre 1747.
Réf. : Pour vous y retrouver avec la famille Dorion, consultez l’arbre généalogique des Dorion